8 avril 1999 |
LA FACULTE DES LETTRES ET LE PATRIMOINE
Le contexte des élections qui prévaut actuellement en vue de combler le poste de doyen à la Faculté des lettres nous offre l'occasion de faire sommairement le point sur la situation du patrimoine à l'Université Laval. Il faut d'abord camper le décor de l'enseignement et de la recherche aux cycles supérieurs d'un domaine qui, depuis une bonne cinquantaine d'années, a fait la marque de notre vénérable institution de Québec, et ce autant au pays qu'à l'étranger. En effet, plus particulièrement aux sources du Département d'histoire - dont on a fêté le cinquantenaire l'an dernier - sans oublier l'ampleur remarquable qu'ont prise à l'origine les activités créées par les Archives de folklore jusqu'à l'intégration départementale, en 1973, des différentes disciplines historiques - histoire de l'art, ethnologie, archéologie - et finalement, l'apport plus récent de l'archivistique et la muséologie témoignent de cette effervescence.
Autant de champs disciplinaires qui constituent le vaste domaine du patrimoine - des patrimoines devrait-on dire - et qui font encore la renommée de l'Université Laval en l'ayant établie comme chef de file dans un secteur émergeant de la connaissance. À preuve, la tenue du IIe Séminaire international de Forum UNESCO: Université et patrimoine, en octobre 1997, ici même à Québec, ville du patrimoine mondial, doit être comprise comme l'aboutissement de ce long cheminement. Le développement, en somme, normal d'un engagement soutenu de plusieurs générations d'étudiants et de professeurs littéralement portées par le domaine. Il faut aussi regarder en dehors des limites strictes du Département d'histoire pour reconnaître qu'il y a au Département de géographie une équipe, le CIEQ, qui s'active de manière dynamique avec ses recherches autour de la dimension historique des espaces ou encore d'autres sur la francophonie nord-américaine et l'aménagement des territoires.
Puis, du côté des littératures, on n'a qu'à citer le CRELIQ qui incarne parfaitement bien une préoccupation patrimoniale évidente pour nous convaincre de sa pertinence. De plus, le secteur des langues et linguistique a toujours mené avec résonance des études déterminantes qui participent, entre autres, au Trésor de la langue française au Québec dont la réputation n'est plus à faire. Le CELAT en tant que centre de recherche interdisciplinaire de haut niveau sur les questions identitaires rayonne aussi partout à travers le monde. Puis, la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d'expression française en Amérique du nord (CEFAN) poursuit, pour sa part, un travail acharné qui regroupe de nombreuses compétences en la matière. Et, un dernier venu à la Faculté, le Département d'information et de communication est certainement une autre raison de croire en la valeur d'une branche universitaire qui a la capacité d'inscrire le patrimoine au coeur du présent avec, notamment, les nouvelles technologies de l'information.
Autant d'éléments qui font de cette faculté le lieu par excellence pour promouvoir des études patrimoniales aux cycles supérieurs et faire converger ainsi des intérêts et des ressources vers une orientation commune d'avenir. Bien entendu l'excellence en ce domaine ne peut être l'apanage exclusif d'une faculté. À ce propos, on ne peut ignorer que les sciences sociales et l'architecture ont, pour leur part et depuis fort longtemps, enrichi ce domaine. C'est donc dire que les conditions sont réunies à l'Université Laval pour développer une maîtrise dans un champ en pleine ébullition. Et le fait que l'Unversité Laval loge dans une ville du patrimoine mondial vient s'ajouter aux raisons d'aller de l'avant dans cette direction afin d'assurer la faible avance acquise dans le domaine, étant donné la féroce compétitivité universitaire.
En définitive, la Faculté des lettres à ce chapitre peut être à biens des égards la plate-forme idéale pour développer en partenariat un tel programme, avant de créer éventuellement une Chaire en patrimoine, tel qu'exprimé dans la Déclaration de Québec aux termes des assises du IIe Séminaire ForumUNESCO. Cette opportunité qui s'offre actuellement à nous et qui reçoit l'appui de nombreux partenaires internationaux, s'enlise malheureusement dans on ne sait quelle mélasse dont seul l'actuel doyen de la Faculté des lettres, Monsieur Jacques Desautels, connaît la teneur. Il est clair que sous sa gouverne le dossier du patrimoine n'a fait que perdre élan et dynamisme que le domaine avait pourtant connus depuis un certain nombre d'années comme nous venons de le démontrer que trop brièvement. Lui-même en tant que professeur a participé à l'essor de notre université sous cet angle, en faisant connaître et apprécier l'héritage de la Grèce antique. Mais, depuis qu'il occupe le poste de direction de notre faculté, rien de concret n'a été fait pour la formation en patrimoine, champ reconnu mondialement comme étant en émergence.
Pour nous convaincre de la faiblesse de son action, d'abord, sous sa présidence, le Centre muséographique a pratiqué la fermeture à des disciplines aussi directement liées que la muséologie jusqu'au point d'être, en bout de piste, menacé de fermeture par la direction de l'Université à cause, sans doute, de son manque d'arrimage aux activités proprement universitaires. À ce propos, les étudiants en muséologie ont déposé en mai 1998 un rapport substantiel sur la possibilité d'en faire un musée-école, lieu de formation pratique pour les stages professionnels, mais on a cru bon leur refuser l'accès sans plus de justifications. D'autre part, le projet de maîtrise en patrimoine n'aboutit pas faute de caution de la part du doyen lui-même. À sièger comme il le fait à la Commission de la Capitale nationale, au Musée de la civilisation, à la Grande Bibliothèque du Québec et quoi encore... n'a finalement rien apporté de concret à une faculté qui, pourtant, cherche un nouveau souffle en établissant forcément de nouvelles alliances. Et le patrimoine offre certainement une avenue dans cette voie, mais le doyen sortant n'a d'autres explications pour commenter l'essouflement de sa faculté en la matière que d'invoquer une conjoncture défavorable (décroissance, restriction budgétaire, considérations strictement bureaucratiques quoi...).
Quelle lamentable baissée de bras avant même d'avoir tenté de propulser sa faculté vers de nouveaux horizons, alors que l'on sait que tout "terrain" académique doit être défendu âprement dans le contexte actuel. Et notre doyen qui siège en grand sénateur aux conseils de diverses organisations qui pourraient tant faire pour notre faculté n'a jamais su générer les dividendes attendus pourtant nécessaires au développement de notre milieu. Malgré cet état de fait, Monsieur Desautels demande un renouvellement de mandat. S'il voulait au bout du compte faire profiter sa grande expertise aux membres de sa faculté et enfin, placer cette dernière au premier rang de la performance universitaire, nous pourrions certes comprendre la reconduite de son mandat. Cependant, permettez-nous de douter qu'il mérite un tel appui, car il a déjà eu sa chance d'agir alors qu'il était neuf dans un poste non sans rayonnement. Au chapitre notamment du patrimoine, il n'a rien fait de concret sauf d'endosser ce qui crevait d'évidence et d'empêcher, par son inertie, l'ouverture de nouvelles avenues dans une faculté qui, fondamentalement, doit avoir la culture à coeur. Or, Monsieur Desautels a démontré noir sur blanc, au terme de son premier mandat, qu'il n'avait pas cette conviction, ce ferme engagement de faire du patrimoine un élément d'avancement pour sa faculté. Il faudra donc, en ce qui nous concerne, miser sur un plus sûr espoir de développement afin de permettre à la culture y compris le patrimoine de reprendre sa juste place à l'Université Laval, soit au sein de la Faculté des lettres et surtout, non loin du coeur.
Lorsque le budget se flétrit dans un domaine quelconque, un troupeau de gens se dessine pour manifester, comme des moutons guidés par un chien berger, et crie à haute voix "so-so-solidarité" parce que ses représentants ont dit que c'est pour une bonne cause sociale. L'époque que nous vivons est celle de la stigmatisation des coupures budgétaires en éducation. C'est du moins ça pour les étudiants et les enseignants. En santé, ce sont les infirmières, les médecins et les malades qui manifestent, en production porcine ce sont les éleveurs de porc qui bloquent la 20, chez les plus démunis c'est le bien-être social qui est préoccupant, etc. Une constante revient dans toutes ces données: les gens cherchent à promouvoir leurs propres intérêts.
Pourquoi donc crier "so-so-solidarité" quand seulement nos propres intérêts sont défendus? La solidarité par définition signifie la charité, l'aide aux autres sans qu'on attende une compensation en retour. Pourtant, quand j'entends crier "so-so-solidarité" par des manifestants, l'impression que j'en reçois est celle d'une force luttant contre une action gouvernementale allant à l'encontre de ses intérêts. Le sens du mot "solidarité" est ainsi mal employé.
La solidarité est donc bien moins présente que la plupart des gens le pensent. Lors d'une manifestation, ce n'est pas la solidarité qui s'exprime, car les gens sont là exclusivement pour la promotion d'intérêts communs. Ce qui est plus intéressant encore, c'est que les groupes de pression en croisade contre le gouvernement vont non seulement défendre leurs seuls intérêts, mais vont aussi faire croire à la population que leur cause est celle de toute la société. Par exemple, certains disent qu'on doit investir dans l'éducation, sinon la société manquera de main-d'oeuvre qualifiée, ce qui ébranlera son développement futur. Ceci peut arriver avec un très grand manque de subsides, mais ce qui est tout aussi vrai, c'est que les établissements vivront moins dans le confort, qu'il faudra y changer les façons de travailler travailler sans que la qualité de l'enseignement soit nécessairement affectée. Ces dernières raisons peuvent suffire aux groupes d'intérêts pour contester le gouvernement et se croire garants d'une cause sociale.
De plus, les groupes d'intérêts doivent contester le plus fréquemment possible pour que leur organisation s'active et se maintienne. C'est dans ces périodes de stigmatisation que ces groupes sont les plus sollicités, les plus écoutés, bref les plus actifs et utiles. C'est pour simplement fonctionner. Ainsi, une manifestation dont les participants crient t "so-so-solidarité" reflète la pure hypocrisie et ne manifeste souvent qu'un intense égoïsme dans leur revendication. Cependant, aucun autre groupe ne leur viendra en aide et ils ne doivent compter que sur eux-mêmes pour protéger ce qui leur semble approprié. C'est égoïste, mais c'est légitime, car les différentes instances de notre société sont essentiellement individualistes. Entre égoïstes, on est relativement peu égoïste.
C'est notre propre humanité notre dignité d'être pensant que nous foulons aux pieds en accordant une valeur si relative à l'instrument de la pensée. Instrument de la pensée certes, mais non moins outil fondamental, essentiel, à une vie émotive et affective "intelligible" (intellegere => ligare, lien), et notamment génératrice de rapports compréhensibles et compréhensifs entre les individus et les nations. Quand on ne peut s'exprimer correctement, il ne reste plus en effet que le cri ou le coup. Et ultimement, la griffe du loup. Au mieux (quoique la chose ne soit pas même certaine), et à l'instar des morts déambulant de Félix: l'incommunication. Forme d'excommunication par l'intérieur.
Il est à se demander sérieusement si l'humanité n'est pas en pente sur le versant descendant de l'asymptote de l'évolution. Car il faut dire que si le problème se révèle singulièrement prégnant chez nous, nous n'en sommes pas pour autant les uniques "victimes" quelque soumis et consentants que nous fussions. Quand des sociétés entières refusent en quelque sorte (le phénomène est documenté) d'assumer adéquatement la fonction suprême de l'être intelligent, qui est le langage, c'est qu'il y a taire en homme comme il y aurait ver en pomme. Par delà même des valeurs douteuses, voire criminelles, et/ou des comportements ponctuels extrêmement discutables chez certains individus ou sociétés, il m'est d'avis que c'est le coeur même de l'Homme que l'on atteint ici à la faveur d'un pareil relâchement. Comme si le "délangagement" (ou délanguissement) constituait le prodrome d'une forme de désengagement vis-à-vis de notre statut phylogénique d'homo sapiens sapiens. Retour à la barbarie? Et bientôt à l'animalité..?
De fait nous recommençons comme peuple, ici au Québec, à déployer la langue molle, incertaine, que nous utilisions massivement il y a maintenant plus de trente ans. Toutefois, nous étions alors en pente ascendante en voie de sortie d'un long tunnel obscur et lourd d'un marasme collectif bicentenaire. Il y avait donc espoir: on se dégluait progressivement. "On se promettait", si je puis me permettre d'inoculer une modalité intransitive à ce verbe. Or l'espèce de renoncement qui nous habite désormais de machouillement en déstructuration syntaxique, de promiscuité confuse des genres (masculin/féminin, singulier/pluriel) en pauvreté de vocabulaire, de l'anglaisement sytématique en parler anacoluthe (aphérèses et apocopes incluses) , et que d'ailleurs nous semblons moins subir que sciemment "choisir", m'apparaît participer de cette reddition contemporaine plus globale.
Aussi, et en outre par opposition à l'enseignement de l'anglais dès la première année de l'élémentaire (ainsi que le suggérait godichement Jean Charest dans la dernière campagne électorale), il faut, me semble-t-il bien modestement, amorcer sur-le-champ les plus grands efforts en vue de la promotion de la qualité de notre langue derechef cruellement enchevêtrée dans nos cordes vocales. Et ce à commencer par l'embauche de maîtres et d'enseignants qui aiment celle-ci, la parlent et la possèdent correctement ensuite et qui, enfin, la respectent véritablement. C'est là une question éminemment politique dans l'acception la plus noble, voire démosthénienne, du terme.
La connaissance réelle, solide, affinée de la langue française n'est pas en Québec affaire d'élites ou de hauts-lettrés débranchés du "vrai monde". Ni de coterie. Moins encore de coquetterie. C'est une question de vie, farouche, ou d'inanition. Drûment.
Mais serait-ce au fond l'absence d'un vrai pays qui en dernière analyse nous interdirait, ainsi prostrés dans un No man's Land, l'appropriation gourmande, entière et légitime de notre propre personnalité collective? Laquelle personnalité se voit définie d'abord par cette langue que nous semblons, du bout des lèvres, refuser à moitié.
Un jour, j'ai participé
à ce qu'on appelle une manifestation
naturellement j'y suis allé
pour apporter ma contribution
Arrivé sur les lieux
j'ai pu voir, comme des millions,
ces jeunes demandant au milieu
d'être entendu avec compassion
Très conscients de leurs responsabilités
dans le calme ils ont transmis
ce qui semble être une nécessité
un des éléments de leur survie
Sans détours elle nous le rappelle
cette jeune femme déterminée
qui par une étincelle
s'est allumée pour proclamer:
" D'L'ARGENT "
Mesdames et messieurs les dirigeants
nous en sommes tous très conscients
nul n'a tout pouvoir sur l'argent
mais soyez des plus "convenants " *
Ce combat en est un de société
dont vous êtes les commandants
vous ne pouvez passer à côté
de ce pourquoi vous avez porté serment
*Ce mot est-il correct ?
Pensant qu'il convient
il est convenablement direct
différent, facilement il se retient