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13 mai 1999 ![]() |
À côté d'une photo du chanteur Jean Leloup - dont elle admire la douce folie et l'esprit de rébellion - Lucie Charland a épinglé la phrase suivante sur le babillard de son bureau: "Le besoin de sécurité asphyxie l'âme". Mise en exergue dans un espace de travail où règne un désordre sympathique, cette citation, tirée d'un roman d'Alexandre Jardin, témoigne à merveille de la philosophie de l'occupante des lieux qui, dès la fin du mois, quittera son poste d'attachée à l'information au Service des activités socioculturelles (SASC) de l'Université Laval pour voler vers d'autres cieux.
Bien que ce changement de cap - qui s'inscrit dans le flot des compressions budgétaires de l'Université - plonge cette contractuelle dans les eaux un peu troubles de l'inconnu, Lucie Charland demeure pourtant bien décidée à profiter au maximum de ce coup de barre qui lui donnera l'occasion, estime-t-elle, de se dépasser. "J'aime la vie et j'aime le monde", affirme cette femme lumineuse, quand on lui demande de décrire sa personnalité. "En revanche, je déteste les attitudes négatives qu'ont parfois les gens face aux événements de la vie."
Huit ans de fêtes
Conseiller, supporter, diriger efficacement les étudiantes
et les étudiants dans la réalisation de leurs projets
d'animation culturelle: telle a été la tâche
de Lucie Charland depuis 1990, année où elle a été
engagée au SASC. En fait, l'une de ses premières
réalisations a été d'organiser "La Fête
à souhaits", activité au cours de laquelle
les étudiants étaient invités à écrire
dans une carte de voeux distribuée sur tout le campus le
souhait qu'ils voulaient voir se réaliser. Par la suite,
les "fête" se sont succédé: pièces
de théâtres, galas, spectacles, événements
spéciaux, activités d'accueil, etc.
Certes, entrer dans les détails de la longue liste d'événements socioculturels portant la griffe de Lucie Charland constituerait un exercice des plus périlleux, variétés obligent. Mais quel que soit le type d'événement ou d'encadrement vécu par les étudiants, le temps d'une session ou de quelques années, Lucie Charland révèle s'être constamment efforcée d'accorder, dans chaque cas, un "traitement personnalisé" à la mesure des besoins et des attentes de chaque groupe ou individu.
"Lucie a été la seule personne à me faire confiance à l'Université Laval, en me permettant d'acquérir de l'expérience professionnelle, se rappelle Karine Létourneau, graphiste de profession. Alors que j'étais inscrite à la banque d'étudiantes-graphistes du SASC, elle a cru à mon potentiel et m'a offert du travail. En fait, ses principales qualités sont l'écoute et l'encouragement. Elle a le don de nous mettre immédiatement en confiance. Dès le premier contact, on se sent quelqu'un d'important."
Place aux jeunes
Lucie Charland considère que les premières personnes
à être véritablement convaincues de la qualité
de leur projet demeurent les étudiants eux-mêmes,
qu'ils montent une pièce de théâtre ou qu'ils
organisent un festival. "Je dis toujours aux étudiants
qu'ils sont les maîtres d'oeuvre de leur projet et que les
mauvaises décisions n'existent pas. L'essentiel consiste
à les épauler le mieux possible dans les diverses
phases de leur activité. De façon générale,
je crois qu'on ne laisse pas assez de chances aux jeunes dans
notre société. Tout se passe comme si on essayait
d'étouffer la folie et la créativité qui
sommeillent en tout être humain." Pour avoir reçu
les confidences de beaucoup d'étudiants au fil des années,
Lucie Charland se dit très sensible à la détresse
psychologique vécue à l'occasion par plusieurs d'entre
eux: "Certains m'ont même parlé de leur intention
de se suicider.Les étudiants ont tellement besoin d'être
reconnus, salués et encouragés!"
Dave Ouellet, directeur général de Radio Campus Laval et ancien membre du Club de production vidéo de l'Université, n'en finit plus de louer la disponibilité proverbiale de Lucie Charland: "Plusieurs soirs de suite et sans jamais compter son temps, Lucie venait voir les films que nous avions réalisés, alors que rien ne l'y obligeait. Chose certaine, son départ constitue une grande perte pour les étudiants et pour l'Université. Par le biais des projets socioculturels, elle a énormément contribué au rayonnement de l'Université Laval. Nous nous interrogeons sur le non-renouvellement de son contrat, surtout quand l'Université affirme promouvoir l'excellence en ses murs et vouloir mettre ses priorités sur les étudiants."
La croisée des chemins
Quand on lui parle de la pétition parrainée
par Radio Campus Laval incitant la direction de l'Université
à revoir sa décision concernant son contrat, ou
de la "Muse Reconnaissance" qui lui a été
remise le 20 avril au Théâtre de la Cité universitaire
"pour sa contribution au développement de la vie culturelle",
dans le cadre de la remise annuelle des prix des arts et de la
culture. Lucie Charland se dit très touchée par
ces gestes d'appui de la communauté étudiante.
Le mot prononcé lors du Gala des Muses par Hélène McClish, une autre étudiante qui a bénéficié de ses qualités humaines et professionnelles, traduit bien le sentiment général: "Malgré la modernité et la course à la spécialisation, il subsiste des passeurs. Des êtres qui, à la croisée des chemins, nous dictent la voix, nous indiquent le chemin à suivre sans rien nous imposer, mais en nous poussant un p'tit "T'es capable". Ces êtres qui donnent un visage humain à une université qui se complaît dans l'anonymat, il n'en existe que trop peu. Mais Lucie Charland est de ceux-là (...) Avec des petits gestes, avec ses mots à elle, elle a fait la différence. C'est cette contribution humaine, cette contribution du coeur que nous voulons souligner aujourd'hui, en nous campant dans l'illusion que son long départ est un long congé."