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19 novembre 1998 ![]() |
Dans le cadre d'une étude sur la contamination des Inuits aux BPC et aux autres polluants industriels, des chercheurs de la Faculté de médecine ont découvert que 8 % des nouveau-nés du Nunavik (nord du Québec) présentaient des taux de plomb excédant le seuil critique de 10 microgrammes par décilitre de sang. En comparaison, moins de 1 % des enfants du Sud du Québec atteignent ou dépassent ce niveau de plomb à partir duquel les problèmes neurologiques risquent de se manifester.
Lorsqu'ils ont découvert d'où provenait le plomb qui contaminait les mères de ces enfants, les chercheurs de la Faculté de médecine et du Centre de santé publique de Québec, Éric Dewailly, Benoît Lévesque, Jean-François Duchesne, Susie Bernier, Marc Rhainds, Patrick Levallois et Jean-François Proulx, ont été pour le moins étonnés. "Avant d'arriver à la solution, nous avons examiné toutes les sources possibles de plomb comme on le fait dans un cas de contamination qui survient dans une ville", explique Benoît Lévesque. Les chercheurs ont d'abord éliminé la possibilité d'une source industrielle telle une fonderie puisqu'il n'en existe pas au Nunavik. La peinture au plomb, interdite depuis quelques années, a aussi été écartée. Les analyses de l'air n'ont rien révélé d'anormal alors que la contamination par les soudures du réseau d'aqueduc a vite été rejetée: l'eau est apportée aux maisons par camion-citerne parce qu'il n'existe pas de réseau là-bas.
Visa le noir...
Les chercheurs ont alors tourné leur attention vers le gibier
sauvage consommé par les Inuit, en particulier la sauvagine et le
caribou. En effet, les canards sont réputés pour consommer
accidentellement, avec leur nourriture, des plombs de chasse tombés
au fond des étangs, des lacs et des cours d'eau. Cette vilaine habitude
cause même des cas de saturnisme, une intoxication au plomb, qui les
rend plus vulnérables lors de la chasse. Chez le caribou, la consommation
de lichen contaminé par le plomb de l'air pouvait aussi constituer
une voie de pénétration vers l'humain.
"Nous avons eu l'idée de comparer le ratio des radioisotopes de plomb trouvés dans le sang des nouveau-nés avec celui du plomb provenant de sources potentielles de contamination", rappelle Benoît Lévesque. Ce ratio constitue en quelque sorte les empreintes digitales du plomb. À la limite, il permet d'identifier le gisement d'où le plomb provient. Dans un milieu urbain où les sources de plomb sont multiples, le procédé est peu pratique mais dans un milieu où les sources sont rares, cette technique pouvait mettre les chercheurs sur une piste intéressante.
Et comment! Le ratio des isotopes 206 et 207 trouvé chez les enfants était 1,195, soit assez loin du ratio mesuré dans les os de canard (1,093) et dans le lichen (1,15), signale Benoît Lévesque. Par contre, ce ratio s'approchait énormément du 1,193 mesuré dans les cartouches de plomb des quatre marques les plus populaires chez les chasseurs inuit! "La contamination semble provenir des billes de plomb ou des éclats de plomb que les Inuit oublient ou ne réussissent pas à enlever de la chair des canards ou des oies qu'ils abattent, explique le chercheur. Pour régler le problème, il faudrait qu'ils utilisent des cartouches faites avec un autre métal."
Ces cartouches existent déjà, signale Jean-François Duchesne, du Centre de santé publique de Québec. Elles sont fabriquées en acier, en bismuth ou en tungstène. D'ailleurs, depuis 1997, la réglementation fédérale interdit l'utilisation de cartouches à billes de plomb à moins de 200 mètres d'un cours d'eau lors de la chasse aux oiseaux migrateurs. L'interdiction sera étendue à tout le territoire canadien à compter de l'automne 1999. Ces mesures, adoptées pour protéger les oiseaux contre le saturnisme, auront donc des effets secondaires aussi inattendus que positifs puisqu'elles protégeront du même coup les populations inuit de l'intoxication au plomb!
Cette étude, à laquelle ont également collaboré des chercheurs du Centre de toxicologie du Québec, de l'UQAM, du Service canadien de la faune et du Centre de recherche de Kuujjuak, a été présentée, cette semaine, par Éric Dewailly, lors du Colloque de la Society on Environmental Toxicology and Chemistry, qui avait lieu à Charlotte en Caroline du Nord.