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16 septembre 1999 ![]() |
Certains économistes ressemblent parfois à des clowns fatigués. Il suffit de découvrir leur nom dans un article ou de les voir à la télévision pour devenir d'avance qu'ils vont vous entretenir des bienfaits de la mondialisation, ou du charme discret de la réduction des taxes. Mais pas Bernard Decaluwé. Ce professeur au Département d'économique possède une qualité rare, celle d'avoir conservé un esprit curieux et ouvert face aux nombreux modèles disponibles. Le Prix Mohammed El Fasi, qu'il vient de recevoir avec André Martens, professeur au Département de sciences économiques de l'Université de Montréal, du Haut conseil de l'agence universitaire de la francophonie, récompense sa capacité à trouver la meilleure solution à un problème donné en matière d'économie du développement. Le bref séjour que Bernard Decaluwé a effectué à l'Organisation des Nations Unies immédiatement après ses études a peut-être affiné son sens des réalités. En travaillant comme conseiller au développement industriel au Cameroun, il a compris que des projets très intéressants sur papier peuvent se retrouver bloqués pendant des années pour des vétilles administratives. "Parfois, il suffit qu'un doyen ferme son bureau et interdise l'accès à l'ordinateur pour retarder certains travaux pendant plusieurs mois, remarque le chercheur. Rapidement, j'ai donc appris à prendre en considération le contexte dans lequel les gens travaillent." Au fil des ans, ses recherches universitaires l'ont d'ailleurs poussé à développer des outils qui collent toujours davantage à la réalité du terrain. Ainsi, il utilise la modélisation pour mieux appréhender la complexité d'une politique économique. Autrement dit, le chercheur tente de définir un modèle mathématique qui permettra d'anticiper l'évolution d'un secteur économique, interdépendant de plusieurs autres secteurs. Ainsi, avant de lancer une politique agricole dans un pays, il faut absolument, selon lui, se soucier de ses conséquences sur le budget du gouvernement, et le déficit de la balance commerciale. Comme dans un jeu de dominos, le déplacement d'une pièce a forcément un effet sur ses voisines. Pas de recette universelle Le travail accompli par cet enseignant contribue d'ailleurs à la formation d'experts locaux capables d'évaluer l'impact de politiques économiques avant leur application. Plusieurs dizaines de statisticiens, de mathématiciens, des économistes tout frais sortis de l'université, venus des quatre coins du globe, se sont succédé pendant dix ans sur les bancs de l'école PARADI (Programme d'analyse et de recherche économique appliquée du développement international), organisée l'été par Bernard Decaluwé et son collègue André Martens. "C'est un lieu de rencontres et d'expériences vraiment intéressant, souligne Jean-Christophe Dumont, un jeune chercheur au Département économique qui a suivi cette formation. Cela permet de comprendre comment des programmes d'analyse et de recherche économique peuvent s'appliquer au développement international. Des données proches du terrain Il cite ainsi la fermeture d'une l'école, l'interruption du service d'eau une partie de la journée, comme autant d'événements qui peuvent fournir des informations sur la qualité de vie d'une population. Le système de suivi de la pauvreté mis en place par les chercheurs du CREFA associe d'ailleurs étroitement la population à la collecte de ces données, ce qui améliore l'efficacité de l'enquête, et fournit aussi du pouvoir aux citoyens. "Lorsque des villageois s'aperçoivent que le médecin est moins venu chez eux que dans la localité voisine, ils peuvent questionner leurs dirigeants, précise le chercheur. Je crois d'ailleurs qu'une partie de la solution au problème de corruption des organismes gouvernementaux passe par une implication accrue de la société civile." Du Sud au Nord Bernard Decaluwé conserve ce souci de relier modèle
économique et problème concret lorsqu'il enseigne
au baccalauréat et en maîtrise aux étudiants
du Département d'économique. "Est-ce que vous
avez déjà vu un joueur d'échecs, pourtant
fin stratège, gagner une guerre?", interroge-t-il.
"Au Département, on forme des étudiants qui
sont des bons mécanos ou des bons techniciens, en mettant
trop l'accent sur la méthodologie aux dépens du
problème posé." Pour lui, les économistes
doivent avant tout se demander si leur recherche porte sur une
question importante à résoudre, plutôt que
de gaspiller leur énergie à trouver des méthodes
de plus en plus sophistiquées. PASCALE GUÉRICOLAS |