![]() |
8 avril 1999 ![]() |
Le film L'erreur boréale soulève beaucoup de critiques à la Faculté de foresterie et de géomatique
Depuis quelques semaines, la même question revient sur les lèvres des enseignants et des étudiants qui fréquentent la Faculté de foresterie et de géomatique: "Est-ce que tu l'as vu?". Pas question ici d'évoquer un champignon forestier prédateur nouvellement découvert ou un appareil de télédétection dernier cri. Il s'agit plutôt du film L'erreur boréale, réalisé par Richard Desjardins et Robert Monderie. Si certains professeurs, comme Louis Bélanger, ont embrassé la thèse défendue dans ce documentaire de l'Office national du film du Canada, de nombreux autres émettent de sérieuses réserves sur la véracité des informations présentées à longueurs de vues aériennes et d'entrevues choc.
Responsable de l'enseignement forestier à la Faculté, Luc Bouthillier pourrait volontiers se considérer comme une victime de L'erreur boréale, sacrifiée sur l'autel de la cause écologique mise de l'avant dans le film. Au printemps dernier, en effet, il a ouvert son cours pendant plusieurs heures à l'équipe de tournage, qui n'a finalement retenu que l'effarement presque comique des étudiants découvrant sur l'écran vidéo des vues aériennes de coupes à blanc. Ironique, le commentaire du film souligne que ces derniers n'avaient jamais mis les pieds dans le bois. Selon Luc Bouthillier, c'était partiellement vrai puisque plusieurs personnes assistant à ce cours viennent d'autres facultés comme celle des sciences sociales. Mais surtout, selon lui, l'étonnement des étudiants traduisait leur surprise devant des coupes très mal réalisées, et la difficulté d'expliquer ces réalisations à un non-forestier.
Beau joueur, Luc Bouthillier n'en veut pas à Richard Desjardins, car il considère que malgré ses nombreuses imperfections L'erreur boréale touche un problème grave, celui de la gestion et de la transparence des pratiques forestières. "Je ne crois pas que nous risquons ici une déforestation, car la forêt va toujours finir par repousser, indique-t-il, mais cela peut prendre plusieurs dizaines d'années dans certaines zones, et plusieurs entreprises récréotouristiques risquent de disparaître pendant ce temps-là. De plus, même si la foresterie a fait d'énormes progrès depuis vingt ans, on ne sait pas encore précisément quelles méthodes de culture de la forêt ont les meilleures chances de fonctionner."
Publique, la forêt?
Tout en apportant des nuances aux thèses mises de l'avant dans
le film concernant, par exemple, l'utilisation de machinerie trop lourde
en forêt ou ce logiciel de prévision capable de calculer le
rendement forestier au billot dans près d'un siècle, Luc Bouthillier
reconnaît que le public reste trop à l'écart des débats
sur la forêt publique. Il indique ainsi que souvent les contrats d'exploitations
sont conclus en catimini et que leurs détenteurs font valoir qu'ils
ont des droits consentis à chaque tentative du gouvernement pour
imposer des contraintes à l'industrie. "Est-ce qu'il va falloir
racheter la forêt publique?", s'indigne ce spécialiste
de la politique forestière.
Le professeur Pierre-Serge Tremblay, responsable du secteur de l'aménagement forestier à la Forêt Montmorency, a pour sa part une vision différente des rapports entre le gouvernement et l'industrie. Il soutient que les exploitants forestiers ont intérêt à respecter les règles du ministère des Ressources naturelles car ils peuvent avoir besoin ponctuellement d'autorisations pour utiliser les territoires. "Je trouve que Richard Desjardins présente seulement les mauvais coups de la foresterie dans son film, alors que la pratique forestière s'est considérablement améliorée depuis les années soixante, précise le chercheur. On parle de l'importance de conserver des forêts vierges, mais même ces dernières subissent cycliquement les assauts d'épidémies d'insectes ou les ravages des incendies." Ce type de catastrophe se rapprocherait singulièrement, selon lui, de la situation de la forêt après les fameuses coupes à blanc dénoncées dans L'erreur boréale.
Au fond, à en croire plusieurs professeurs de la Faculté de foresterie et de géomatique, ce n'est pas ce genre de coupes forestières qu'il faut remettre en question, mais plutôt leur superficie. Selon Michel Dessureault, doyen de la Faculté, la coupe à blanc favorise en effet la régénération forestière, de la même façon qu'un feu participe à la dynamique de l'écosystème. Par contre, il reconnaît volontiers qu'un propriétaire de chalet a toutes les raisons du monde de se plaindre que son bout de paradis se transforme du jour au lendemain en désert lunaire: "Je pense qu'il faudrait que les pratiques forestières se raffinent pour mieux tenir compte des sensibilités des autres utilisateurs de la forêt. À la Forêt Montmorency, par exemple, nous pratiquons la coupe à blanc sur des superficies relativement restreintes. Il est même possible de les simuler sur ordinateur, afin d'appréhender leur impact visuel ou les conséquences entraînées sur le ruissellement des eaux, avant de les effectuer véritablement."
Un documentaire ou un pamphlet?
Reste que le film L'erreur boréale demeure aux yeux de plusieurs
spécialistes de la foresterie un pamphlet inacceptable que certains
refusent même de commenter pour ne pas perdre leur réserve
scientifique. Demi-vérités, faux mensonges, la frontière
semble souvent mince entre les connaissances actuelles de la foresterie
et l'interprétation qu'en fait Richard Desjardins. Michel Dessureault
cite ainsi la dénonciation de l'éradication du pin blanc du
Québec dans le film, victime selon Richard Desjardins d'une exploitation
excessive de l'industrie. "Il faut savoir que ce type de pin a subi
les assauts d'une maladie mortelle importée d'Europe vers 1912, explique
le doyen. Peu à peu, les ingénieurs forestiers se sont donc
tournés vers d'autres essences pour assurer le peuplement naturel."
Selon lui, cet exemple pris parmi tant d'autres montre la façon simpliste
dont les réalisateurs ont interprété certains faits.
De son côté, Marius Pineau, qui a longtemps enseigné la sylviculture à la Faculté de foresterie et de géomatique, se dit inquiet de l'utilisation du film par les différents groupes de pression, car selon lui ce document ne donne pas l'heure juste sur la situation actuelle. Comme plusieurs de ses collègues, il défend ainsi l'utilité des coupes à blanc pour permettre le renouvellement de la forêt, même s'il questionne leur superficie, et il affirme haut et fort qu'il n'y pas de rupture de stocks de bois à couper au Québec. "Vous savez, les villes aujourd'hui s'émeuvent de la façon dont on exploite la forêt. Mais on ne parle pas, dans L'erreur boréale, de la fragilisation de l'écosystème forestier par la pollution entraînée par la vie citadine. Je crains que la pollution atmosphérique remette bien plus en cause la survie de plusieurs forêts que les coupes à blanc. Avec le film, on vise le noir, mais on tue le blanc."