22 avril 1999 |
L'école de pensée à laquelle appartient un chercheur en psychologie biaise les études qui comparent l'efficacité des traitements psychologiques, viennent de démontrer...des chercheurs en psychologie! L'allégeance d'un chercheur, déterminée soit à partir de la lecture de sa production scientifique, soit par sa réputation auprès de ses pairs ou encore par auto-évaluation, permet d'expliquer 69 % de la variance dans l'efficacité des traitements. En connaissant ces trois mesures d'allégeance, il est donc possible de prédire, avec une étonnante certitude, les conclusions d'une étude comparative avant même qu'elle ne commence!
Voilà les troublants résultats que livrent Louis Diguer de l'École de psychologie et neuf autres chercheurs américains dans le numéro du printemps de la revue scientifique Clinical Psychology Science and Practice. Le groupe arrive à ces conclusions après avoir examiné les résultats de 29 études comparatives en fonction de trois mesures d'allégeance de leurs auteurs. Le milieu de la psychologie était déjà bien au fait que les études comparatives des mêmes traitements arrivaient souvent à des conclusions différentes et que des facteurs cachés pouvaient expliquer ces contradictions. La publication du groupe de Louis Diguer vient mettre le doigt sur ce qui pourrait bien être le principal bobo. "De toute évidence, l'allégeance a un effet très fort sur l'issue des études comparatives, souligne-t-il. Cet effet se manifeste à l'insu des chercheurs eux-mêmes, du moins j'aime le penser, sinon ce serait une faute déontologique grave."
L'allégeance, croit-il, se manifeste subtilement, sous différents visages. "Ce sont essentiellement des effets de culture. Les chercheurs connaissent mieux les bons thérapeutes, les bons centres et les bons outils de mesure de l'école de pensée à laquelle ils appartiennent. Ils ne choisissent pas volontairement de mauvais thérapeutes de l'autre école mais comme ils privilégient ce qu'ils connaissent mieux, ça introduit un biais en faveur de leur école dans les études comparatives."
Pour contrer l'effet d'allégeance, Louis Diguer et son groupe recommandent que les études comparatives soient effectuées par des équipes composées de chercheurs provenant de plusieurs centres et appartenant à différentes écoles de pensée. Il faudrait également que la méthodologie des traitements soit définie très clairement par écrit et que les thérapeutes qui participent à ces études n'ajoutent, ni n'enlèvent rien aux directives afin de mieux départager les effets spécifiques à chaque traitement.
"Il y a beaucoup d'écoles de pensée en psychologie, ce qui est heureux parce que nous ne sommes pas une communauté ecclésiastique, poursuit Louis Diguer. Mais les effets d'allégeance ne se limitent pas à cette discipline. On en retrouve, par exemple, dans les études qui comparent l'efficacité d'interventions médicales, de médicaments ou même de techniques de fabrication de béton. C'est pourquoi nos recommandations sont également applicables aux autres domaines de recherche. Il serait sain que tous les chercheurs deviennent plus alertes aux effets d'allégeance."