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23 septembre 1999 ![]() |
L'enseignement de la religion et la formation éthique dans le projet éducatif
Le 21 septembre 1999, le doyen de la Faculté de théologie et de sciences religieuses a présenté aux membres de la commission parlementaire de l'Éducation un mémoire sur la place de la religion dans l'école québécoise dans le cadre de la consultation publique sur ce sujet. La Faculté de théologie et de sciences religieuses, depuis longtemps déjà, est directement impliquée dans la formation des futurs enseignants à l'enseignement moral et religieux et dans celle des animateurs de pastorale ou de la vie religieuse et spirituelle. Depuis une vingtaine d'années, en collaboration avec les professeurs d'autres départements de l'Université Laval, elle a aussi contribué à former des spécialistes dans l'enseignement des sciences de la religion.
La nécessaire évolution du projet d'enseignement
moral et religieux
Le mémoire soumis par la Faculté de théologie
et de sciences religieuses expose un certain nombre d'accords
critiques avec le Rapport du groupe de travail sur la place de
la religion à l'école, Laïcité et religions
: perspective nouvelle pour l'école québécoise,
désormais connu sous l'appellation de Rapport Proulx. La
position adoptée par les professeurs de la Faculté
va clairement dans le sens d'une évolution du projet éducatif
en regard de l'enseignement moral et religieux, évolution
rendue nécessaire par le contexte actuel. Le pluralisme
culturel et le respect de la diversité l'exigent : l'enseignement
de la religion et la formation éthique ont besoin de connaître
un certain déplacement qui permette de mieux les situer
dans la mission globale de l'école.
Le mémoire de la Faculté refuse cependant la rupture radicale que propose le Rapport Proulx avec la réalité québécoise. Ce dernier préconise en effet une conception de la laïcité qui ne répond pas au défi du pluralisme tel qu'il se pose à nous. L'unique enseignement culturel qu'il propose renvoie dans l'ombre la manifestation d'un pluralisme véritable se manifestant dans le respect et la rencontre des singularités et des particularismes. Un enseignement ouvert sur les religions et les diverses propositions éthiques, reposant sur le libre choix des parents et des élèves, pouvant emprunter des voies diverses tout en s'inscrivant dans l'école publique commune, serait plus conforme à notre réalité politique, sociale et culturelle.
Les recommandations de la Faculté pour faire évoluer
la confessionnalité scolaire
Le contexte actuel exige une nouvelle approche de la confessionnalité
scolaire, tant à l'égard du statut de l'école
que des modalités de l'offre d'un enseignement moral et
religieux. Au plan pédagogique s'imposent des manières
différentes d'instruire les élèves sur la
diversité du fait religieux, de les aider à situer
le religieux dans leur démarche de personnalisation et
de socialisation, de les qualifier pour interpréter et
critiquer les propositions religieuses et morales. Les recommandations
que la Faculté adresse aux parlementaires tiennent compte
de la nécessité d'offrir des avenues autant à
l'expression du pluralisme religieux qu'à la manifestation
des singularités et des particularismes régionaux
ou locaux dans les établissements scolaires.
1) Une école publique commune (de quartier) sans
statut particulier
Comme cette désignation l'indique, une telle école
se veut capable d'accueillir et d'exprimer les différences
-même religieuses- tout en ouvrant aux valeurs communes
de la société québécoise. Elle permet
de dépasser les exclusivismes que pourraient entraîner
des visions trop rigides tant de la confessionnalité que
de la laïcité. De plus, son appellation d'école
commune montre qu'elle n'appartient à aucun groupe. Elle
se trouve au coeur de la société civile et de ses
multiples composantes. Par contre, cette nouvelle situation exigerait
de garantir d'une autre manière ce que garantissait l'octroi
du statut confessionnel à une école donnée,
en termes de ressources pour mettre en uvre les activités
d'enseignement et d'animation. Tout en reconnaissant la possibilité
de l'école privée pour les parents désirant
une école encore plus proche de leurs préoccupations
en matière d'enseignement, il n'est cependant pas question
de renvoyer globalement toute la question religieuse dite "confessionnelle"
à l'enseignement privé.
2) Un enseignement moral et religieux offrant le choix de
plusieurs voies possibles
À certaines conditions, les divers groupes devraient
avoir accès aux services d'animation et d'enseignement
demandés, que ce soit au nom de leur appartenance légitime
à une tradition religieuse ou au nom du choix d'un enseignement
capable de situer les élèves en rapport avec le
patrimoine moral et religieux universel. Il est indispensable
de respecter le choix des parents tel que reconnu dans la Charte
québécoise des droits et libertés (art.41).
L'enseignement moral et religieux touche diverses conceptions
du monde et s'enracine dans des traditions spécifiques
que les parents souhaitent faire connaître à leurs
enfants. Cette dimension de l'existence ne peut pas être
tout simplement renvoyée au domaine privé. Toute
solution apportée à cette question doit permettre
des aménagements différents selon les écoles
et les régions du Québec, tout en respectant un
cadre général défini par l'État et
placé sous l'autorité du ministre.
La solution retenue dans le mémoire de la Faculté
propose d'aménager un système permettant le choix
de voies diverses pour l'enseignement de la morale et de la religion.
Tous les élèves québécois devraient
recevoir un enseignement sur l'éthique et sur la diversité
religieuse. Le choix qui serait offert à l'élève
ou à ses parents, dans les établissements publics,
présenterait deux voies de formation, pouvant devenir une
seule voie dans les dernières années du secondaire
:
a) un cheminement de type "général" en
enseignement moral et religieux conforme aux critères reconnus
par l'État (enseignement de type davantage culturel), ou
b) l'un des cheminements "spécifiques" en enseignement
moral et religieux reconnus par l'État compte tenu des
critères retenus par le Ministre de l'éducation
(divers profils d'enseignement relevant de traditions particulières
ou de type confessionnel), et c) un unique enseignement moral
et religieux pour tous les élèves à la fin
du secondaire.
Le contenu des divers cheminements
Le cheminement général présenté ici
comme l'une des voies offertes au choix des parents et des élèves
se rapproche de la proposition du Rapport Proulx qui favorise
un enseignement culturel de la religion. Il s'en distingue par
le fait qu'il n'est pas présenté comme la voie unique
pour tous. Il tient compte également de l'établissement
des liens et des distinctions nécessaires entre morale
et religion. Ce type d'enseignement religieux s'intéresse,
comme fait culturel incontournable, au phénomène
religieux tel qu'il se manifeste notamment dans les principales
traditions ou systèmes de croyance. On doit alors s'assurer
que la présentation de chacune des religions, tout en cultivant
l'esprit critique inhérent à l'oeuvre d'éducation,
respecte les intentions des croyants, ce qu'ils disent eux-mêmes
de leurs croyances et de leurs pratiques.
Un tel enseignement doit accorder une place importante aux traditions judéo-chrétiennes qui ont eu une influence déterminante sur ce que nous sommes devenus aujourd'hui et sur la culture qui est la nôtre. L'enseignement moral, quant à lui, doit habiliter l'élève au discernement éthique tout autant qu'à une approche critique de la diversité des discours moraux qui circulent dans la société. Le temps alloué pour l'enseignement religieux et pour l'enseignement moral doit être déterminé en tenant compte des ordres ou des cycles d'enseignement et de l'âge des élèves. Il ne serait pas incohérent de lier la présentation des différentes religions à la présentation des différents discours moraux. Pour ce premier cheminement offert au choix des parents, il serait nécessaire que le ministre de l'Éducation forme un groupe de travail permanent réunissant des spécialistes des religions. Des personnes appartenant à diverses traditions, et non pas des "autorités religieuses", pourraient être invitées à donner leur avis ou à apporter leur éclairage sur les contenus des programmes.
D'autre part, la possibilité de s'inscrire à des cheminements spécifiques reconnus par l'État maintient la possibilité d'un enseignement religieux lié à une tradition particulière. Cette voie se rapproche de l'enseignement de type "confessionnel" sans être la reconduction de la situation actuelle. La reconnaissance par l'État des divers profils d'enseignement pouvant faire l'objet d'un choix par les parents ou les élèves, à l'intérieur de cette voie, devrait reposer sur des critères clairement définis assurant le respect des finalités de l'école et des valeurs auxquelles adhère la société québécoise. Ces critères doivent être, entre autres, l'adhésion aux valeurs démocratiques, une juste répartition du temps entre enseignement religieux et enseignement moral, une proportion de temps adéquate réservée à l'ouverture aux autres religions et un critère quantitatif reconnu, "là où le nombre le justifie". L'aménagement dans une école donnée d'un ou de plusieurs profils (ou cheminements) pour l'enseignement religieux lié à une tradition particulière ne nous ramène pas à la mainmise d'une autorité religieuse sur l'enseignement. Cet enseignement particulier, de type "confessionnel", ne devrait pas être le lieu premier de la transmission de la foi. Il ne vise pas à entraîner l'adhésion à une doctrine ni à effectuer l'initiation à la vie religieuse. Il n'a pas à endoctriner, mais à instruire et à former. Au sein de sa tradition religieuse d'appartenance ou de référence, cet enseignement doit permettre à l'élève de pouvoir continuer à comprendre sa propre histoire et les symboles qui y apparaissent, les divers modes de vie ainsi que les monuments et les oeuvres qui s'en inspirent. L'enseignement religieux lié à une tradition doit maintenir une large ouverture aux autres traditions religieuses et respecter ce que celles-ci disent d'elles-mêmes. De même, l'enseignement moral dispensé en référence à une tradition particulière doit d'abord former l'élève au discernement moral que tout être humain doit acquérir. La présentation du discours moral propre à une tradition devrait toujours rester largement ouvert aux autres approches éthiques et mettre en valeur les enrichissements réciproques entre les diverses propositions morales.
À la fin du secondaire, il serait souhaitable que tous les élèves puissent participer à un unique enseignement moral et religieux axé sur les relations interreligieuses, la discussion argumentée, l'ouverture à l'autre, l'analyse de situations au plan éthique, la situation religieuse au plan international. Cette expérience d'un enseignement unique, propice à l'établissement d'une véritable école commune, est hautement souhaitable. Il est concevable qu'à partir de cette expérience d'un enseignement unique pour tous, l'on décide ensuite d'étendre cette pratique à d'autres années du secondaire.
Jusqu'ici, pour la gestion de l'enseignement confessionnel, le Ministère de l'éducation a compté sur un comité catholique et sur un comité protestant qui ont eu pour mandat d'assurer un partenariat entre l'État et les Églises quant à l'éducation religieuse. Il faudra sans doute gérer autrement les relations entre les groupes religieux et le ministère de l'Éducation, en permettant une représentation élargie des traditions religieuses et en aménageant les conditions de leur dialogue et de leur collaboration.
Une solution raisonnable
La position de la Faculté de théologie et de sciences
religieuses s'inscrit dans une démarche de définition
d'un "vivre ensemble" qu'il faut trouver en respectant
la spécificité québécoise. La solution
proposée peut contribuer à l'édification
de la "citoyenneté" en s'efforçant d'habiliter
chaque Québécoise et chaque Québécois
à entrer en dialogue avec quelqu'un de différent.
Ce n'est pas en taisant les singularités et les particularismes
que peut se construire la citoyenneté québécoise.
La référence religieuse en fait intimement partie
et, quoi qu'on en dise, ne peut pas être reléguée
dans les souterrains du domaine privé.
Le système actuel d'enseignement de la religion dans l'école québécoise a besoin, sans aucun doute, d'un saut qualitatif qui tienne compte du pluralisme culturel et démocratique que la modernité a fait émerger. Le déplacement que la société québécoise est appelée à effectuer aujourd'hui à l'égard de la place de la religion à l'école ne gagnerait rien à prendre la forme d'une rupture radicale. En refusant une certaine continuité quant à l'aménagement de l'enseignement religieux dans l'école publique, on risquerait de négliger les citoyens réels et de mépriser les multiples intérêts qui donnent naissance à la société civile. Ce vaste espace d'association et de solidarité qu'est la société civile, située entre la famille et l'État et dont font partie les institutions religieuses, s'avère absolument nécessaire à l'exercice de la démocratie.
La Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Université Laval est disposée à travailler à l'aménagement des nouvelles formes d'enseignement de la morale et de la religion qui seront retenues. Elle le fera en collaboration avec les autres instances concernées, notamment avec la Faculté des sciences de l'éducation qui assume la gestion administrative et l'animation pédagogique des programmes de formation des enseignants. La Faculté de théologie et de sciences religieuses dispose des compétences nécessaires, y compris dans les sciences humaines des religions, pour s'ajuster aux nouvelles exigences de formation. Ses professeurs et professeures formés aux diverses disciplines pertinentes à l'enseignement religieux et à la formation morale sont en mesure de contribuer aux différents chantiers qui s'ouvriront à la suite des décisions qui seront prises collectivement.
Pour toute réaction et commentaire on peut s'adresser
à monsieur Marc Pelchat, doyen de la Faculté de
théologie et de sciences religieuses, par télécopieur
au numéro (418) 656-3273 ou par courriel : marc.pelchat@ftsr.ulaval.ca