8 avril 1999 |
Profil
Le géographe Paul Villeneuve reçoit une bourse Killam pour la poursuite de ses travaux sur l'insertion des femmes dans la cité
Paul Villeneuve est un homme heureux. Grâce à la bourse Killam qu'il a reçue du Conseil des Arts du Canada, le directeur du Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD) sait qu'il pourra consacrer entièrement les deux années qui viennent à ses travaux sur l'insertion des femmes dans la cité. Cette question des liens à tisser entre l'augmentation de main-d'oeuvre féminine et la participation des femmes à la sphère politique sous-tend d'ailleurs une bonne partie de ses recherches depuis les années 1970. Plus précisément depuis qu'il pratique une recherche universitaire directement en prise avec le développement de mouvements sociaux.
Le déroulement de la carrière de Paul Villeneuve pourrait servir d'exemple parfait pour illustrer un documentaire sur la vie des baby-boomers. Au début des années 1970, cet étudiant en géographie étudie sur le campus de Seattle, sur la côte ouest américaine. Comme bien d'autres jeunes de sa génération, il manifeste tous azimuts, qu'il s'agisse de s'élever contre la guerre du Vietnam et le bombardement du Cambodge ou de s'en prendre aux méthodes rétrogrades d'enseignement de ses maîtres. "À l'époque, je m'intéressais beaucoup aux rapports entre groupes ethniques, un thème à la mode, puis je suis passé aux rapports de classe", se souvient le chercheur, un petit sourire accroché au coin des lèvres.
Jeune professeur au Département de géographie de l'Université Laval à partir de 1977, il plonge ensuite dans la recherche active en assistant à la naissance à Québec d'un parti de politique municipale, le Rassemblement Populaire. Oubliées les froides statistiques et les doctes discours sur une saine distanciation avec l'objet de l'étude: il participe aux débats passionnés de ces militants qui s'interrogent sur la pertinence de conquérir le pouvoir ou de rester dans l'opposition, et se présente même comme conseiller municipal en 1977. "J'ai trouvé cette expérience très enrichissante, se souvient Paul Villeneuve, car j'ai découvert comment un mouvement social devenait un parti politique. Cela m'a aidé également à mieux appréhender les phénomènes d'une façon globale alors que, dans ces années-là, la tendance semblait plutôt à la spécialisation."
La cité des femmes
Le chercheur a retenu quelques leçons de cette époque
où des citoyens se battaient pour modifier les conditions de vie
dans leur quartier. Il a ainsi observé avec un intérêt
grandissant l'évolution du rôle des femmes au sein du mouvement
et pris conscience du rôle indispensable d'une recherche universitaire
en lien direct avec la vraie vie. "Un membre du Comité de citoyens
de Saint-Sauveur va venir dans quelques jours au CRAD s'informer sur les
travaux d'étudiants qui portent sur son quartier, précise
le géographe. De notre côté, nous allons discuter avec
lui pour savoir quels sont les problèmes les plus criants dans ce
secteur de la ville. Je pense que nous avons beaucoup à apprendre
de la pratique d'une Faculté comme celle des sciences de l'agriculture
et de l'alimentation qui maintient un contact constant avec le terrain."
Contrairement à d'autres universitaires de sa génération, Paul Villeneuve ne renie pas ses engagements de jeunesse. Il s'élève encore et toujours contre les inégalités sociales, un phénomène qui ne cesse d'empirer selon lui dans les sociétés riches. Tant mieux, à ses yeux, si les travaux qu'il mène sur les quartiers et leur population peuvent participer aux réformes mises en place par les élus, mais la plus grande gratification reste toujours pour lui le sentiment d'un travail bien accompli: "Un article scientifique ressemble un peu à de l'artisanat. Au fond, le travail du chercheur s'apparente un peu à celui de l'orfèvre du Moyen-Age qui contrôlait sa chaîne de production du début à la fin, et formait des apprentis de la même façon que nous transmettons notre savoir à nos étudiants gradués."
Un artisan high-tech
L'image de l'artisan moyenâgeux installé au fond de son
atelier éclairé d'une bougie peut faire sourire, car le géographe
s'appuie sur des outils informatiques au dernier cri de la technologie.
Le croisement de base de données de plus en plus précises
permet d'ailleurs de voir parfois surgir des résultats de recherche
inattendus. Ainsi, Paul Villeneuve a eu la surprise de constater que le
lieu d'habitat pouvait avoir une influence sur l'amélioration de
la position professionnelle des femmes, dans les années 1970. Celles
qui demeuraient dans des quartiers de Montréal desservis par le métro
s'inséraient mieux à cette époque dans le marché
du travail que les autres travailleuses, sans doute parce qu'elles avaient
accès plus facilement à une gamme variée d'emplois
dans le centre des affaires.
Son projet de recherche actuel sur l'insertion des femmes dans la cité s'appuie également en bonne partie sur l'utilisation d'outils statistiques souvent couplés à des cartes géographiques. Le caractère interdisciplinaire du centre de recherche qui associe aussi bien des économistes, des architectes, des géographes que des administrateurs et des politologues, permet en effet un grand échange de données. Ainsi, Paul Villeneuve entend comprendre comment les valeurs féministes ont pu influencer les conflits urbains dans la région de Québec au cours des trente dernières années, qu'il s'agisse de lutter contre l'implantation d'un cinéma Imax ou de discuter du rejet de fumées industrielles polluantes. Au cours de l'étude, le chercheur tentera également d'évaluer la progression des femmes au sein des municipalités et des syndicats, et surtout de mesurer si les conventions incluent désormais les besoins des travailleuses.
Multidisciplinaire dans l'âme, le directeur du CRAD ne cache pas le plaisir qu'il éprouve à encadrer les travaux de recherche de ses étudiants. "J'apprends énormément à travailler avec eux et avec elles, souligne-t-il, car chacun ou chacune arrive ici avec une expérience particulière qui m'ouvre de nouveaux horizons en méthodologie." Il se montre particulièrement volubile lorsqu'il évoque les recherches au doctorat de deux de ses étudiantes portant sur la transformation de la vie en banlieue ou l'évolution de la mobilité des femmes à Québec. Volontiers féministe, Paul Villeneuve insiste d'ailleurs sur la nécessité d'engager davantage de professeures en géographie pour que les étudiantes puissent disposer de modèles à qui s'identifier. Son combat pour l'égalité des citoyens continue donc, plusieurs décennies après les manifestations sur les campus américains.