26 novembre 1998 |
En étudiant le comportement des conducteurs québécois, l'étudiante-chercheure Bérengère Vasseur remet en lumière la relativité de la vitesse.
Près de 75 % des conducteurs admettent ne pas respecter les limites de vitesse sur les autoroutes du Québec et 62 % des automobilistes avouent transgresser la vitesse maximale sur les routes secondaires. En fait, le conducteur moyen se confesse de rouler à 112 km/h sur autoroute et à 97 km/h sur route secondaire, révèle l'étude que Bérengère Vasseur vient de compléter dans le cadre d'une maîtrise au Département d'aménagement. Rappelons, pour ceux qui l'ignoreraient - et ils semblent être légion si on en juge par les statistiques de son étude -, que les limites maximales sont respectivement de 100 km/h et de 90 km/h sur les autoroutes et sur les routes secondaires du Québec.
La nouvelle de ce non-respect de la loi peut sembler ne pas en être une tellement la désobéissance civile à l'endroit des limites de vitesse est la règle au Québec. Mais le mérite du mémoire de Bérengère Vasseur, réalisé sous la direction de Guy Paquette, du Groupe de recherche sur la sécurité routière, est de mettre des chiffres sur les péchés véniels confessés par les automobilistes eux-mêmes. L'étudiante-chercheure a recueilli les témoignages de 1 452 automobilistes afin de mesurer l'influence de certains facteurs environnementaux et individuels sur la vitesse de conduite.
Suivre le trafic
Selon l'étudiante-chercheure, les comportements adoptés
par les conducteurs indiquent qu'il existe bien une norme sociale de vitesse
faisant l'objet d'un consensus implicite chez les automobilistes québécois.
Ainsi, les conducteurs estiment qu'il faut dépasser la limite de
31 km/h sur une autoroute pour "conduire bien plus vite que les autres";
sur une route secondaire, il suffit d'excéder la limite permise de
9 km/h. "Sur les routes secondaires, la norme sociale est plus proche
de la norme réglementaire. Sur les autoroutes par contre, la norme
sociale est plus large et la limite réglementaire est perçue
davantage comme une valeur suggérée que comme une norme obligée."
Près de 75 % des conducteurs souhaitent d'ailleurs une hausse des limites de vitesse sur les autoroutes et - surprise! - la vitesse moyenne souhaitée est 112 km/h, soit la vitesse qu'ils adoptent déjà. Les avis sont partagés moitié-moitié quant à la pertinence d'augmenter la vitesse maximale sur les routes secondaires; la vitesse moyenne souhaitée atteindrait tout de même 95 km/h.
Dans des conditions idéales, la majorité des automobilistes estiment qu'ils conduisent de façon sécuritaire jusqu'à une vitesse de 130 km/h sur autoroute et de 110 km/h sur route secondaire. "La vitesse perçue comme non sécuritaire est bien corrélée avec la vitesse déclarée des répondants, observe Bérengère Vasseur. Les gens conduisent davantage en fonction de leur représentation subjective de la sécurité plutôt qu'à celle qui leur est uniformément imposée."
Les automobilistes disent rouler plus vite lorsqu'ils sont très familiers avec le parcours (60 %), que la route est droite et large (60 %), qu'il y a peu de véhicules sur la route (60 %) et que les autres autos roulent rapidement (54 %). Enfin, 8 % des personnes admettent conduire rapidement pour se défouler. Les statistiques révèlent un lien étroit entre l'âge et la vitesse moyenne, les jeunes se laissant davantage attirer par le côté obscur de la force automobile. Lorsque les données sont analysées en fonction de l'occupation, la catégorie étudiant prend la pôle position avec 116 km/h sur les autoroutes. Les retraités viennent bon dernier avec 104 km/h. Enfin, il semble que plus leur revenu est élevé, plus les conducteurs roulent vite.
Seulement 34 % des conducteurs disent que l'absence de voitures de police les incite à conduire plus vite (on ne conduit pas plus vite lorsqu'il y a des policiers mais on ralentit quand il y en a!, note Bérengère Vasseur). La majorité des répondants estiment pouvoir rouler jusqu'à 110 km/h sur une autoroute sans attirer l'attention des policiers. Sur les routes secondaires, ce seuil critique se situe à 98 km/h. Environ 58 % des répondants pensent qu'il y a suffisamment de policiers sur les autoroutes, 39 % estiment qu'il n'y en a pas assez et 3 % jugent qu'il y en a trop.
Ces renseignements sont précieux pour planifier les campagnes visant à réduire la mortalité sur les routes, explique Bérengère Vasseur. Au Québec, la vitesse excessive serait à l'origine de la moitié de accidents. En 1992, 981 personnes sont décédées des suites d'un accident routier, ce qui place l'automobile au quatrième rang parmi les causes de mortalité derrière les maladies cardiovasculaires, le cancer et le suicide. Chaque année, sur la planète, 500 000 personnes meurent dans des accidents de la route.