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14 janvier 1999 ![]() |
Au moment où se termine, à Québec, une grande rencontre internationale sur le transfert d'embryons, le plus grand défi des spécialistes du domaine semble plus clair que jamais: expliquer leurs recherches à la population.
Au-delà de l'amélioration des techniques de transfert d'embryons, de clonage et de manipulations génétiques, le grand défi qui se pose aux spécialistes de la biologie de la reproduction en cette fin de millénaire est à la fois simple et complexe: expliquer leur travail à la population. "Il faut que le public sache que nos recherches visent simplement à améliorer les choses pour le bénéfice de tous, insiste Marc-André Sirard, directeur du Centre de recherche en biologie de la reproduction (CRBR) de l'Université Laval. Nous ne sommes pas au service des grandes corporations et nous sommes disposés à débattre des aspects éthiques de nos travaux pour nous assurer de ne pas dépasser les limites. Si les chercheurs ne parviennent pas à relever ce défi, ils vont se voir imposer des barrières partout pour encadrer leurs recherches."
Ces propos sont bien pesés au moment où se termine, à Québec, le 25e Congrès annuel de l'International Embryo Transfer Society, dont Marc-André Sirard présidait l'organisation. En effet, les communications scientifiques présentées par les spécialistes lors de cet événement montrent que la cadence des progrès est telle que les opposants à l'intervention humaine dans la reproduction animale ou humaine peuvent facilement trouver matière à s'inquiéter.
Transfert de... connaissances
Bien que les travaux présentés au congrès de Québec
portaient essentiellement sur le transfert d'embryons animaux, de nombreux
spécialistes de la reproduction humaine assistaient à l'événement,
signale Marc-André Sirard. Car si le premier bébé-éprouvette,
Louise Brown, a vu le jour en Angleterre en 1978, trois années avant
le premier veau-éprouvette, c'est maintenant du côté
animal que surgissent les techniques qui refoulent les frontières
du possible.
Les spécialistes en transfert d'embryons animaux poursuivent un but en apparence fort simple: produire rapidement de nombreux descendants à partir d'animaux possédant des caractéristiques souhaitées. Chez les vaches laitières par exemple, les techniques de transfert d'embryons permettent d'obtenir plusieurs dizaines de descendants à partir d'une vache performante (pour la production de lait particulièrement), alors que, livrée à son cycle naturel, celle-ci donnerait au plus six veaux. Comme un embryon de vache championne vaut de 3 000 $ à 5 000 $ - et de 25 000 $ à 50 000 $ dans le cas de vaches vraiment exceptionnelles - un important marché mondial d'embryons congelés a déjà cours. "Avec les États-Unis et la Hollande, le Canada compte parmi les pays les plus avancés en génétique laitière", indique Marc-André Sirard.
Au Québec, un éleveur de vaches sur cinq s'aventure du côté du transfert d'embryons. Il reste encore plusieurs problèmes à régler pour convaincre plus d'éleveurs d'investir de ce côté, reconnaît Marc-André Sirard:"L'héritabilité des caractères laitiers n'est pas très forte et elle dépend de plusieurs gènes, de sorte qu'il arrive que deux bons géniteurs donnent des descendants dont la production laitière est décevante." Le taux de réimplantation des embryons congelés atteint maintenant 60 %, ce qui approche sérieusement le taux de succès obtenu avec la simple insémination artificielle (70 % à 75 %). "Par contre, les veaux transplantés sont plus faibles et plus paresseux, signale Marc-André Sirard. Il faut souvent leur pomper de l'air dans les poumons à la naissance."
Selon le chercheur, l'un des principaux problèmes techniques encore à résoudre du côté du transfert d'embryons consiste à identifier et à améliorer la qualité des ovules, c'est-à-dire leur capacité de donner des embryons viables. Le problème de la congélation des ovules (pour assurer leur survie pendant le transport) semble réglé puisque des chercheurs ont présenté, lors du congrès, une méthode de vitrification rapide des ovules.
L'après-Dolly
Côté clonage, il faudra trouver des façons de préparer
les cellules des donneurs et des receveurs pour améliorer le taux
de succès de la méthode, croit Marc-André Sirard. La
technique mise au point par le père de la brebis Dolly, Ian Wilmut,
d'ailleurs présent au congrès de Québec, fonctionne
dans un cas sur 200. Des Japonais viennent d'annoncer dans la revue Science
que leur méthode réussit dans un cas sur 30. "Il y a
encore beaucoup de mortalité pendant la grossesse et à la
naissance, mais le clonage fonctionne, insiste Marc-André Sirard.
Il a fallu du temps pour que des chercheurs parviennent à reproduire
l'expérience de Wilmut mais c'était des délais normaux
parce qu'il fallait procéder par essai et erreur."
Les chercheurs du CRBR ont mis au point une méthode de transfert de gènes qui présente un potentiel énorme pour le marché des animaux transgéniques. Il s'agit d'un procédé biotechnologique qui accroît de façon spectaculaire l'efficacité des transferts de gènes dans des embryons animaux. Grâce à ce procédé, le transfert réussit avec un embryon sur trois alors que le taux de succès obtenu avec les autres méthodes est d'environ un embryon sur 1000. "Auparavant, on n'avait aucune idée de l'endroit où allait s'insérer le gène qu'on introduisait, explique Marc-André Sirard. On tirait dans le noir en espérant que le gène trouve un bris dans l'ADN. Maintenant, on connaît nos cibles et on ajoute des bouts collants au gène pour qu'il aille s'y fixer."
Même si les techniques de clonage continuaient de s'améliorer, elles ne remplaceront pas le transfert d'embryons, assure le chercheur. "Le clonage est utile pour fabriquer des animaux transgéniques, pour ajouter une caractéristique aux attributs d'un animal ou pour introduire des gènes dans des cellules. Mais, si on veut améliorer les caractéristiques des animaux, il faut faire des croisements de gamètes et du transfert d'embryons. Avec le clonage, on fait du surplace en amélioration génétique."
JEAN HAMANN