10 juin 1999 |
"Les auteurs ne semblent pas réaliser la découverte extraordinaire qu'ils ont faite. Ils devraient prendre un peu de temps pour en mesurer toute la portée." - American Journal of Pathology
Des chercheurs de la Faculté de médecine ont créé une lignée cellulaire qui facilitera l'étude de l'endométriose et la mise au point de médicaments pour lutter contre cette maladie. Cette immortalisation de cellules endométriosiques vient régler un sérieux problème qui entravait le progrès des recherches dans ce domaine."Ce n'était pas évident de multiplier les cellules responsables de l'endométriose parce que les lésions d'où elles proviennent sont petites et que ces cellules sont difficiles à séparer des tissus adjacents, explique le professeur Ali Akoum du Département d'obstétrique et de gynécologie. Il fallait trouver un moyen de cultiver ces cellules en laboratoire afin de pouvoir étudier les mécanismes impliqués dans la maladie et de pouvoir faire l'essai de produits pouvant bloquer leur multiplication."
Selon le chercheur, il s'agit de la première lignée de cellules endométriosiques créée en laboratoire. "Si d'autres chercheurs nous en font la demande, nous mettrons cette lignée à leur disposition, dit-il. On n'aurait pas le droit de ne pas le faire puisque le but est de faire avancer la science. La mise au point de cette lignée cellulaire est un point marquant qui va accélérer les recherches sur l'endométriose."
Dix pour cent des femmes touchées
L'endométriose compte parmi les problèmes gynécologiques
les plus courants puisqu'elle touche jusqu'à 10 % des femmes
en âge de se reproduire. La prolifération anarchique
de tissus qu'elle engendre peut provoquer des douleurs pelviennes
et abdominales et, surtout, occasionner de l'infertilité;
entre 40 % et 45 % des femmes infertiles seraient atteintes d'endométriose.
Cette maladie serait causée par des cellules défectueuses
qui quittent la paroi intérieure de l'utérus, l'endomètre,
pour aller s'implanter et se multiplier sur les trompes, les ovaires
ou ailleurs dans la cavité abdominale. Les traitements
actuels contre l'endométriose consistent à bloquer
la prolifération des cellules à l'aide d'hormones
ou à procéder à l'ablation de l'utérus
et des ovaires. "Ce ne sont pas des traitements satisfaisants,
surtout pour les patientes qui veulent avoir des enfants",
juge Ali Akoum.
Dans le numéro d'avril de l'American Journal of Pathology, Ali Akoum et ses collègues Josée Lavoie, Régen Drouin, Christine Jolicoeur, André Lemay, Rodolphe Maheux et Edouard Khandjian, du Centre de recherche de Saint-François d'Assise, expliquent comment ils sont parvenus à immortaliser une lignée de cellules endométriosiques à l'aide d'un virus, le SV40, à partir de cellules prélevées chez des patientes. Ces cellules transformées se reproduisent indéfiniment tout en conservant leurs propriétés. "La même approche avait déjà été tentée, sans succès, avec d'autres vecteurs, signale Ali Akoum. Avec le SV40, ça a réussi mais c'est un coup de chance."
Déjà, le professeur Akoum dit avoir obtenu des résultats excitants grâce à cette lignée cellulaire. Le chercheur vient de découvrir un facteur angiogénique (qui favorise la formation de vaisseau sanguin) associé aux cellules endométriosiques. Les inhibiteurs connus de ce facteur pourrait bloquer la multiplication des cellules endométriosiques en les privant d'afflux sanguin.
Un dogme tombe
Étrangement, à leur propre insu, l'équipe
du Centre de recherche de Saint-François d'Assise a fait
tomber un dogme de la cancérologie au cours de cette recherche.
En effet, le virus utilisé par les chercheurs pour transformer
les cellules, le SV40, est associé à plusieurs types
de cancers humains. Il transforme les cellules, croyait-on, en
intégrant son ADN à celui de ses hôtes. Or,
dans cette étude, les chercheurs ont découvert que
les gènes du virus n'avaient pas besoin d'être intégrés
à ceux de l'hôte pour que la transformation s'opère.
Il s'agit là de la première démonstration
que le SV40 peut immortaliser des cellules, et du même coup
induire le cancer, sans qu'il y ait intégration de son
bagage génétique. Dans ses commentaires, l'un des
arbitres de l'American Journal of Pathology signalait d'ailleurs
que "parce qu'ils ne connaissent visiblement pas le domaine
du SV40, les auteurs ne semblent pas réaliser la découverte
extraordinaire qu'ils ont faite. Ils devraient prendre un peu
de temps pour en mesurer toute la portée".