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26 novembre 1998 ![]() |
Avec la percée foudroyante d'Internet, de la culture Hip Hop et de l'infotainment, la pensée éclatée de Marshall MacLuhan revient à la mode dans le Village global
"Après trois mille ans d'une explosion produite par des technologies, mécaniques et fragmentaires, le monde occidental "implose". Pendant l'âge mécanique, nous avons prolongé nos corps dans l'espace. Aujourd'hui, après plus d'un siècle de technologie de l'électricité, c'est notre système nerveux central lui-même que nous avons jeté comme un filet sur l'ensemble du globe, abolissant ainsi l'espace et le temps, du moins en ce qui concerne notre planète. Nous approchons rapidement de la phase finale des prolongements de l'homme: la simulation technologique de la conscience."
En 1964, Marshall McLuhan, alors âgé de 53 ans, savait précisément à quoi ressemblerait le monde d'aujourd'hui: à preuve cette phrase tirée de son célèbre ouvrage paru cette année là, Pour comprendre les médias, qui le fit connaître à travers le monde. En fait, non seulement celui qu'on avait surnommé à l'époque "la comète intectuelle canadiennne" a vu clairement ce que serait la société trente ans plus tard, mais il a quelque sorte prédit l'avenir. Avec l'arrivée d'Internet, le monde serait en effet devenu un immense système nerveux où règnent sans partage les nouvelles technologies.
Passionné par Marshall McLuhan, "un homme, selon lui, davantage guidé par l'intuition que par la science et un artiste plus qu'un théoricien", Patrick Roy s'est penché, dans son mémoire de maîtrise en communication, sur le regain d'intérêt porté à l'endroit des idées de ce professeur de littérature, regain qui aurait connu son apogée entre les années 1990 et 1995, si on se fie à la banque de données de Sociofile, qui donne accès à des résumés d'articles sélectionnés entre 1974 et 1997.
"Le médium est le message"
"Au départ, il est opportun de souligner que la tendance
à récupérer les éléments de la culture
populaire des années 1960 et 1970 (cinéma, séries de
télévision en reprise, compilations de type rétro,
etc) peut jouer un rôle déterminant dans ce supposé
regain d'intérêt, admet toutefois Patrick Roy. En même
temps, les décennies 1960 et 1990 ont certains points en commun ayant
pu favoriser un "retour" de McLuhan - décédé
en 1980. En effet, si la génération des années 1960
a grandi avec la télévision et a fait face à sa présence
envahissante, nous nous trouvons aujourd'hui dans une position semblable
face à Internet. On se demande quel sera l'impact de ce nouveau média
sur la vie économique et sociale. Un regain d'intérêt
pour McLuhan pourrait donc s'expliquer en partie par la présence
de l'incertitude découlant de ce questionnement."
Patrick Roy donne pour exemple un article paru le 24 septembre dans le journal Le Devoir sous le titre "McLuhan nous avait prévenus", dans lequel le journaliste Graham Fraser souligne que les observations de McLuhan sur les répercussions qu'ont les médias de communication de masse sont encore terriblement pertinentes de nos jours. Bien qu'on ait surtout retenu du travail de McLuhan le fameux slogan "Le médium est le message" (la forme d'un médium a un impact plus important que son contenu), McLuhan a approfondi l'hypothèse selon laquelle tout changement survenu dans un médium de communication a un impact énorme sur la civilisation. En même temps, note le journaliste, il a été l'un des premiers à se rendre compte que le débat télévisé entre Richard Nixon et John F. Kennedy, en 1960, s'était conclu en faveur de Kennedy, grâce à sa maîtrise du médium de la télévision et de l'image qu'il projetait à l'écran.
Un saint patron
Autre exemple offert par Patrick Roy: le 24 mars 1997, le quotidien
The Gazette a publié un article coiffé du titre "McLuhan
is making a comeback", dans lequel on mentionne que le McLuhan Program
in Culture and Technology de l'Université de Toronto, créé
en 1983 afin de poursuivre l'oeuvre du penseur, bouillonne d'activités.
L'article parle aussi de la revue Wired qui commente la venue des nouvelles
technologies et qui a fait de McLuhan "son saint patron". Dans
un autre texte publié dans Le Devoir le 28 décembre 1996,
Antoine Robitaille note que "le retour du père de la formule
"le médium est le message" n'a jamais été
aussi foudroyant: on le réédite, on le cite, on reprend ses
thèses pour éclairer notre époque confuse." En
même temps, admet le journaliste, certaines personnes nient catégoriquement
l'existence d'un "retour" de McLuhan. C'est le cas de Jean Paré,
rédacteur en chef de L'Actualité et lui-même traducteur
de Mac Luhan, qui croit non seulement qu'il n' y a jamais eu de retour mais
également qu'il n'y a jamais eu de chute d'intérêt envers
McLuhan. En témoignerait le nombre peu élevé d'exemplaires
vendus annuellement (un millier) de Pour comprendre les médias -
mais dont les ventes se maintiennent à ce chiffre depuis 1993.
"On a souvent reproché à McLuhan de manquer de rigueur dans son argumentation et de tenir des propos confus n'ayant aucune teneur scientifique, explique Patrick Roy. Pour plusieurs professeurs et chercheurs, McLuhan n'était qu'une mode qui n'a fait que passer. En même temps, d'autres le voient comme un visionnaire et un prophète. Entre ceux qui le vénèrent et ceux qui le condamnent méchamment, je n'ai pas choisi de camp, bien que l'homme m'apparaisse fascinant. En fait, les signes du retour de McLuhan sont présents dans bien des thèmes, comme la médiologie, l'homme symbiotique, le cerveau planétaire, la puissance de Bill Gates, la fragmentation des publics par la haute définition, la culture hip hop, l'infotainment, etc. Pour moi, Marshall McLuhan était un explorateur qui s'est intéressé à un avenir qui est devenu présent, un présent auquel nous avons de la difficulté à nous adapter, tout comme nous avons eu de la diificulté à comprendre et à accepter ses idées."