26 novembre 1998 |
Au Québec, le tirage des journaux quotidiens décline depuis 30 ans. Au profit de la télévision et des magazines.
La formule consacrée "Donne-nous aujourd'hui notre plein du quotidien", qui se voulait encore, dans un passé assez récent, le leitmotiv de millions de consommateurs avides de nourriture informative journalière, semble ne plus trouver d'écho réaliste, de nos jours, dans une société assise devant son téléviseur et qui picore, de plus en plus, sur l'étalage de mieux en mieux garni des magazines.
C'est le diagnostic que posent deux chercheurs du Centre d'études sur les médias de l'Université Laval, Daniel Giroux et Gérard Leclerc, à la suite de l'examen détaillé de diverses statistiques publiées sur les médias d'information du Québec depuis 1965. Les deux membres du CÉM ont présenté les résultats de leur étude à l'occasion du congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) qui se tenait à Québec, la fin de semaine dernière.
Sur son déclin
Si le tirage global des journaux du Québec a augmenté de 917
000 exemplaires de 1965 à la fin des années 1980 une
croissance attribuée en grande partie à l'apparition d'éditions
du dimanche pour 5 des 12 quotidiens examinés , l'aube de la
décennie 1990 et les sept années qui suivront, verront celui-ci
encaisser, par contre, une perte de 1,2 million d'exemplaires, surtout ressentie
du lundi au vendredi (950 000 de moins).
Au cours de cette période, par exemple, révèlent Giroux et Leclerc, les rotatives du journal The Gazette ont dû imprimer 20 % moins d'exemplaires (-259 000 par semaine), celles du quotidien Le Soleil 18 % (-144 000), du Journal de Montréal 17 % (-385 000), de La Presse 14 % (-213 000) et du Journal de Québec 7 % (-51 000). Ces données brutes "brutales", serait-on tenté de rajouter ne traduisent pourtant, selon eux, qu'une partie de la perte de popularité des quotidiens.
"Ces chiffres ne tiennent pas compte de l'augmentation du nombre de clients potentiels, les 15 ans et plus, soulignent-ils. En prenant en considération cet important facteur, on constate que l'intérêt décline constamment depuis 1965. On est passé de 264,6 exemplaires vendus chaque jour par 1 000 habitants de plus de 15 ans à 159,1 exemplaires. Pour que la pénétration actuelle soit égale à celle de 1965, il aurait fallu que les tirages augmentent de 58,5 %."
Vases communicants
Le malheur des uns fait le bonheur des autres, prétend l'adage. Trois
phénomènes expliquent ainsi la "tombée" des
journaux en liant le déclin de leurs tirages au sort que subissent,
en contrepartie, les autres types de médias, selon le principe archi-connu
des vases communicants.
Premier canal déférent, la télévision, qui domine déjà depuis longtemps en matière d'information nationale et internationale, est devenue, au dire des chercheurs, le média consulté le plus souvent pour l'information locale. La seconde source de fuite du lectorat provient, quant à elle, de la régression du revenu familial disponible (après impôts directs) enregistrée depuis 1989, qui a coïncidé avec une augmentation du coût du quotidien causée, entre autres, par l'introduction de la TPS.
Giroux et Leclerc pointent, en dernier ressort, la montée de la popularité des magazines "qui réduit le temps disponible pour lire un quotidien, donc l'intérêt à l'acheter régulièrement". Au Québec, depuis 1985, les tirages combinés sur une base annuelle des magazines vendant plus de 50 000 exemplaires ont connu une augmentation substantielle de 60 %, passant de 32,5 millions à 52 millions d'exemplaires. "Les gains sont toutefois survenus entre 1985 et 1990, précisent les deux membres du CÉM. Depuis, c'est plutôt stable, et cela même si le club des magazines à fort tirage compte huit magazines de plus qu'en 1990. Ces nouveaux venus ont tout simplement ravi des lecteurs aux autres. Il semble bien qu'au total, les magazines aient fait le plein d'abonnés et d'acheteurs en kiosque."
L'étude menée par les deux membres du Centre d'études sur les médias du Département d'information et de communication de la Faculté des lettres montre notamment que chaque Québécois âgé de plus de 15 ans achète en moyenne, annuellement, 8,6 exemplaires de magazines à grand tirage, comparativement à 6,1 en 1985. Au début de la présente décennie, cette moyenne a atteint un sommet de 11,9 exemplaires, notent Daniel Giroux et Gérard Leclerc.