26 novembre 1998 |
La nouvelle revue Arguments veut secouer quelques idées reçues. Sujets sensibles, ne pas s'abstenir.
Une nouvelle publication s'intéressant à la politique, à la société et à l'histoire, Argument, vient de faire son apparition au sein de la grande famille des revues. Plusieurs parrains bien connus, comme le philosophe français Alain Finkielkraut ou Guy Laforest, professeur de science politique de l'Université Laval, ont participé à la naissance de ce dernier-né qui entend bien devenir un véritable forum de discussion. Argument , que l'on peut se procurer en librairies ou dans les Maisons de la presse, souhaite en effet susciter "un échange véritable sur le sens des événements qui marquent notre présent".
Secouer quelques idées reçues sur le passé du Québec n'a rien de facile pour un auteur, si l'on en croit Daniel Jacques, le directeur de la revue. Ce professeur de philosophie au Cégep François-Xavier-Garneau fait ainsi remarquerque les comités de lecture de revues existantes éprouvent parfois des difficultés à accepter certaines remises en cause de la portée réelle d'événements marquants, comme la publication du manifeste Refus global (1948) ou la Révolution tranquille des années soixante. "On rencontre une résistance diffuse dans le milieu de l'édition, à l'université, dans les musées, à voir apparaître des figures de passé nouvelles", précise Daniel Jacques. Le directeur d'Argument signale également que les intellectuels, marqués par l'écroulement des grandes idéologies, ne font pas preuve d'une grande ouverture face aux tentatives d'expression de la jeune génération.
Notre maître le passé?
Les rédacteurs de la nouvelle revue ont donc pris les grands
moyens pour combattre ce scepticisme en créant leur propre tribune.
Qu'ils viennent de domaines comme la sociologie, la science politique, la
littérature, la philosophie, Antoine Robitaille, Stéphane
Kelly, Daniel Tanguay, Francis Dupuis-Déri, espèrent ouvrir
le dialogue à tous, en utilisant une langue se méfiant aussi
bien du jargon à la mode que des lieux commun. Chaque numéro
doit donc permettre à un auteur de s'exprimer sur une question d'actualité
de manière polémique grâce à la tribune, et d'approfondir
un thème dans le cadre d'un dossier comprenant plusieurs articles.
Le comité de rédaction suggère également la
lecture d'un même ouvrage à plusieurs personnes afin d'encourager,
là encore, la prise de parole.
Pour le premier numéro, le comité de rédaction a choisi de s'attaquer à un sujet sensible en traitant dans son dossier thématique de "L'avenir de nos illusions". Il s'agit en fait de réfléchir aux difficiles rapports que les Québécois entretiendraient avec leur passé, car, comme l'expliquait Daniel Jacques, lors d'un récent débat organisé par la Chaire publique de l'AELIÉS, une révolution de la mémoire doit s'accomplir au Québec pour sortir de l'impasse politique actuelle. Daniel Jacques s'interroge en effet sur l'importance réelle de la Révolution tranquille, en faisant remarquer que les structures et les institutions de l'État sont demeurées en place et que la véritable mutation s'est surtout accomplie du côté de la société et non du côté de l'appareil politique.
Il remarque en effet qu'il faut prendre conscience de la part de mythe contenue dans certaines représentations du passé comme la "Grande noirceur", car on a projeté les Québécois dans une certaine modernité en leur faisant mépriser une certaine tradition propre à leur identité. "La Révolution tranquille s'est construite sur un rejet du passé, notamment le rapport des francophones à la religion qui les a marqués pendant près d'un siècle", indique Daniel Jacques. Selon lui, il faudrait que les Québécois s'approprient à nouveau une part de cette image tant honnie pour entrer de plein pied dans une modernité capable de satisfaire leurs attentes.
Des curés aux artistes
Sans vouloir astreindre les ouailles égarées à
suivre à nouveau la messe dominicale chaque semaine, Daniel Jacques
souhaite simplement pondérer un peu l'image mythique d'un Québec
plongé dans l'obscurantisme dans les années 40 et 50 et naissant
au monde moderne grâce à l'équipe du tonnerre de Jean
Lesage en 1960. Ce faisant, il se risque, lui aussi, à grossir le
trait lorsqu'il évoque le rôle des artistes québécois,
qui auraient acquis, selon lui, grâce à la tombée en
disgrâce des prêtres, une autorité considérable
sur les plans moral et politique. "D'une certaine façon, ces
troubadours modernes ont remplacé les clercs en chaire et leurs apparitions
publiques ont tenu lieu de messes célébrées, non plus
à la gloire de Dieu, mais pour manifester au monde la présence
de la nation", écrit-il dans Argument.
De son côté, Antoine Robitaille se lance dans une attaque en règle contre ceux qui souhaitent ne plus évoquer les débats constitutionnels ou la politique, une attitude traduisant, selon cet auteur, une soif consumériste qui pousse tout un chacun à réclamer sans cesse de nouveaux débats comme un téléphage recherche inlassablement de nouvelles images. Volontiers polémique, cette tribune d'Arguments étonne par la hargne que l'auteur semble éprouver à l'égard du chroniqueur de l'hebdomadaire Voir-Montréal, Richard Martineau, dont il n'a de cesse de dénoncer la passion dévorante qu'il témoigne aux "tendances", et le manque de profondeur de ses écrits.
Si certains des arguments d'Antoine Robitaille ne manquent pas d'à-propos, on peut légitimement se demander si une revue de politique constitue le lieu idéal pour régler ses comptes, et si par ailleurs à dénoncer trop vertement un certain style journalistique, on ne risque pas de tomber dans les mêmes raccourcis ou lieux communs. L'avenir dira si Argument maintiendra dans ses prochains numéros cette virulence dans certains de ses articles ou tentera de dépasser les basses polémiques pour fournir un véritable lieu de débats intellectuels.