29 avril 1999 |
Dès son jeune âge, et surtout depuis qu'il a
commencé à pratiquer la plongée sous-marine
dans ses moments libres, il y a de cela plus d'une dizaine d'années,
Stéphane Campeau a su que son avenir allait se jouer sous
le niveau de l'eau. "Tout ce qui touchait aux profondeurs
de la mer, aux océans et aux organismes sous-marins me
fascinait ", explique le géographe de 31 ans qui est
actuellement assistant de recherche au Centre d'études
nordiques et qui vient tout juste de voir sa thèse de doctorat
sur les diatomées de la mer de Beaufort publiée.
"Je me suis inscrit au baccalauréat en géographie
physique en sachant pertinemment que j'allais me spécialiser
par la suite en océanographie."
Stéphane Campeau a trouvé le sujet de sa thèse alors qu'il était étudiant en troisième année au baccalauréat et qu'il participait à un projet de recherche sur les rivages périglaciaires de la mer de Beaufort, en océan Arctique. "À cet endroit, le niveau de la mer augmente depuis plusieurs années, si bien que, depuis 50 ans, cette côte sablonneuse et friable recule de plus en plus et, à certains points bien précis, elle peut même perdre jusqu'à un mètre de terrain par année, ce qui constitue la hausse la plus rapide enregistrée à l'échelle planétaire. Je me suis donc intéressé à cet important phénomène et j'ai cherché à savoir si, au cours du prochain siècle, le niveau de la mer allait encore augmenter, ou s'il allait se stabiliser ou peut-être même diminuer." Pour les habitants des villages côtiers de la mer de Beaufort, ajoute-t-il, pour les ingénieurs qui auront à bâtir de nouvelles infrastructures, de même que pour les nombreuses compagnies pétrolières qui font de grandes campagnes d'exploration dans cette région de l'Arctique, entre autres, la question est évidemment très pertinente. D'autant plus que les Inuits du village de Tuktoyaktuk, dans la baie de Kugmallit, ont même déjà commencé à déplacer graduellement leur village en raison du recul rapide de la côte.
Trois étés sur le terrain
Afin d'être en mesure de prévoir la tendance
générale de l'élévation du niveau
marin le long de la côte de la mer de Beaufort pendant les
prochaines décennies, Stéphane Campeau a d'abord
dû déterminer quel avait été le rythme
de la hausse du niveau relatif de cette mer durant les derniers
millénaires. Pour ce faire, il a prélevé
durant trois étés consécutifs plusieurs centaines
de spécimens de diatomées fossilisées (les
algues les plus répandues dans les océans, les lacs
et les marais et qui sont à la base de la chaîne
alimentaire) à différentes profondeurs sur le fond
de la mer de Beaufort.
Après avoir établi une taxonomie exhaustive des diatomées vivant actuellement dans les différents milieux côtiers de cette région précise de l'Arctique, soit les lacs, marais, lagunes, baies, etc., - ce qui constitue à ce jour la nomenclature la plus complète existant sur les diatomées de la zone côtière de la mer de Beaufort - il a pu identifier à quel habitat chacune des diatomées prélevées en mer correspondait. C'est ainsi que, par exemple, une diatomée fossilisée prélevée sur le fond marin à 10 mètres de profondeur au large de la côte et identifiée comme étant une algue vivant dans un lac devient un indicateur précis et fiable de la présence, à cette profondeur sous la mer, et à un moment donné de l'histoire, d'une telle nappe d'eau. Datée au carbone 14, cette diatomée permet au chercheur d'affirmer qu'à une époque précise dans le passé, le niveau de la mer ne se rendait pas jusqu'à cette altitude, puisqu'il a en main la preuve de la présence d'un lac à cet endroit.
Au terme de cette longue analyse des différentes diatomées, de leur datation au carbone 14 et grâce à de nombreux recoupements, Stéphane Campeau a donc pu établir que depuis 1 000 ans le niveau de la mer de Beaufort a monté en moyenne de 11 centimètres par siècle et il peut aujourd'hui affirmer que celui-ci continuera probablement à s'élever à ce rythme au cours du prochain siècle. "Les données fournies par les marégraphes nous démontraient déjà que la mer avait monté depuis les 50 dernières années. L'objectif de ma recherche était donc de découvrir à quel rythme elle allait le faire dans le futur. Maintenant, la balle est dans le camp des habitants des villages côtiers et différentes avenues s'offrent aux ingénieurs pour la construction de nouvelles infrastructures: ils devront, par exemple, envisager la construction de quais flottants plutôt que des quais fixes, entre autres. "
Selon Arnaud Héquette, l'un des directeurs de thèse de Stéphane Campeau à l'Université Laval et aujourd'hui professeur au Département de géographie de l'Université du Littoral, en France, l'intérêt de cette thèse dépasse largement le contexte régional dans lequel elle a été menée, car la méthode de reconstitution des anciens niveaux marins que le jeune chercheur a élaborée peut être transposable à d'autres sites côtiers dans le monde. Selon lui, ce modèle de reconstitution est un apport important dans le domaine de la paléoécologie des milieux côtiers et dans l'étude des variations passées du niveau de la mer. De plus, ajoute-t-il, la publication de sa thèse accompagnée d'un cédérom interactif constitue une innovation au niveau de la diffusion des résultats scientifiques.
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