11 février 1999 |
Des chercheurs du Département de génie civil apportent leur grain de sel aux discussions sur les façons de concilier les routes et le froid
À part le froid, la majorité des 1,7 milliard d'êtres humains qui vivent entre les 55e et 60e parallèles partagent un point en commun: même l'hiver venu, ils se déplacent en automobile, sur des routes. Au Canada seulement, 800 000 kilomètres de route sillonnent le paysage. Construits pendant les années de vaches grasses économiques, les réseaux routiers sont aujourd'hui criblés de nid-de-poules et de ventre-de-boeufs; l'entretien de cette basse-cour coûte de gros sous. Dans l'ensemble du pays, même si à peine 37 % du réseau est pavé, plus de 6 milliards de dollars sont investis chaque année pour refaire ce que le temps et le mauvais temps détruisent. La même question hante tous les pays nordiques du monde: peut-on construire et entretenir des routes sans y engouffrer des fortunes?
Voilà l'un des sujets débattus lors du premier Sommet mondial de la nordicité, qui avait lieu la semaine dernière à Québec. Parmi les participants venus de 17 pays nordiques pour échanger sur leur combat contre le froid, les chercheurs Guy Doré, Jean-Marie Konrad et Marius Roy, du Département de génie civil, ont apporté leur grain de sel aux discussions.
Isoler les routes?
La plus grande partie du réseau routier québécois
est située dans une zone soumise au gel pendant une période
de quatre ou cinq mois par année. L'eau qui pénètre
sous la route forme des lentilles qui, sous l'effet du gel, se gonflent
et provoquent un soulèvement non uniforme de la chaussée avec
les résultats que l'on sait. Pour contrer l'action du gel, des chercheurs
ont proposé d'installer un isolant dans la chaussée, comme
on le fait pour les habitations. Jean-Marie Konrad et ses collègues
Guy Doré et Marius Roy, du Groupe de recherche en géotechnique
routière, ont profité du Sommet sur la nordicité pour
présenter les résultats d'un projet, mené de concert
avec Transports Québec, portant sur l'essai de divers isolants (polystyrène,
sciure de bois, copeaux de plastique recyclé, copeaux de pneus, béton
isolant) sur des routes du Québec.
"Du côté thermique, les matériaux remplissent tout de suite leur rôle, souligne Jean-Marie Konrad. Mais, après trois ans, on ne peut pas encore conclure que ça marche ou qu'un matériau est meilleur qu'un autre parce qu'aucun isolant n'a encore subi l'épreuve du temps. Lorsqu'on parle de routes, la grande question est le temps. Le matériau conservera-t-il ses propriétés? À quelle profondeur faut-il l'enfouir? Quelle est la déformation acceptable de la route? Il y a encore beaucoup de questions et peu de réponses pour l'instant."
Ce qui se conçoit bien...
Bien qu'il existe de bonnes connaissances des phénomènes
associés à l'action du gel et du dégel sur la détérioration
de la chaussée, les méthodes de conception des routes demeurent,
encore aujourd'hui, essentiellement empiriques, a souligné Guy Doré.
Pour mettre un peu de science dans l'empirisme routier, le professeur Doré
et ses collègues Konrad et Roy ont conçu une nouvelle approche
de conception des chaussées en conditions de gel.
Cette méthode, qu'ils ont baptisée ADAAGE (analyse de la détérioration anticipée sous l'action du gel), fait appel aux réponses mécaniques et thermodynamiques de la chaussée sous l'effet du climat et du trafic. Ces réponses servent à prédire la performance de la route et, au besoin, à en modifier les paramètres de conception. L'originalité de cette approche, disent ses concepteurs, est qu'elle permet de calculer le rapport coûts-bénéfices des mesures prises pour contrer les effets du gel. La méthode est en voie d'implantation au ministère des Transports du Québec mais elle devra être validée dans des conditions réelles du réseau routier, ont souligné les chercheurs. Ces tests serviront à déterminer si la procédure ADAAGE peut tenir la route, même dans la froidure des hivers québécois.