8 avril 1999 |
La chasse printanière réglera-t-elle le problème de surpopulation de cette espèce?
Dans quelques jours, les oies des neiges (appelées autrefois oies blanches) vivront une expérience inédite de mémoire d'oie et presque de mémoire d'homme: pour la première fois depuis 1917, elles se feront canarder au printemps. En effet, le gouvernement fédéral vient d'autoriser une chasse printanière à l'oie des neiges. La raison officielle? "La croissance rapide des populations d'oies au cours des dernières années a des conséquences néfastes sur l'environnement du Nord", lit-on dans le communiqué officiel d'Environnement Canada. En 1965, on dénombrait 50 000 grandes oies des neiges. Aujourd'hui, à la faveur d'étés cléments et de la nourriture abondante qu'elles trouvent dans les champs agricoles, elles sont 835 000. Cette surpopulation "menacerait l'habitat en général, d'autres espèces fauniques et les écosystèmes du Nord", continue le communiqué. Sans parler des dommages qu'elles occasionnent aux récoltes dans l'Est du Québec...
Cette "chasse de conservation" vise à stabiliser la population de la grande oie des neiges quelque part entre 800 000 et 1 million d'oiseaux d'ici l'an 2002. Pour parvenir à réduire la croissance de la population de 10 % à 0 % par année, les chasseurs du printemps devront tuer autant d'oies que ceux de l'automne, soit 70 000. "Ce ne sera pas facile, croit le professeur Jean Bédard du Département de biologie. Au printemps, les oies se tiennent en bandes plus grandes, elles sont plus méfiantes et les juvéniles (particulièrement vulnérables à la chasse) sont plus aguerries."
La menace d'une explosion démographique de ce troupeau plane depuis belle lurette. "En 1985, j'avais réuni les scientifiques et les gestionnaires des oies pour leur dire qu'il était urgent de reprendre le contrôle de la population, signale Jean Bédard. On avait alors proposé toute une gamme de solutions, entre autres accentuer la chasse à l'automne, créer de nouveaux refuges pour morceler le troupeau et multiplier les points de chasse." Certaines de ces mesures ont été appliquées mais trop peu, trop tard, semble-t-il.
Une chasse écologique?
La décision d'ouvrir une chasse printanière repose sur
un rapport rédigé par les plus grands spécialistes
canadiens et américains des oies, entre autres Gilles Gauthier, professeur
au Département de biologie et chercheur au Centre d'études
nordiques. Environ 75 % des données contenues dans ce rapport proviennent
d'ailleurs des travaux réalisés depuis 20 ans par les chercheurs
de l'Université, Jean Bédard, Gilles Gauthier et Jean-François
Giroux (maintenant à l'UQAM). "La chasse de printemps n'est
qu'une des recommandations du rapport, précise Gilles Gauthier. Cette
mesure n'était pas en haut de ma liste de priorités mais comme
elle devrait permettre de stabiliser la population et de limiter les dégâts
aux récoltes, je suis solidaire de la décision, sur le principe
du moins. La chasse de printemps se justifie d'abord sur des critères
écologiques, pas économiques, même si on ne peut nier
que cette composante fasse partie de la problématique. Je ne souscrirai
jamais à une chasse de printemps uniquement pour des motifs économiques."
Le spécialiste se dit surpris qu'Environnement Canada ait mis en place une chasse à la grandeur du Québec: "J'aurais souhaité quelque chose de plus graduel." Il est également étonné que la chasse ouvre le 15 avril dans le sud-ouest du Québec (en amont de Trois-Rivières). "Jean-François Giroux et moi avons fait de fortes pressions pour que la chasse n'ouvre que le 1er mai dans ce secteur. Là-bas, les oies mangent le maïs perdu, donc il y a très peu de dommages aux récoltes. Une chasse trop hâtive risque de les pousser plus rapidement vers l'estuaire, mettant alors davantage de pressions sur les marais qu'on veut protéger du surbroutement, dixit le rapport, et sur les champs des agriculteurs."
D'un point de vue scientifique, cette chasse printanière constitue une expérience à grande échelle et une excellente opportunité d'en apprendre davantage, estime Gilles Gauthier. D'ailleurs, le chercheur vient d'obtenir un accord de financement de sept ans avec le Service canadien de la faune (40 000 $ par an) pour assurer un suivi scientifique de l'effet de l'augmentation de la pression chasse sur la survie des oies. Il espère également pouvoir effectuer, avec son collègue Jean-François Giroux, un suivi des déplacements des oies au printemps et à l'automne le long du Saint-Laurent en réponse aux nouvelles mesures de chasse.