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2 septembre 1999 ![]() |
Encore une fois, les journaux nous signalent la progression de l'endettement des étudiants et les difficultés croissantes de ces derniers à rembourser les emprunts contractés, une fois les études terminées (voir Le Devoir, 31 juillet et 1er août 1999). Ces mêmes journaux signalent aussi l'inadéquation des mesures que les gouvernements mettent en place pour contrer la croissance du nombre des faillites directement reliées à cet endettement étudiant. Il s'agit là d'un problème qui va devoir requérir autre chose que les solutions plus ou moins expéditives que nos autorités gouvernementales tendent à mettre en place.
Bien que relativement récent, la croissance rapide du problème de l'endettement étudiant et les conséquences qu'il entraîne, tant du point de vue économique que social, commandent une réflexion orientée vers des solutions nouvelles et acceptables pour l'ensemble des acteurs concernés par ce problème. Les principaux facteurs sur lesquels repose la gravité de ce phénomène, soit l'augmentation du nombre d'étudiants ayant recours à l'endettement, les conséquences entraînées par l'accumulation de dettes, le niveau de l'endettement, les coûts de l'endettement pour l'État, sans oublier la croissance du nombre de faillites personnelles suite aux études universitaires, témoignent des nouvelles conditions et réalités auxquelles les futurs professionnels ont à faire face, notamment celle de la précarité de l'emploi.
L'idée d'un remboursement des prêts proportionnel au revenu, bien qu'ayant déjà été lancée, ne semble pas encore avoir obtenu toute l'attention qu'elle mérite. Nous tenterons donc ici d'exposer les bases d'un nouveau mode de remboursement des prêts proportionnellement au revenu, c'est-à-dire un remboursement par le biais de l'impôt. Notre démarche, nous l'espérons, contribuera à alimenter la réflexion sur la solution aux problèmes que nous avons évoqués.
Le système actuel
Créé en 1974, au Québec, le système
d'aide financière actuel a pour but de favoriser l'accès
aux études supérieures aux étudiants qui
en ont le désir et la capacité mais qui ne pourraient
se le permettre, faute de moyens. Par le biais de cette mesure
sociale, l'État attribue donc à l'éducation
la valeur d'un investissement et assure en majeure partie le respect
du principe d'équité entre les individus.
Les montants du prêt et de la bourse, qui composent ce programme, sont établis en fonction de ressources financières de l'étudiant, et, s'il y a lieu, de ses parents ou de son conjoint, comme il tient compte également de ses charges familiales. Une fois le montant maximum du prêt atteint dans l'attribution de l'aide financière, une bourse peut être accordée si les besoins de l'étudiant le justifient. Pour l'année scolaire 1995-1996, le prêt moyen et la bourse moyenne s'élevaient respectivement à 3 283 $ et 3 557 $. Le programme de prêts-bourses touchait quelque 160 000 étudiants parmi les 360 000 inscrits à temps complet dans un programme post-secondaire (soit environ 45 %), et près de la moitié (45 %) des étudiants qui bénéficiaient de l'octroi d'un prêt recevaient aussi une bourse.
Conséquences du système d'aide financière
actuel
L'étudiant ayant recours à un tel programme
risque de devoir assumer des conséquences qui peuvent s'avérer
particulièrement lourdes, compte tenu de l'évolution
du marché du travail depuis quelques années. Dans
un contexte où l'endettement moyen connaît une croissance
relativement importante d'année en année, et où
la précarité de l'emploi constitue le lot d'une
portion grandissante de travailleurs, un niveau élevé
d'endettement pourra compromettre sérieusement l'atteinte
d'objectifs légitimes d'un individu (par exemple, fonder
une famille) et le pousser à envisager le recours à
la faillite personnelle comme un expédient propre à
le soulager de ce fardeau. La hausse remarquable du taux de faillites
personnelles témoigne d'un malaise indéniable: de
1990 à 1997, le taux de faillites personnelles a connu
une augmentation de 557 % [Le Soleil, 13 octobre 1998]. Depuis
la modification à la Loi sur la faillite en juin dernier,
qui avait pour but d'empêcher certains abus en faisant passer
de deux à dix ans le délai requis avant d'entamer
une procédure de faillite, la situation de certains anciens
étudiants est devenue carrément insoutenable.
Cette modification, à caractère discriminatoire par ailleurs, et donc socialement inacceptable, n'aura certainement pas le mérite de constituer une solution efficace pour contrer le problème des faillites personnelles. En outre, elle est porteuse d'une hypothèse injustifiée, à savoir que les étudiants forment un groupe d'individus économiquement irresponsables. D'autres solutions ont été mises de l'avant jusqu'à maintenant, comme le développement de mesures visant à limiter le montant des prêts pour chacun des niveaux de la formation académique ainsi que l'allongement de la période de remboursement. À long terme, ces solutions ne présentent pas non plus de réels avantages ni pour l'État, ni pour les étudiants.
Solution proposée
Il fut un temps, et peut-être est-ce encore le cas,
où les pêcheurs canadiens pouvaient acquérir
un bateau et le payer au prorata de leurs prises. On imagine sans
peine les multiples avantages qu'un tel système pouvait
comporter du point de vue de leur sécurité financière.
Plus récemment, le gouvernement du Québec a mis
en place le programme d'assurance-médicaments dont les
modalités de gestion administrative ont fait l'objet de
commentaires élogieux de la part de plus d'un analyste
: la gestion financière de ce programme par le biais de
l'impôt sur le revenu est remarquable au regard de la simplicité
de son administration.
N'y aurait-il pas lieu de s'inspirer de ces deux exemples, en les combinant pour proposer un nouveau système d'aide financière aux étudiants qui représenterait une solution au problème de l'endettement étudiant ?
En effet, un mode de remboursement du prêt étudiant
par le biais de l'impôt nous apparaît à ce
jour comme l'une des solutions les plus prometteuses. Plus précisément,
l'essentiel de notre proposition repose sur les éléments
suivants :
Instauration d'un programme basé uniquement sur des prêts
accordés aux étudiants (par conséquent, suppression
des bourses au sein du programme actuel) ;
la dette totale de l'individu comprend le montant des prêts
qui lui ont été accordés, auquel s'ajoutent
les intérêts qui se seront accumulés depuis
le premier prêt (nous pourrons donc nous attendre à
une augmentation du niveau de la dette moyenne par rapport au
niveau de la dette moyenne actuelle) ;
chaque individu rembourse sa dette d'études par le biais
de l'impôt ;
le remboursement de la dette s'effectue à l'intérieur
d'une période de temps prédéterminée
(par exemple, dix ans) ;
cette dette est considérée comme un revenu reporté
(par conséquent, une partie de la dette est additionnée
à son revenu annuel pendant toute la période de
remboursement).
Le fonctionnement de ce nouveau système pourrait se résumer comme suit : imaginons le cas d'un individu qui aurait accumulé une dette d'études de 30 000 $ et qui dispose maintenant d'un revenu imposable de 20 000 $. Si l'on suppose que le remboursement de la dette se fait sur une période de dix ans, on considérera que la dette effective de cet individu pour chaque année est de 3 000 $ (c'est-à-dire 30 000 $ / 10 ans). Cette dette effective est additionnée au revenu imposable, lequel passera donc de 20 000 $ à 23 000 $. Le montant perçu par le ministère du Revenu du Québec est d'environ 2 100 $ pour un revenu de 20 000 $, et de 2 691 $ pour un revenu de 23 000 $ (soit une différence de 591 $). Cette différence constitue précisément le montant que l'individu devra fournir pour rembourser le dixième de sa dette (3 000 $), l'État devant assumer le reste, soit 2 409 $.
Supposons maintenant le cas d'une personne ayant aussi accumulé une dette d'études de 30 000 $, mais dont le revenu imposable s'élève à 35 000 $ ; la durée du remboursement s'échelonne également sur dix ans. La dette effective pour chaque année s'élève à 3 000 $ ; en l'additionnant au revenu initial, on obtient la somme de 38 000 $, ce qui correspond au revenu sur lequel l'impôt sera prélevé. Cette personne ne paiera donc pas 5 390 $ en impôt, mais bien 6 080 $. L'individu rembourse donc près du quart de la dette effective, soit 690 $ (6 080 $ - 5 390 $), et l'État, de son côté, assume le reste, c'est-à-dire 2 310 $. Dans ce cas, comme dans le précédent, il est évident que l'ampleur du remboursement effectif variera au fur et à mesure de la croissance du revenu de l'ex-étudiant.
Conclusion
La simplicité de la gestion de ce nouveau mode de remboursement
des prêts constitue, à notre point de vue, un premier
avantage non négligeable susceptible d'en réduire
les coûts. Compte tenu par ailleurs des diverses modulations
qui peuvent être apportées à notre proposition,
il nous apparaît possible que ce système de remboursement
des prêts étudiants par le biais de l'impôt
ne s'avère pas plus coûteux pour l'État que
le système actuel. Notre proposition le permet facilement,
rien n'empêche de moduler l'ampleur et les modalités
de remboursement de façon à diminuer les coûts
pour l'État. Il pourrait aisément se faire, par
exemple, que le montant que nous appelons ici "revenu reporté"
soit multiplié par un facteur quelconque, et ce sans affecter
la durée de la période de remboursement. En agissant
ainsi, on accroîtrait le montant de remboursement par l'emprunteur
et on diminuerait donc d'autant le montant devant être assumé
par l'État. Ces diverses modulations ne porteraient aucunement
atteinte aux avantages essentiels du système que nous proposons.
Parmi ces avantages, celui de minimiser l'atteinte à
la sécurité financière des nouveaux diplômés,
celui de permettre à l'ex-étudiant de rembourser
ses dettes d'études sans devoir reporter indéfiniment
ses projets de vie, celui de diminuer la propension au recours
à la faillite personnelle, doivent tous être considérés
comme des avantages non négligeables. Comme pour les pêcheurs
auxquels nous avons fait référence, ce système
que nous proposons permet un remboursement en fonction des avantages
qu'on aura retirés des études pour lesquelles on
se sera endetté. Ce système, finalement, et c'est
probablement ce qui lui confère sa principale valeur, accroît
l'équité entre les individus concernés, en
faisant en sorte que le coût réel des études
varie en fonction des avantages financiers qu'on en retire, le
remboursement des prêts s'élevant selon le revenu
obtenu suite à la diplômation. Pour plusieurs ex-étudiants,
ce mode de remboursement contribuerait sans aucun doute à
leur permettre d'entrevoir l'avenir avec un peu moins d'appréhension.
(Cueillette de l'information factuelle: Nathalie Bourbeau).