23 septembre 1999 |
Toute bonne cellule a une fin. Certaines meurent pulvérisées par un coup de marteau maladroit, d'autres tranchées par une lame de rasoir pressée, d'autres encore éclatent au contact d'un chaudron brûlant ou à la suite d'une invasion de microorganismes. D'autres cellules, par contre, meurent de leur belle mort, sans drame, sans laisser de débris et sans alerter la cavalerie immunitaire. Elles meurent par apoptose, la mort cellulaire programmée, la mort douce.
L'étudiant-chercheur Steve Charette travaille sur cet intrigant phénomène négligé par la science pendant plus d'un siècle. Depuis dix ans cependant, l'apoptose est devenue un sujet hot et, en son nom, les chercheurs noircissent annuellement des milliers de pages de revues scientifiques. Un survol réalisé en début d'année 1998 indiquait que la littérature scientifique comptait plus de 15 000 articles concernant la mort cellulaire programmée, dont 4 500 avaient été publiés en 1997 seulement.
Un phénomène à contrôler
L'apoptose signifie "tomber de", comme les feuilles
tombent d'un arbre ou les pétales d'une fleur. "L'un
des premiers cas d'apoptose décrit est celui du têtard
qui perd sa queue lorsqu'il devient grenouille, raconte l'étudiant-chercheur.
Les cellules de la queue meurent les unes après les autres,
selon un ordre précis et programmé. La mort des
cellules provoque ainsi la disparition de l'organe inutile au
stade adulte. Un autre exemple est l'élimination d'environ
85 % des neurones dans le cerveau d'un embryon en développement.
Ce ménage est nécessaire, car le surplus de neurones
provoquerait un bruit de fond nuisible au fonctionnement normal
du cerveau, un peu comme si on essayait de lire un texte pendant
un concert rock."
Une cascade de réactions, catalysées par des enzymes au nom aussi évocateur que Mort-1, RIP et Yama, divinité de la mort chez les Hindous, conduit les cellules à se faire hara-kiri. Les travaux que Steve Charette mène au Centre de recherche en cancérologie visent à cerner les interactions de deux protéines importantes qui interviennent dans cette cascade.
À prime abord, ce n'est pas le genre de recherche qui, à court terme du moins, révolutionnera la qualité des soins aux malades. Pourtant, ce n'est pas un hasard si, le 16 septembre, Steve Charette se trouvait au cérémonieux Gala de la science de l'ACFAS, à titre de lauréat du prix Bernard-Belleau, une distinction remise à un étudiant au doctorat qui s'illustre par ses travaux dans le domaine de la santé et des produits pharmaceutiques. Et ce n'est pas un hasard non plus si la bourse de 2 500 $ qui accompagne ce prix est commanditée par Biochem Pharma. Si on comprenait mieux la mécanique de l'apoptose, on pourrait produire des inhibiteurs qui préviendraient la mort des cellules qui accompagne certaines maladies dégénératives (Alzheimer, Parkinson) ou encore induire le phénomène de façon ciblée dans des cellules cancéreuses qui, parce qu'elles ont perdu la capacité de mourir, se multiplient sans fin. "Tout avancement de la science fondamentale dans ce domaine vaut de l'or pour les compagnies pharmaceutiques parce qu'elles évitent ainsi de s'engager dans des recherches appliquées inutiles", estime Steve Charette.
L'appel de la recherche
D'aussi loin qu'il se souvienne, Steve Charette a toujours
voulu devenir chercheur. Personne dans sa famille n'avait pourtant
emprunté cette voie avant lui et, adolescent, il n'était
pas du genre à courir les expo-sciences. "J'étais
plutôt celui qui essayait de comprendre et de retransmettre
ce que j'avais appris." Il attribue une partie de son intérêt
pour les sciences à un voisin de son village natal de Charette,
une petite localité de la Mauricie qui compte, à
ses dires, déformation apoptotique sans doute- 2
500 habitants dont 1 500 dans le cimetière.
Il choisit donc d'étudier en biochimie, d'abord parce qu'il n'aimait pas les maths et la physique. Bien vite cependant, il se laisse séduire par cette discipline et il entend l'appel de la recherche. Son directeur de thèse, Jacques Landry, se souvient du jour où le jeune étudiant de 2e année en biochimie est entré dans son labo comme stagiaire d'été. "Un de mes collègues me l'avait recommandé. Il me disait qu'il fallait absolument que je le prenne dans mon équipe. Il nous apparaissait déjà comme un type très brillant, sûr de lui, un étudiant à part des autres."
Ses résultats scolaires y contribuaient déjà pour beaucoup. Il a d'ailleurs terminé son bac avec une moyenne de 4,21 sur 4,33 (les deux seuls cours où il n'a pas eu A sont des cours en histoire!) et il a obtenu une note parfaite en maîtrise. Mais, il y avait plus, continue Jacques Landry. "On sentait déjà qu'il avait du potentiel pour la recherche et ça s'est avéré juste par la suite. Il a la capacité de regarder un problème, de saisir l'essentiel et de déterminer immédiatement comment s'y prendre pour le résoudre. Il est très efficace parce qu'il sait exactement ce qu'il doit faire. L'article qu'il va bientôt publier sur ses travaux va avoir une grande incidence dans son domaine." Son truc? "J'essaie de voir les choses dans leur ensemble, d'identifier le principal et de ne pas m'enfarger dans les détails. En fait, je me vulgarise la science pour mieux la comprendre."
Vulgariser la science
Ce talent pour la vulgarisation a d'ailleurs été
reconnu l'année dernière, par l'ACFAS encore une
fois, dans le cadre de son concours Eurêka 1998. Son texte
sur l'apoptose compte au nombre des six meilleurs articles soumis
par les chercheurs à ce concours de vulgarisation scientifique.
"Vulgariser la science est très important pour moi,
reconnaît-il. Les chercheurs sont souvent encabanés.
Si le grand public ne sait pas ce qu'ils font, il ne peut pas
comprendre l'importance de la recherche."
D'ailleurs, l'emploi idéal dont il rêve consisterait à expliquer la science au grand public tout en étant chercheur, sans avoir à courir les subventions toutefois. "Je trouve bien dommage que les chercheurs doivent passer presque 30% de leur temps à chercher des fonds pour poursuivre leurs travaux et je ne suis pas certain de vouloir faire ça." Cette remarque fait sourire son directeur de thèse. "Tous les étudiants pensent comme lui à son niveau. Ils ne voient pas encore que préparer des demandes de subventions c'est aussi faire de la recherche. Ça exige des analyses, de la réflexion et c'est à cette étape que se planifie ce que nous ferons dans les années qui viennent."
Après un bac, une maîtrise et un doctorat à l'Université Laval, Steve Charette prévoit mettre le cap sur les États-Unis ou l'Europe pour un post-doc. ll sondera ensuite le marché de l'emploi dans une université, où ses talents de vulgarisateur pourraient aussi profiter à des étudiants, ou encore dans le secteur privé où la quête de fonds est moins accaparante. Dans un cas comme dans l'autre, Jacques Landry lui reconnaît les atouts nécessaires pour réussir. "Il n'y a pas de doute dans mon esprit que Steve a la trempe pour devenir un très bon chercheur", résume-t-il.