18 février 1999 |
La foi et la science appartiennent à deux univers différents. Que se passe-t-il quand on veut les combiner? Bilan d'un échange entre un évolutionniste et un créationniste.
Les membres du Groupe évangélique étudiant "Campus pour le Christ" ont de quoi être fiers. Mercredi dernier, par une petite soirée frisquette de février, ils ont réussi à faire sortir 350 personnes de leur tanière pour assister à un débat sur les origines de la vie. Pour être bien certains qu'il y ait débat, les organisateurs avaient pris soin d'inviter deux personnes aux vues diamétralement opposées: Lawrence Tisdall, fondateur de l'Association de science créationniste du Québec et Cyrille Barrette, professeur d'évolution au Département de biologie.
Mais les premiers mots de l'évolutionniste ont jeté une douche froide sur l'assemblée surchauffée. "Il n'y aura pas de débat scientifique sur les origines de la vie ce soir, a lancé Cyrille Barrette. D'une part, parce qu'il n'y a qu'un scientifique sur cette scène et que je n'ai pas l'intention de débattre avec moi-même. D'autre part, parce qu'un scientifique ne peut discuter avec un créationniste. Ce n'est pas une question de mauvaise volonté. C'est la nature même de leurs positions qui empêche tout échange. Je ne suis pas arrivé à cette conclusion à la légère mais après 25 ans de lecture, de réflexion et de discussions avec plusieurs sortes de créationnistes, scientifiques ou non." Par définition, a-t-il expliqué, un scientifique est quelqu'un qui tente de comprendre la nature sans faire appel à des forces surnaturelles, qui alimente sa réflexion par des faits, qui fait confiance à sa raison, qui fait montre d'esprit critique et qui cherche constamment de meilleures explications pour comprendre ce qu'il observe. Il est prêt à rejeter n'importe quelle théorie, conscient qu'elles sont toutes provisoires, contrairement aux dogmes qui sont éternels.
À l'opposé, a-t-il poursuivi, un créationniste est quelqu'un qui fait une lecture littérale de la Bible, qu'il assimile à un traité de paléontologie et de zoologie. C'est quelqu'un qui fait appel à un créateur surnaturel pour expliquer la nature, la vie et l'Homme. "Le créationnisme scientifique, c'est la foi maquillée en science. La foi et la science ne peuvent ni s'aider, ni se nuire, ni discuter car elles appartiennent à deux domaines totalement différents. Vouloir les combiner dans un même discours est absurde et risible. Je mets Lawrence Tisdall au défi de nous dire une seule chose que le créationnisme scientifique nous a appris sur les origines de la vie."
Chercheur de vérité
Détenteur d'une maîtrise en sciences de l'Université
McGill, Lawrence Tisdall se réclame à la fois de la science
et de la foi. "Je suis un chercheur de vérité. Pour moi,
la science relève des choses qui sont observables avec nos cinq sens.
La question des origines de la vie n'est pas l'affaire de la science parce
que personne n'était là pour observer quand la première
cellule est apparue. C'est donc une question qui concerne la foi."
Sa formation et ses lectures, a-t-il expliqué, lui ont permis d'identifier des éléments de la théorie de l'évolution pour lesquels la science n'a pas de réponses. Mettant tour à tour en relief des principes scientifiques tels que la loi de la biogenèse, les lois de la thermodynamique, la complexité irréductible, l'ordre et la complexité de l'information contenue dans l'ADN, Lawrence Tisdall en arrive à la conclusion qu'un programmeur intelligent doit forcément se cacher derrière l'infinie complexité de la vie. "On nous reproche de faire une lecture littérale de la Bible mais les scientifiques ne font-ils pas une lecture équivalente de l'Origine des espèces de Darwin?", a-t-il demandé.
Foi scientifique
Selon Cyrille Barrette, les créationnistes ne sont pas représentatifs
de tous les croyants ni de tous les chrétiens. "C'est une sorte
de croyants très particuliers. La plupart des chrétiens ne
font pas une lecture littérale de la Bible et nombre d'entre eux
n'ont pas de problèmes avec l'évolution. Même le pape
a reconnu, en octobre 1996, que le corps de l'Homme était le produit
de l'évolution."
Interpréter la Bible comme le font les créationnistes, caricature le professeur, équivaut à utiliser une balance pour mesurer la légèreté de mes propos, à faire référence à la loi de la gravitation universelle pour évaluer la gravité de mes affirmations ou encore à mesurer le contenu en hémoglobine du vin de messe avant et après que le prêtre ait prononcé les paroles: "Ceci est mon sang". "Ne trouvant jamais d'hémoglobine, je vais conclure que l'affirmation est fausse et je vais en déduire que Dieu n'existe pas."
"La science est en quelque sorte fondée sur la foi, a reconnu Cyrille Barrette en guise de conclusion. Je crois pouvoir expliquer l'univers avec ma raison. Mais la science a aussi ses limites. Je ne sais pas comment est apparue la première cellule et je ne sais pas pourquoi les poissons sont sortis de l'eau. Par contre, je sais que les réponses ne se trouvent pas dans la Bible et je sais aussi que si un jour on trouve des réponses, elles viendront de la science. Pas de la science créationniste."