25 mars 1999 |
L'économie du savoir, dont la prépondérance va sans cesse croissante dans notre société, a considérablement changé les règles du jeu qui avaient cours au sein du marché du travail, au Québec. Depuis une décennie, nombre d'entreprises regardent d'un tout autre oeil les masses de diplômés qui déferlent du réseau universitaire québécois.
"Ils sont de plus en plus nombreux, aujourd'hui, les employeurs qui exigent un diplôme d'études supérieures - particulièrement de 2e cycle - des candidats postulant un poste dans leur entreprise", constate Micheline Grenier, directrice du Service de placement de l'Université Laval. Ce phénomène ne se ferait pas sentir seulement en sciences et en génie, mais dans tous les secteurs. "Non seulement le placement est-il meilleur pour un diplômé de 2e cycle, mais ce diplôme est en train de devenir une exigence du marché du travail", souligne-t-elle.
Haut taux de placement
Deux enquêtes effectuées successivement par le ministère
de l'Éducation du Québec et l'Université
Laval, au cours des dernières années, viennent appuyer
les propos de la directrice du Service de placement de l'Université.
Une investigation réalisée par le MEQ en janvier 1994, auprès des finissants universitaires de 1992, révèle en effet que le taux de placement des titulaires de doctorat de l'Université Laval était de 100 % dans 10 des 13 secteurs disciplinaires scrutés, tandis qu'il était supérieur à 90 % dans 12 des 16 disciplines chez les diplômés de maîtrise. Le taux de placement des bacheliers, quant à lui, était égal ou supérieur à 85 % dans 9 des 16 secteurs disciplinaires étudiés et supérieur à 80 % dans 14 secteurs sur 16.
Une opération Relance menée en janvier 1996 par le Groupe de recherches institutionnelles sur les effectifs étudiants de l'Université Laval indiquait, pour sa part, que trois ans après avoir quitté l'Université pour le marché du travail, 88,5 % des diplômés du 1er cycle de 1993 et 90,1 % de ceux sortant des 2e et 3e cycles avaient alors trouvé un emploi. Les renseignements recueillis indiquaient par ailleurs que 81 % des finissants du 1er cycle travaillaient à temps plein, une proportion qui grimpait à 84 % au 2e cycle et à 91 % au 3e cycle.
Grande satisfaction au travail
Les données étaient encore plus révélatrices
en ce qui a trait à la corrélation entre l'emploi
à temps plein et la formation reçue à l'Université.
Si le gagne-pain de 56 % des bacheliers et bachelières
de 1993 était lié à leur discipline universitaire,
celui des titulaires d'une maîtrise atteignait un taux de
63 %, tandis que 83 % des docteurs et docteures assumaient une
fonction correspondant à leurs études à l'Université.
"Ce sont là des indices qui ne mentent pas, quand
on songe sérieusement à préparer son avenir",
fait remarquer Dinh N. Nguyên, doyen de la Faculté
des études supérieures. Ce dernier ne manque pas
d'ailleurs de signaler que 90 % des diplômés et diplômées
des 2e et 3e cycles interrogés dans le cadre de l'opération
Relance se sont dits satisfaits de l'emploi qu'ils avaient déniché.
À chacun ses raisons
Pourquoi faire une maîtrise ou un doctorat? Il y a probablement
autant de raisons qu'il y a d'étudiants-chercheurs et la
beauté de l'affaire est qu'elles se valent toutes. Le Fil
a interrogé trois personnes qui ont complété
des études supérieures au cours des dernières
années pour connaître ce qui les avait motivés
à se lancer dans cette aventure et ce qu'elles en ont retiré.
Tout au long du parcours qui l'a conduite d'une technique de la faune au doctorat en biologie, de l'Arctique aux Tropiques et d'est en ouest du continent américain, Micheline Manseau n'a utilisé qu'un carburant: le plaisir de satisfaire sa curiosité scientifique. "Dans la vie, la plupart des gens se posent des questions sans avoir les moyens d'y répondre. En recherche, notre travail consiste justement à trouver des réponses. C'est un chance inestimable."
C'est essentiellement pour acquérir les outils qui manquaient à sa formation de biologiste que Micheline Manseau a choisi de faire une maîtrise sur l'oie blanche (1991) puis un doctorat sur le caribou du Nouveau-Québec (1996). "J'avais été assistante pour bien des chercheurs et je voulais pouvoir poser moi-même les questions et trouver les réponses." Les études supérieures ont changé sa vie, poursuit-elle. "Ça exige de longues heures de travail mais, comme c'est une passion, je n'avais pas l'impression de faire un travail. La recherche en environnement me donne beaucoup de satisfaction parce que j'ai l'impression de contribuer à l'évolution de la société."
Micheline Manseau admet que jamais elle n'aurait pu trouver le travail qu'elle souhaitait sans un doctorat. Elle n'a d'ailleurs pas eu à chercher très fort pour trouver un poste. "J'ai présenté mes recherches lors de colloques et des gens sont venus me faire des offres." C'est ainsi qu'en janvier 1997, elle devenait directrice générale de l'Institut pour la surveillance et la recherche environnementale, situé à Goose Bay au Labrador. Puis, en janvier 1999, elle déménageait ses pénates à Winnipeg où elle est maintenant responsable de la recherche dans les parcs nordiques à Parcs Canada.
Micheline Manseau dit n'avoir jamais remis en question sa décision de consacrer de nombreuses années à la maîtrise et au doctorat plutôt que de demeurer sur le marché du travail. "D'ailleurs, les études supérieures, ça ressemble beaucoup à un travail de chercheurs. Mis à part le salaire!"
Se réaliser
C'est pour régler un vieux différend avec le passé
que Cécile Charbonneau a choisi de revenir aux études
en 1985 pour faire un bac et une maîtrise en psychologie.
Mais, ce qui l'a convaincue de poursuivre au doctorat est essentiellement
une question d'estime de soi. "Je voulais me prouver que
j'étais capable de faire un doctorat. Je voyais le doctorat
comme une montagne devant moi et mon rêve était de
la gravir."
Après son doctorat (1995) sur le développement de l'autonomie chez les adolescents, Cécile Charbonneau a mis neuf mois pour trouver un emploi. "J'ai fait plusieurs entrevues mais je ne savais pas trop ce que je voulais faire., se souvient-elle. Finalement, j'ai obtenu un poste de professionnelle au Centre de recherche sur les services communautaires. Même si le travail de chercheure est souvent précaire, j'ai toujours travaillé depuis." Aujourd'hui, elle est coordonnatrice de la recherche à la Maison Michel-Sarrazin. "J'aime ce que je fais, ça correspond exactement à ce que j'attendais d'un travail. Je me sens comme un morceau de casse-tête qui a trouvé sa place."
Le diplôme de doctorat n'était pas exigé pour ce poste mais l'expérience acquise pendant ses études la sert bien, estime-t-elle. "Le doctorat m'a appris à m'organiser et à me structurer. Ça me rend plus sûre de moi dans les différentes fonctions que j'ai maintenant à accomplir."
Entreprendre
Après un bac en consommation (1987), Francis Bellavance
a pris la direction de l'Ouest canadien puis de l'Europe pour
travailler et voir du pays. De retour à Québec,
quatre ans plus tard, il s'inscrit à la maîtrise
en administration des affaires "pour faciliter mon avancement
professionnel, dit-il. J'aurais pu me trouver du travail mais
pas du même niveau que celui qu'offre un MBA."
Aujourd'hui, Francis Bellavance est vice-président au marketing chez Biozymes inc., une jeune compagnie, fondée en 1994, spécialisée dans l'extraction d'enzymes destinées à l'industrie pharmaceutique. Il a mis sur pied cette entreprise avec deux étudiants au doctorat du Département des sciences des aliments et de nutrition, Moushine El Abboudi (Ph.D. 1994) et Martin Beaulieu, respectivement président et vice-président scientifique de Biozymes. En 1995, les trois partenaires remportaient le deuxième prix du concours "De l'idée au projet" d'Entrepreneuriat Laval. Deux ans plus tard, ils raflaient le Grand Prix Canada "Relève et innovation technologique", lors du Salon international "Le monde des Affaires". L'entreprise emploie maintenant 15 personnes.
"Se lancer en affaires est à la mode mais il n'y a rien de facile là-dedans. Je ne crois pas que j'aurais pu aussi bien monter le projet et le vendre sans avoir fait un MBA, confie Francis Bellavance. D'une part, parce que j'y ai acquis des connaissances précieuses sur les plans d'affaires, les montages financiers et le marketing. D'autre part, parce que lorsque vient le temps de convaincre des investisseurs, le MBA donne plus de crédibilité qu'un bac en consommation. C'est un facteur qui n'est pas négligeable en affaires."