10 décembre 1998 |
LES PAYS PAUVRES ET LA QUESTION DE L'ABOLITION DE LA DETTE
Le groupe de Développement et Paix de l'Université Laval a présenté, dans un article publié dans le Fil des événements du 5 novembre 1998 et intitulé "Abolissons la dette des pays pauvres", sa campagne de sensibilisation au problème de la dette des pays les plus pauvres. Cette campagne prend la forme d'une pétition à signer qui sera remise aux leaders du G8 en juin 1999 et où il est demandé aux dirigeants des pays créanciers de renoncer aux dettes des pays les plus pauvres d'ici l'an 2000, et de faire en sorte que cette annulation de la dette s'accompagne d'investissements dans le domaine de la santé et de l'éducation.
Nous sommes conscients qu'une telle démarche ne permettra pas de résoudre complètement le problème de la pauvreté dans les pays en voie de développement. La résolution de ce problème, qui est fort complexe, nécessiterait une réforme monétaire en profondeur. Mais à défaut de pouvoir se battre sur tous les fronts en même temps, nous avons choisi, cette année, de nous attaquer au "front" de la dette.
Il ne faut cependant pas oublier que, conjointement à cette campagne, d'autres actions sont, ou ont déjà été, entreprises pour lutter contre la pauvreté des pays en voie de développement. Pensons à la campagne de sensibilisation de Développement et Paix de 1996 qui demandait aux entreprises multinationales Nike et Levi's d'accepter une surveillance indépendante dans leurs usines de sous-traitance dans les pays en voie de développement pour faire en sorte que les codes de conduite soient respectés et que les travailleurs(ses) soient traités et payés équitablement. Il faut aussi mentionner une initiative comme celle du commerce équitable qui nous permet d'avoir accès, ici même à Québec, à des produits (café, thé, épices, chocolat...) venant directement de producteurs indépendants, c'est-à-dire qui ne sont pas passés par les multinationales ou les marchés boursiers, et à un coût environ une fois et demie plus cher que ceux offerts dans les supermarchés. Les profits de ces ventes vont directement aux producteurs. Il faut enfin mentionner un appui croissant en faveur de la taxe Tobin. Cette taxe de 0,25 % sur les opérations de change générerait des revenus annuels de l'ordre de 302 milliards $ (US). La taxe Tobin, tout en ayant un effet dissuasif sur la spéculation excessive, accorderait aux gouvernements une plus grande latitude pour élaborer leur politique monétaire.
Le problème de la pauvreté des pays en voie de développement est, bien sûr, un problème d'ordre économique, mais il comporte également un aspect d'ordre moral. Pouvons-nous accepter sans broncher que des millions d'êtres humains vivent dans la misère ? Pouvons-nous refuser de partager notre superflu avec des personnes qui n'ont même pas l'essentiel ? Pour que le monde tourne plus juste, NOUS devrons changer et NOUS devrons abaisser notre niveau de vie...
LE WAYNE GRETZKY DES SCIENCES SOCIALES
Après Léon Dion en 1977, et Gérard Bergeron une décennie plus tard, Vincent Lemieux vient de remporter le Prix Léon-Gérin, offert à un chercheur en sciences humaines et sociales par le gouvernement du Québec. Dans nos disciplines, le Prix Léon-Gérin est la plus haute distinction à laquelle un universitaire peut aspirer au Québec. C'est donc un immense honneur qui échoit à Vincent Lemieux et il le mérite.
La carrière de Vincent Lemieux à l'Université couvre quatre pleines décennies. Et ce n'est pas terminé, loin de là. Elle a été jusqu'à présent extraordinairement remplie, dans tous les secteurs d'activités. Notre collègue n'a pas lésiné devant les tâches administratives. Ses enseignements ont été nombreux et diversifiés. Dans la supervision des étudiants gradués, Vincent Lemieux est le Wayne Gretzky des humanités et des sciences sociales au Canada.
Toutefois, c'est la production scientifique de Vincent Lemieux qui lui vaut le Prix Léon-Gérin. Il a cheminé entre l'influence et le pouvoir, oscillant entre la rigueur empirique et la précision théorique. Ses amis, les regrettés Léon Dion et Fernand Dumont, seraient fiers de lui. Au Département de science politique de l'Université Laval, nous sommes toutes et tous très fiers de lui.
Je ne marche plus. Je ne marche plus devant l'argent qui trône sans la conscience véritable de la personne. Je ne marche plus devant la conscience spécieuse dont se réclament les administrateurs pour faire plus de profits ou d'économies, en supprimant des emplois plutôt que les dépenses valorisant leur image. Je ne marche plus devant la conscience opportuniste dont se parent les politiciens pour assainir les finances publics, en rendant les patients plus malades par l'angoisse de se faire traiter. Je ne marche plus devant le capital sauvage, devant l'autel sacro-saint de la réélection à tout prix, au mépris de la considération de la personne.
Prenons le cas de l'appétit insatiable des Expos. Ce club de baseball bénéficie déjà d'un important soutien collectif par la location d'un équipement public à des conditions fort avantageuses. Il réclame néanmoins la construction d'un nouveau stade au centre-ville de Montréal moyennant la participation des gouvernements. Cette entreprise privée, guère rentable selon les lois du marché, cherche à détourner des deniers publics à son avantage par sa force d'influence démesurée, sinon par le chantage. Ainsi les fonds publics en cause serviraient plus à arrondir la fortune de quelques financiers qu'à contribuer au mieux-être du citoyen.
Le cas pathétique d'un honnête citoyen a donné le frisson récemment. Un malfaiteur tente de commettre un vol dans une caisse populaire de Montréal. La caissière, en sécurité derrière une vitre pare-balles, applique la consigne rigoureuse de ne pas remettre l'argent, même celui d'un client mis en joue qui lui ordonne de le faire. Le bandit blesse le client et le rend paraplégique jusqu'à la fin de ses jours. La vie de cette personne n'a pas fait le poids contre l'application stricte d'une directive administrative. Une banque devient ainsi un centre de profits à tout prix, au mépris même de ses clients. L'intégrité du capital a primé sur l'intégrité de la personne.
Le ministre de la Santé a feint de ne pas avoir été informé des longs délais de traitement en radio-oncologie, alors que les spécialistes dénoncaient la situation depuis longtemps. Dirigez des patients vers d'autres hôpitaux, suggère-t-il candidement, alors que les listes d'attente sont longues partout. Le souci de l'image publique pour un politicien en réélection l'a emporté sur la considération sérieuse de malades en attente de soins urgents. Les technocrates et les psychologues du management ont promu le travail comme facteur d'épanouissement personnel. La réalité rend caduque cette théorie. Dans le "Guide du gestionnaire" publié en octobre dernier par le journal Les Affaires, on lit en page 9 que "la mondialisation de l'économie et le phénomène des fusions et acquisitions transfrontalières qui en découlent sont en train de provoquer une rupture profonde entre l'individu et le marché du travail".
Les travailleurs éprouvent un sentiment d'impuissance à vouloir respecter leur engagement selon leurs convictions. Les infirmières, par exemple, succombent d'épuisement, à pallier les conséquences négatives des compressions budgétaires sur le traitement des malades. Que reste-t-il de l'épanouissement au travail, de la réalisation de soi dans la contribution à une oeuvre collective, du progrès par la motivation à l'amélioration, de la considération des principes qui devraient primer? Le travail n'est plus un milieu de vie et d'épanouissement mais un lieu obligé pour la survie. La dégradation des conditions d'emploi consacre la rupture entre l'être au travail et l'être tout court.
En même temps qu'ils sabrent dans les services à la population, les gouvernements continuent de déverser des deniers publics dans des gouffres financiers, en cédant au chantage à l'emploi de la part des grandes multinationales avides de profits. Les pouvoirs publics compromettent ainsi la réalisation de leur mission sociale au profit du capitalisme débridé. Où se situe la conscience pour la personne, sinon loin derrière l'argent? L'être humain doit-il se mettre servilement à la disposition du capital? Le citoyen devient-il le grain de sable qui enraie la machine des services publics?
Des situations que je viens d'évoquer, un trait commun se dégage: la perte du sens de la finalité première au profit de finalités déviées. Cette tendance cache une conséquence très lourde: le glissement de la personne vers le bas dans la hiérarchie des valeurs. Le gouvernement comme institution émane d'un souci de répartir équitablement la richesse et d'assurer le bien-être de la population. Cédant aux attraits du néolibéralisme, les gouvernements actuels tendent à laisser aux lois du marché le soin de cette répartition et de ce mieux-être. Ces lois de l'économie libre ont pourtant pour but d'accroître la richesse déjà possédée, celle des mieux nantis en nette minorité dans la population, et non pas d'assurer une répartition juste de la richesse collective.
Un service public vise le mieux-être du citoyen. On croirait que ces services deviennent davantage des lieux d'affrontement d'intérêts conflictuels. Dans le cas récent de l'Hôpital de Jonquière, les médecins, sur fond de chantage par les malades pris en otages, ont extorqué des concessions opportunistes du premier ministre Bouchard. Les premiers ont obtenu le relèvement de leur plafond salarial de 10 000 $, le dernier a remporté une paix circonstancielle indispensable à sa réélection. Et les patients eux, qu'ont-ils gagné?
Les entreprises accroissent scandaleusement leurs profits à coups de congédiements. On est porté à croire que les employés représentent davantage une hypothèque qu'un investissement de production. La personne, c'est-à-dire le contribuable, le patient, l'étudiant, l'usager du transport en commun, ne représente plus la finalité première d'un service mais presque un prétexte. Le service public devient davantage un lieu de pouvoir, un champ de négoce où s'affrontent des intérêts
politiques, financiers et corporatistes, où des acteurs antagonistes en apparence pactisent pour leurs profits respectifs, le tout sur fond de scène social. La finalité première glisse vers une finalité déviée, plus réelle qu'avouée, centrée sur l'argent ou sur le pouvoir pour lui-même, au détriment de la personne.
L'être humain est censé représenter l'aboutissement le plus raffiné de la longue évolution de l'univers, la fin de celui-ci. En deviendrait-il seulement un moyen?
LA MUSIQUE ENTRE POÉSIE ET MAGIE
Le 22 novembre dernier avait lieu à la Faculté de musique un concert de musique de chambre où on a pu entendre principalement, en présence du compositeur, des oeuvres de Henryck Mikolaj Gorecki. Malheureusement, l'exécution du concerto pour clavecin a été substantiellement altérée (à la demande du compositeur semble-t-il) par l'amplification électrique de l'instrument soliste.
De tous temps les plus grands philosophes et beaucoup de grands musiciens ont réfléchi profondément et très différemment à la nature de la musique. La plupart s'entendent pour dire que, de tous les arts, la musique est le plus signifiant. Tous s'entendent pour dire que ce qui donne vie à la musique, comme à tous les arts, c'est l'intuition poétique: la Poésie au sens le plus profond et transcendantal du terme. Et tous s'entendent aussi pour dire, chacun à leur manière, que cette Poésie au sens le plus profond et transcendantal s'exprime d'abord et avant tout dans et par l'amour de la nature.
C'est pourquoi la sonorité naturelle d'un instrument naturel est d'essence poétique et authentiquement musicale. C'est aussi pourquoi elle est authentiquement expressive du musicien qui fait corps avec son instrument (la philosophie de l'éducation musicale fonde justement la musique sur l'authentique expression du sentiment humain). Or, du strict point de vue de la sonorité (qui est cependant fondamental), l'amplification électrique vient interrompre et différer cette expression. En effet, comment puis-je ressentir comme véritablement expressif d'un claveciniste un son qui me parvient d'un point (le haut-parleur) où il ne se trouve pas?
La notion même d'expression implique un mouvement de l'intérieur vers l'extérieur. Étant donné que, obligatoirement, la sonorité électrique provient d'un point extérieur, complètement dissocié de l'instrumentiste, elle ne peut ni logiquement ni esthétiquement être considérée comme authentiquement expressive. De plus, provenant d'un point forcément autre, la sonorité électrique est d'essence magique, le propre de la magie étant justement une confusion spatio-temporelle. La sonorité électrique n'est ni poétique, ni expressive: elle est "trippante"
C'est cette différence essentielle entre Poésie et Magie qui distingue la sonorité naturelle de la sonorité électrique, l'expression musicale de la non-expression musicale, la communication musicale de l'incommunication musicale... la musique de l'anti-musique.Et très malheureusement, cette distinction essentielle, vitale, entre Poésie et Magie, les musiciens, aspirés de plus en plus par le Nouvel-Age et la Post-Modernité, ne la font presque plus.