26 novembre 1998 |
L'étudiant-chercheur Marc Leblanc a patiemment reconstitué le portrait passé de la Forêt Montmorency afin de mieux préparer l'avenir
La conservation de la biodiversité est devenue un incontournable dans les discussions de salon entre aménagistes mais aussi un idéal de toute bonne stratégie d'aménagement forestier durable. Pour atteindre ce louable objectif, plusieurs experts suggèrent d'adopter des stratégies d'aménagement qui recréent les écosystèmes vierges: les animaux et les plantes suivront. Mais, encore faut-il savoir à quoi ressemblaient ces écosystèmes avant que l'homme n'y pose la scie à chaîne.
C'est dans cet esprit que l'étudiant-chercheur Marc Leblanc a entrepris de reconstituer le portrait des sapinières vierges qui recouvraient autrefois une partie de l'Est du Canada. Dans le cadre d'une maîtrise supervisée par Louis Bélanger, du Département des sciences du bois et de la forêt, l'étudiant-chercheur a patiemment recollé, morceau par morceau, des bribes d'information, rescapées du passé, pouvant servir à recomposer l'image de cet écosystème aujourd'hui presque disparu en raison de l'exploitation forestière.
Retour vers le passé
Pour réaliser ce travail de limier, Marc Leblanc a choisi la
Forêt Montmorency - la forêt d'enseignement et de recherche
de l'Université - "principalement en raison de la disponibilité
de données historiques sur le secteur", explique-t-il. L'étudiant-chercheur
a successivement dépouillé le premier inventaire de cette
forêt, réalisé en 1926 pour le compte de l'Anglo-Canadian
Pulp and Paper Company, puis les plans d'aménagement de la Donnacona
Paper Company (1930) et de la Price Brothers & Company (1940). Des inventaires
forestiers plus récents de même que des photos aériennes
du secteur ont servi à décrire d'autres aspects de la sapinière
vierge. Pour compléter cette information, l'étudiant-chercheur
a consulté les archives naturelles que constituent les anneaux de
croissance des arbres; l'analyse du patron de croissance de 24 arbres, âgés
de 144 à 221 ans, a servi a établir la chronologie des épidémies
de tordeuses au cours des deux derniers siècles.
De son enquête, il ressort que la Forêt Montmorency et sa région étaient autrefois composées de sapinières à sapin (62 %), à bouleau blanc (16 %) ou à épinette noire (11 %); les pessières et les bétulaies couvraient la presque totalité du territoire restant. Ce milieu se renouvelait au gré des chablis et des épidémies de tordeuses des bourgeons de l'épinette. Le feu semble avoir joué un rôle marginal dans le cycle des sapinières vierges, sans doute à cause de l'abondance des précipitations. Tous ces peuplements forestiers couvraient des superficies peu étendues et donnaient ainsi une allure de mosaïque fine au paysage. Les peuplements matures et surannés, composés d'arbres de 100 ans et plus, dominaient le paysage.
Le sentier à suivre
Ces enseignements du passé permettent d'évaluer la justesse
des interventions actuelles en milieu forestier. "La stratégie
de protection des forêts du Québec préconise la récolte
prioritaire des sapinières matures et surannées afin de réduire
la vulnérabilité de ces forêts à la tordeuse
des bourgeons de l'épinette, signale Marc Leblanc. Dans un objectif
de conservation de la biodiversité, une telle pratique pourrait potentiellement
avoir des conséquences sur la diversité biologique".
Dans le même esprit, les coupes à blanc contiguës de grande
dimension pratiquées dans la Réserve faunique des Laurentides
provoquent l'homogénéisation du paysage de la sapinière,
ce qui contraste avec la fine mosaïque de la forêt vierge.
Depuis quelques années, les responsables de la Forêt Montmorency appliquent une stratégie d'aménagement appelée "forêt mosaïque" sur leur territoire, signale l'étudiant-chercheur. Bien que cette approche imite imparfaitement la nature, elle produit un paysage qui se rapproche de celui observé en forêt vierge. Avec quelques ajustements, croit-il, cette stratégie devrait être en mesure de maintenir la spécificité écologique des sapinières de cette région.