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4 mars 1999 ![]() |
La récolte commerciale pourrait mettre en péril des populations encore méconnues de champignons sauvages
Les champignons forestiers iront-ils rejoindre le ginseng et l'ail des bois dans la liste des victimes de la récolte commerciale abusive? Voilà la question qui était sur bien des lèvres au terme du Colloque sur la récolte, la commercialisation et la conservation des champignons forestiers, présenté la semaine dernière sur le campus, à l'initiative du Centre de recherche en biologie forestière.
La question se pose de façon plus pressante depuis la découverte, sur le territoire québécois, de populations indigènes de champignon du Pin, aussi appelé matsutake américain. Les Japonais utilisent ce champignon au goût prononcé dans le riz et les soupes et ils en importent en quantité à la suite du déclin de leurs propres populations de matsutake. Présentement, les exportations mondiales du champignon du Pin vers le Japon se chiffrent en termes de millions de dollars par année. Le Canada, grâce aux provinces de l'Ouest surtout, vient au deuxième rang des pays exportateurs, juste derrière la Chine.
"Il est certain qu'il faut s'engager avec prudence dans la récolte commerciale d'espèces comme le matsutake", estime Yves Piché, co-organisateur du colloque avec André J. Fortin. Selon ce professeur du Département des sciences du bois et de la forêt, il conviendrait, avant d'aller plus loin, d'effectuer un inventaire complet des populations de champignons retrouvées dans les forêts de pin gris. Au Québec, ce milieu offrirait les meilleures conditions pour les principales espèces d'intérêt commercial.
Comme des champignons?
Depuis une vingtaine d'années, la cueillette commerciale des
champignons, destinés surtout aux marchés européens
et japonais, prend de l'ampleur en Amérique du Nord. Les analystes
des marchés anticipent un accroissement significatif de cette industrie
au cours des deux prochaines décennies.
L'impact de la récolte commerciale ne va pas sans inquiéter les mycologues amateurs. "Un sondage mené avant le colloque révèle que la plupart d'entre eux sont très préoccupés par la cueillette commerciale des champignons forestiers", signale Guy Bussières, du Cercle des mycologues amateurs du Québec. Dégustateurs avoués de champignons pour la plupart, ils voient d'un mauvais oeil l'arrivée de cueilleurs commerciaux dans leurs plates-bandes et ils s'inquiètent pour l'avenir des populations de champignons. "C'est grâce aux mycologues amateurs (12 associations, 2 000 membres) que 300 nouvelles espèces de champignons ont été découvertes au Québec depuis 15 ans", rappelle Raymond Archambault du Cercle des mycologues de Montréal. "L'exploitation commerciale prend de l'ampleur alors qu'on a une connaissance encore partielle de la diversité mycologique du territoire (1 620 espèces présentement). Dans aucun cas, les droits ou privilèges accordés par le gouvernement ne devront être préjudiciables aux activités des groupes de mycologues amateurs. Leur dynamisme est garant du maintien et du développement de la connaissance de la biodiversité mycologique au Québec."
Cette réaction fait suite au projet du gouvernement québécois de mettre en place un cadre de gestion pour la récolte commerciale de produits non ligneux tels que les champignons. Marie Duchaîne, étudiante-chercheure à la Faculté de droit, a scruté à la loupe les mesures juridiques instaurées ailleurs en Amérique du Nord pour contrôler l'exploitation commerciale des champignons forestiers. "Aux États-Unis, la Californie, l'Oregon et Washington ont adopté des lois régissant le commerce des espèces forestières autres que les arbres. Au Canada, seule la Colombie Britannique a inclus un article à ce sujet dans une loi mais son application est restée lettre morte. Toutes ces juridictions ont mis en place un système de permis."
"C'est garanti que si on laisse aller cette activité sans contrôle, on peut détruire la ressource comme on l'a fait avec l'ail des bois et le ginseng, croit Yves Piché. Par contre, si c'est développé avec intelligence, il ne devrait pas y avoir de problème et ça va créer une nouvelle activité économique en forêt."
Champignons II?
"En toute modestie, nous estimons que le but du colloque a été
atteint, résume Yves Piché. Nous attendions 50 personnes et
il y a eu plus de 200 participants de toutes les régions du Québec.
Parmi eux, se retrouvaient aussi bien des bûcherons et des gastronomes
que des scientifiques et des cuisinières." Même Janette
Bertrand, mycologue amateure passionnée, est venue parler pour parler
des champignons de sa région!
La popularité de ce premier colloque a semé la graine pour une nouvelle rencontre sur les champignons, annonce Yves Piché. Cette fois, les discussions porteraient sur les champignons thérapeutiques ou encore sur les champignons qui causent des allergies ou des maladies.