14 janvier 1999 |
Devancant les chercheurs américains et allemands, une équipe du Laboratoire d'organogenèse expérimentale met au point une méthode de culture cutanée révolutionnaire
Des chercheurs du Laboratoire d'organogenèse expérimentale (LOEX) de la Faculté de médecine ont réussi à fabriquer en laboratoire des tissus cutanés irrigués par des capillaires sanguins. Ces tissus, destinés à remplacer la peau morte des grands brûlés, constituent ce qui s'apparente le plus à la véritable peau humaine. La présence de ces petits vaisseaux sanguins devrait théoriquement accroître le taux de succès des greffes de peau cultivée et activer la guérison des grands brûlés.
D'abord annoncée lors d'un congrès présenté à Cologne, cette découverte vient d'être publiée dans un article paru dans le dernier numéro du FASEB Journal sous la signature des chercheurs Annie Black, François Berthod, Nicolas L'Heureux, Lucie Germain et François Auger. "La nouvelle a été accueillie avec enthousiasme par les spécialistes du domaine, raconte la coordonnatrice scientifique du LOEX, Lucie Germain. À Cologne, les gens étaient sidérés. Il nous a fallu moins de trois ans pour arriver à produire cette peau vascularisée alors que des chercheurs américains et allemands n'y étaient pas parvenus en cinq années d'essais. L'expertise qu'on avait accumulée au Laboratoire nous a servi pour aborder le problème différemment."
En pièces détachées
En effet, depuis 1985, les chercheurs du LOEX, que François Auger
dirige, travaillent à mettre au point des méthodes de culture
cutanée pour traiter plus efficacement les grands brûlés.
Il y a quelques années, les médecins utilisaient des membranes
synthétiques ou de la peau de cadavre pour panser les régions
calcinées du corps des patients. Ces solutions n'étaient toutefois
que temporaires car, dans le premier cas il ne s'agissait que d'un pansement,
et dans le deuxième, la peau greffée était éventuellement
rejetée. Confrontés à ce problème, des chercheurs
américains ont mis au point, en 1984, une méthode permettant
de cultiver et de greffer sur le corps d'un individu brûlé
des sections d'épiderme à partir d'un petit échantillon
de ses propres cellules épidermiques. Les chercheurs du LOEX ont
repris cette méthode et, à force d'essais et d'erreurs, ils
ont réussi à synthétiser un "équivalent
cutané" qui, comme la vraie peau, comprend le derme et l'épiderme.
Il y a un an exactement, les chercheurs du LOEX récidivaient en annonçant qu'ils étaient parvenus à produire le premier vaisseau sanguin entièrement biologique. "D'ici quelques années, à partir de cellules prélevées chez un patient, on pourra fabriquer des vaisseaux et les lui greffer pour remplacer de petits vaisseaux défectueux du coeur ou des membres inférieurs", estime Lucie Germain.
Le procédé de fabrication de la peau vascularisée résulte, en quelque sorte, d'une combinaison des techniques utilisées pour la culture de la peau et des vaisseaux sanguins, explique la chercheure. La présence de capillaires dans la peau cultivée pourrait grandement améliorer le taux de succès des greffes de la peau. "Les capillaires sont de petits vaisseaux sanguins qui apportent de la nourriture aux tissus. Jusqu'à présent, la peau greffée ne contenait pas de capillaires et comme il fallait un certain temps pour que l'organisme du patient en fabrique, les cellules de l'épiderme pouvaient mourir et être rejetées." Ces risques sont moindres avec la peau développée par le LOEX puisque le revascularisation s'effectuera plus rapidement, anticipent les chercheurs. Des tests sont présentement en cours pour évaluer le taux de succès de la greffe de peau vascularisée.
Scientifiques de l'année
Grâce à leurs travaux sur la fabrication du premier vaisseau
sanguin entièrement biologique et sur la production de peau vascularisée,
François Auger et Lucie Germain viennent de recevoir le titre de
"Scientifiques de l'année de Radio-Canada pour l'année
1998". La Société Radio-Canada leur a officiellement
attribué cette distinction leur d'une cérémonie présentée
mardi dans les locaux du LOEX, au pavillon Saint-Sacrement du Centre hospitalier
affilié universitaire de Québec.
La sélection du "Scientifique de l'année de Radio-Canada" incombe aux journalistes de l'émission Les Années lumière, animée par Yannick Villedieu. À noter que c'est la première fois en douze ans que deux lauréats partagent ce titre. Aucune bourse n'est rattachée à cet honneur mais les chercheurs "gagnent" une longue entrevue, diffusée d'un océan à l'autre, aux Années lumière. Cette entrevue sera d'ailleurs diffusée le dimanche 17 janvier de 12 h13 à 13 h. Le même jour, l'émission Découvertes, diffusée à 18 h 30, consacrera un reportage aux travaux des chercheurs Auger et Germain.
JEAN HAMANN