10 décembre 1998 |
Dans le livre Les héritiers de Prométhée, l'astrophysicien Jean-René Roy scrute l'impact des sciences sur la planète des bipèdes
La dédicace du livre Les héritiers de Prométhée dérange: "Aux hommes de Srebenica, qui en juillet 1995, basculèrent sous nos yeux indolents dans la gueule du Mal." L'auteur de l'ouvrage, l'astrophysicien Jean-René Roy, loin d'avoir voulu créer un effet de sensiblerie gratuit, estime que ces quelques mots résument l'un des plus importants messages du livre. "Cette journée-là, des satellites ont capté des images montrant les 10 000 à 12 000 Bosniaques que les Serbes faisaient monter dans des autobus pour les amener sur les lieux d'exécution. Les forces de l'ONU, qui étaient sur place, ont enregistré les événements sur vidéo. La technologie nous disait ce qui se passait et nous n'avons rien fait. Nous avions les connaissances, nous avions l'information mais l'humanité est demeurée endormie. Passer à l'action est un défi qui dépasse la science. C'est un défi moral pour nous tous."
Plus que jamais, estime le professeur du Département de physique, l'humanité semble emportée par des forces plus grandes que les individus, plus grande que les sociétés et plus grande que l'humanité elle-même. "Nous faisons partie d'un grand mouvement qui nous amène à créer des outils, à modifier notre environnement et, bientôt, à nous modifier nous-mêmes. Cette pulsion de connaissances semble aussi forte, sinon plus, que la pulsion de reproduction. Il faut, à la fois, reconnaître la puissance de ce mouvement et en faire partie. D'où la nécessité d'une culture scientifique parce que la connaissance est toujours préférable à l'ignorance, surtout pour les savoirs terrifiants, comme disait le physicien américain Edward Teller."
C'est à ce noble projet que concourt Jean-René Roy en publiant, aux Presses de l'Université Laval, Les héritiers de Prométhée. Personnage de la mythologie grecque qui a dérobé le feu aux dieux pour le donner aux hommes, Prométhée symbolise l'ambition humaine dans la recherche de la vérité et la révolte de l'homme contre la tyrannie de la matière. À la façon de Prométhée modernes, les scientifiques transmettent de nouvelles connaissances à l'humanité, et leurs découvertes, tout comme le feu, comportent des avantages et des dangers. Pour les besoins du livre, l'astrophysicien, qui a utilisé les plus grands télescopes terrestres de même que le télescope spatial Hubble, tourne sa lorgnette vers la Terre pour y observer les bienfaits et méfaits de la science sur les sociétés humaines au cours des derniers siècles. "Il existait déjà des ouvrages sur les répercussions sociales des sciences mais la très grande majorité ont été écrits par des sociologues ou des philosophes des sciences, signale Jean-René Roy. J'ai voulu me prêter à ce même exercice mais du point de vue d'un scientifique praticien."
Du cours au livre
Le point de départ de cet ouvrage est le cours Sciences et société,
mis sur pied en 1995 par Jean-René Roy. "Il s'agissait d'un
cours d'intérêt général destiné aux étudiants
du baccalauréat en enseignement secondaire. Sans le cours, il n'y
aurait pas eu de livre, pas par manque d'intérêt mais faute
de temps. Si j'ai écrit ce livre, c'est pour donner corps à
la réflexion amorcée grâce au cours, pour la partager
et pour ne pas laisser l'effort de pédagogue dans le noir."
L'ouvrage n'est pas un recueil de notes de cours, précise bien son auteur. "Il y a eu un gros effort d'écriture pour donner un fil conducteur à l'ensemble et pour ajouter les mises en contexte et les transitions qui en font un texte unifié. J'ai mis 20 mois à fignoler la version finale. L'exercice a été très difficile mais aussi très satisfaisant."
Les héritiers de Prométhée s'adresse à tous ceux qui s'intéressent aux répercussions des sciences dans leur vie et aussi "à mes collègues scientifiques ainsi qu'aux philosophes et sociologues des sciences", dit l'auteur. En fait, tous ceux qui croient que la science, au même titre que la musique, la littérature ou la peinture, s'inscrit parmi les plus grandes aventures de l'esprit humain, y trouveront leur compte.