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9 septembre 1999 ![]() |
La personne qui pénètre dans la Galerie des arts visuels éprouve souvent un choc en retour. La lumière blanche des murs, toujours un peu étourdissante, l'espace vaste, plus ou moins peuplé, et puis ces oeuvres parfois surprenantes, hors du commun, qui touchent le coeur et l'esprit. En ce lieu dédié à l'art, la magie opère constamment; le visiteur se surprend bientôt à tourner en rond dans la salle, comme un lion en cage, cherchant à saisir le message de l'artiste, attentif au moindre bruit, ouvert à tous les signes.
La situation faisait exception à la règle, le trois septembre dernier, alors que la Galerie des arts visuels réunissait sous un même toit les récipiendaires des bourses pour l'année 1999. Vernissage oblige, la salle était bondée d'artistes, de professeurs et d'invités venus rendre hommage aux dix étudiantes et étudiants en arts visuels s'étant distingués par la qualité de leur travail. Tout ce beau monde rit et discute, entouré d'oeuvres parlantes et criantes de vérité. Nous sommes au pays de la création, là où l'artiste a pleinement droit de cité.
En premier lieu, les boursières et boursiers de la Fondation René-Richard. Guy-Ann Albert (ex æquo avec Carlos Ste-Marie, 1 500$ chacun) présente une oeuvre infographique intitulée Trou de mémoire, "une réflexion sur la dimension éphémère du vivant". À partir d'agrandissements de traces permettant d'indentifier son propre corps - empreintes digitales, peau du visage et ADN, cette finissante à la maîtrise en arts visuels cherche en quelque sorte à assimiler la mémoire génétique. "Par le biais de ces photos, le macrocosme bascule dans le microcosme, explique-t-elle. Nous découvrons l'infiniment grand dans l'infiniment petit. Un trouble s'installe, subtilement et lentement, dans le glissement des images. En fait, la trace contient le germe de notre disparition, nous ramenant à la dimension de notre propre finitude. Finalement, j'ai voulu détourner l'univers génétique au profit de l'univers plastique."
Ce temps qui passe
Carlos Ste-Marie, lui, expose une oeuvre des plus originales,
intitulée simplement Février. Effectivement inspirée
de la structure du deuxième mois de 1999, la toile (collage,
acrylique, poudre de laiton) évoque une page de calendrier
géante, qu'on aurait accrochée au mur pour bien
marquer le temps qui passe et qui ne se rattrape plus. L'une des
six toiles de cette série dont est tiré le tableau
fait d'ailleurs partie de la Collection de prêts d'oeuvres
d'arts du Musée du Québec. Parlant d'une "confrontation
de surfaces qui s'entrechoquent", Carlos Ste-Marie considère
que Février se situe à la limite de la contemplation.
"J'ai voulu me faire plaisir en créant cette oeuvre",
souligne ce finissant à la maîtrise en arts visuels,
dont les toiles intemporelles feront l'objet d'une exposition
en novembre, à la Galerie Madeleine Lacerte.
Finissante au baccalauréat en arts plastiques, Catherine
Sylvain a accouché d'une oeuvre assez déroutante
baptisée Naissance. (ex æquo avec Isabelle Dubois,
1 500 $ chacune). Faite de tricolette (fibre synthétique)
et d'acier, cette structure témoigne des préoccupations
de l'artiste, soit la tension entre la matrice et la matière.
En équilibre précaire sur trois fines pattes d'acier,
ce formidable fuseau de fil semble flotter dans les airs. Plus
loin, le flamboyant Tryptique horizontal d'Isabelle Dubois illumine
le mur. "Pour moi, c'est la couleur qui construit le tableau,
dit-elle. Je souhaite créer des atmosphères, de
façon à ce que la couleur englobe le spectateur."
Marc-André Rioux complète la liste des boursiers
de la Fondation René-Richard (3 000$).
La mince ligne rouge
Lauréate d'une bourse du Fonds canadien pour l'avancement
de la recherche (FCAR) d'une valeur de 11 000 $, Marcia Maria
Lorenzato est depuis toujours fascinée par le monde de
l'enfance. Les dessins qui lui ont valu la plus haute bourse décernée
par le FCAR à une étudiante à la maîtrise
en arts visuels l'attestent pleinement. Sur fond blanc, un animal
entreprend sa montée vers un enfant dont le corps disloqué
exprime la peur - et peut-être la souffrance - d'être
livré sans défenses à l'inconnu, voire au
mal. "Tout cela touche à l'innocence, au monde intérieur,
à l'instabilité de la vie, souligne doucement Marcia
Maria Lorenzato. Il y a menace imminente d'une tragédie,
mais laquelle? Les obstacles sont-ils réels ou irréels?
Nous ne savons pas." Devant ces dessins, l'artiste a suspendu
à la verticale une mince ligne rouge, suggérant
ainsi une sorte de transcendance face aux événements
de l'existence.
Encadrées de noir, des lettres ondulent doucement sur fond blanc. Il s'agit de Trêve momentanée (Jeu d'approche de lettres, impression numérique) de Carole Charette, étudiante au doctorat (bourse du FCAR, 13 000 $). Dans cet espace un peu désorganisé apparaissent pourtant des mots précis : "vie", "forme", "réaction", "homme". Sous le regard exigeant du spectateur, le sens se crée, lentement mais sûrement. Installation des plus fantaisistes, L'assouplisseur de Nancy Couture (Prix Louis-Garneau, 1 000 $) vaut le détour. Suggérant la pluie, de longues lanières de plastique couronnées de macramé cachent une cabane faite de couvertures. À l'intérieur de cette drôle de maison brille une lumière sacrée, tandis que l'air embaume ces feuilles de tissu servant à combattre l'électricité statique dans la sécheuse, d'où le titre de l'oeuvre. "Dans ma pratique de l'art, j'utilise un langage populaire empreint de la magie du conte, explique Nancy Couture. Je veux garder mon intuition constamment en alerte pour aller à droit l'essentiel."
Pure délicatesse de l'esprit, véritable enchantement pour l'oeil, La résurrection de Stéphanie Ouellet évoque la traîne d'une robe de mariée. Rappelant le travail d'une dentellière, ces formes gracieuses et complexes viennent s'évanouir sur le sol, alanguies et précieuses. Pour cette somptueuse sculpture de papier, Stéphanie Ouellet (baccalauréat en arts plastiques) a remporté le Prix La Vigie (150 $). Son confrère Laurent Gagnon, lui, a reçu le même prix, pour son Évocation équivoque, objet à mi-chemin entre la réalité et la fiction. "L'art est une question de contexte, affirme l'étudiant. Tout cela interpelle le spectateur, le déstabilisant à l'extrême. Finalement, le rôle de l'art tient peut-être dans cette remise en question constante."