18 mars 1999 |
Des politologues estiment que le mode de scrutin actuel a besoin d'un sérieux nettoyage
Souvenez-vous, c'était le 30 novembre 1998 au soir. Le Parti québécois l'emportait sur son rival le Parti libéral du Québec alors que cette formation détenait une mince majorité de 27 600 voix dans l'ensemble de la province. Aujourd'hui, les libéraux ne détiennent que 48 sièges à l'Assemblée nationale, contre 76 pour les péquistes. L'explication de cette bizarrerie arithmétique tient en deux mots: scrutin majoritaire. En Grande-Bretagne, le pays qui a fourni au Canada cette méthode pour élire ses représentants politiques, le débat va bon train sur les alternatives à ce type de scrutin. Au Québec, les différentes tentatives de réforme semblent au point mort. Le Département de science politique de l'Université Laval a décidé de relancer la question en invitant plusieurs spécialistes de ce sujet à un colloque le 12 mars dernier.
Un élément constant ressort de la table ronde qui réunissait trois professeurs de science politique au cours de cette journée d'études: le fait que le mode de scrutin actuel a besoin d'un sérieux nettoyage. "Le scrutin majoritaire ne correspond pas au modèle théorique du vainqueur, précise Louis Massicotte, professeur de science politique à l'Université de Montréal. Le système est biaisé, la course a l'air équitable, mais un des chevaux court avec des sabots de plomb." Selon le professeur, c'est la quatrième fois au Québec, en comptant les dernières élections, qu'un parti l'emporte sur son adversaire alors qu'il ne bénéficie pas de la majorité relative des voix. Ainsi, selon lui, le Parti libéral devrait bénéficier de 7,5 % de plus de voix que le Parti Québécois, soit 300 000 électeurs, pour bénéficier du même nombre de sièges à l'Assemblée nationale.
Un vote très concentré
Bien évidemment, la polarisation linguistique explique en grande
partie ce phénomène. Le Parti libéral pâtit d'une
concentration excessive de son vote dans le Sud du Québec, puisque
ses électeurs, souvent anglophones, se retrouvent majoritairement
dans cette région. Les candidats libéraux qui se présentent
à l'Est ou au Nord ont plus de difficultés à trouver
un bassin suffisant de sympathisants. "Le système majoritaire
à un tour a un effet pervers, celui de bloquer la vie politique,
remarque d'ailleurs Jean-Pierre Derriennic, professeur de science politique
à l'Université Laval. L'électeur a seulement le choix
entre deux partis, il n'a donc pas les moyens d'obliger ces formations politiques
à changer."
Pour pallier les inconvénients d'un scrutin majoritaire faisant apparemment l'unanimité contre lui lors du colloque, les trois professeurs ont donc avancé un certain nombre de propositions de réforme. Vincent Lemieux, professeur de science politique à l'Université Laval, qui a déjà participé à une coalition en faveur de l'élection proportionnelle en 1985, souhaite que la population débatte à nouveau de cette question. Il invoque également le scrutin préférentiel compensatoire régional, en vigueur en Allemagne depuis plusieurs années. Selon ce système, 90 ou 95 députés locaux sont élus selon un vote préférentiel où l'électeur indique son candidat de premier choix, deuxième choix, troisième choix, tandis qu'une trentaine de députés régionaux sont choisis parmi les partis politiques sous-représentés mais qui ont bénéficié d'un grand nombre de voix. Il faut donc découper à nouveau la carte électorale pour obtenir des circonscriptions plus grandes qu'aujourd'hui.
"Les détracteurs de ce système électoral évoquent souvent la différence de statut entre les députés, remarque Vincent Lemieux. Mais cela ne semble pas poser de problèmes dans plusieurs pays européens où ce mode de scrutin existe." Louis Massicotte souligne, par exemple, qu'une partie des députés allemands sont élus directement par les électeurs, tandis qu'un certain nombre de sièges supplémentaires reviennent aux partis pénalisés par le scrutin majoritaire. Le gouvernement doit donc fréquemment tisser des alliances avec d'autres partis plutôt de bénéficier d'une majorité écrasante de représentants. "On a une image très négative des gouvernements de coalition lorsqu'on pense à la république italienne, mais tous les régimes ne sont pas aussi instables, indique Louis Massicotte. Un même chancelier allemand a ainsi pu rester seize ans au pouvoir."
Pour Jean-Pierre Derriennic, un gouvernement de coalition constitue même un progrès dans la mesure où "c'est le meilleur moyen d'empêcher la dictature des premiers ministres." Mais il constate du même souffle que l'idée d'élire deux catégories différentes de députés ne soulève pas l'enthousiasme des étudiants qui fréquentent ses cours, car pour eux un député doit défendre avant tout les intérêts de son comté. Au cours de la discussion, les professeurs ont également soulevé la possibilité d'élire des listes de candidats, plutôt qu'un candidat unique, ou d'indiquer un ordre de préférence sur les bulletins afin de transférer les votes à un autre parti en cas de ballottage. Reste à savoir si toutes ces tentatives de réforme feront l'objet d'un débat public alors que ni le Parti québécois, ni le Parti libéral ne semblent désireux de discuter de ces questions.