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12 novembre 1998 ![]() |
BERNARD SHAPIRO
Principal et Vice-Chancelier
Université McGill
FRANÇOIS TAVENAS
Recteur
Université Laval
Le développement de l'enseignement et de la recherche universitaire
L'enseignement et la recherche universitaires ont connu au Québec
un développement d'une intensité et d'une qualité remarquables.
Rappelons-nous qu'en 1960, l'ensemble des universités québécoises
n'accueillaient que 25 000 étudiants et l'activité de recherche
y était plutôt anémique. En moins de quarante ans,
les universités québécoises se sont développées
au point qu'elles forment maintenant quelque 238 000 étudiants et
que leurs professeurs obtiennent, sur la scène canadienne, 30,3 %
des fonds de recherche du Conseil de la recherche médicale (CRM),
23,3 % de ceux du Conseil de recherches en sciences naturelles et génie
(CRSNG), et 28,1 % de ceux du Conseil des recherches en sciences sociales
et humaines (CRSH).
Cette évolution phénoménale a été réalisée en dépit du fait que les universités québécoises souffraient d'un sous-financement important par rapport aux universités canadiennes et américaines comparables. Ce sous-financement fut d'ailleurs reconnu par le ministre de l'éducation d'alors, M. Claude Ryan vers la fin des années 1980. Pour y remédier partiellement, il augmenta alors la subvention gouvernementale et permis une hausse des frais de scolarité. Il est donc établi que les universités québécoises ont été extrêmement performantes, si on les compare à leurs semblables en Amérique du nord.
Ces efforts de la société québécoise et des instances de nos universités tombaient à point nommé et lui permettent maintenant de s'insérer harmonieusement dans cette économie du savoir de plus en plus globalisée. Il faut reconnaître, en effet, que les emplois se créent de nos jours massivement dans les industries à forte concentration de savoir (tableau 1). Ces industries sont aussi celles qui rémunèrent le mieux leurs employés et qui sont les plus soumises à la concurrence internationale. C'est ainsi que, depuis 1990 au Québec, les emplois exigeant un niveau de scolarité post-secondaire et universitaire ont augmenté respectivement de vingt-huit et quarante huit pour cent alors que ceux requérant une formation de niveau primaire et secondaire ont diminué de trente-huit et vingt-cinq pour cent (tableau 2). Cette tendance lourde ne fera que s'accentuer dans les années qui viennent.
Il n'est donc pas surprenant que le Conseil de la science et de la technologie, dans son étude publiée en juin 1998, démontre que les universités québécoises deviennent des acteurs majeurs dans une économie de plus en plus dépendante du savoir et de l'innovation. La matière grise constitue la ressource la plus importante et la plus en demande dans cette nouvelle économie. D'où un rôle accru des universités, en particulier des universités fortement impliquées dans la recherche, comme lieu de formation de la relève scientifique et comme moteur d'invention et d'innovation.
Dans un monde de plus en plus intégré au plan économique, la vitalité d'un pays dépend directement de son intégration dans les grands courants internationaux. Les universités, en particulier celles qui sont fortement impliquées en recherche, jouent un rôle central dans cette intégration, et ce de multiples façons:
par l'intégration des meilleurs chercheurs et équipes de recherche dans les réseaux de recherche mondiaux et les grands projets (e.g. Human genome, global warming, etc.);
en attirant au Québec des étudiants étrangers, en particulier dans les programmes de maîtrise et de doctorat - ces étudiants renforcent l'appareil de recherche québécois, enrichissent nos programmes d'études par la diversité culturelle qu'ils apportent, contribuent à l'activité économique par les dépenses qu'ils engagent et, finalement et surtout, constituent à leur retour dans leurs pays d'origine un réseau de contacts utiles dans le développement des affaires des entreprises québécoises - ;
en offrant aux jeunes québécois des programmes de formation ouverts sur le monde par leur contenu et, de plus en plus, par des programmes d'échanges et de stages à l'étranger.
Par ailleurs, les universités québécoises, tout particulièrement l'Université de Montréal, l'Université McGill et l'Université Laval, jouissent d'une excellente réputation sur la scène internationale comme en font foi les quelque sept mille étudiants étrangers qu'elles attirent ensemble annuellement. Pour qu'elles puissent continuer à jouer pleinement ce rôle et à le développer en appui à l'action internationale croissante de la société québécoise, elles doivent pouvoir rester compétitives sur la scène internationale et elles doivent disposer des moyens financiers pour ce faire.
Dans ce contexte, il est normal que la société québécoise devienne de plus en plus exigeante à l'égard des universités. Elles doivent non seulement offrir un enseignement à la fine pointe des connaissances mais aussi se maintenir dans le peloton de tête quant à la création du savoir, le tout dans un contexte de concurrence canadienne et, surtout, internationale, autant pour le recrutement des meilleurs étudiants que pour celui des professeurs les plus performants. On ne peut pas avoir de telles exigences auprès des universités québécoises sans leur donner accès à des ressources comparables à celles détenues par les universités canadiennes et américaines concurrentes. Or, c'est précisément le contraire qui se produit au Québec depuis cinq ans.
L'effet des coupures
L'ampleur, sans précédent, des coupes effectuées
par le gouvernement du Québec dans ses subventions aux universités,
a contraint ces dernières à se départir collectivement
de quelque neuf cents professeurs (soit l'équivalent du corps professoral
complet de l'UQAM), à réduire le nombre de leurs cadres de
13 %, de professionnels de 5 % et du personnel de soutien de 10 % ainsi
que le budget des bibliothèques, et à accumuler un déficit
global de l'ordre de trois cent millions de dollars (soit l'équivalent
du budget annuel de l'Université Laval). Malgré ces mesures
draconiennes de réduction structurelles de leurs dépenses,
toutes les universités québécoises connaîtront
un déficit opérationnel en 1998-1999 et aucune ne conçoit
comment, dans le contexte actuel, elle pourra retrouver l'équilibre
budgétaire. Il ne faut pas avoir peur des mots : la situation
des universités québécoises est catastrophique.
Nous devons même avancer et affirmer que les assises mêmes de la Révolution tranquille et de tous les efforts déployés depuis sont remis en question à l'heure actuelle par cette réduction brutale des ressources des universités québécoises dans l'absolu, et, relativement, par rapport aux universités de l'ensemble du continent nord-américain dotées de structures de financement plus souples, moins réglementées et permettant de compenser, le cas échéant, la chute de leur financement public.
Un financement qui ne fait plus le poids
En comparaison avec les universités canadiennes et américaines,
le financement des universités québécoises ne fait
plus le poids. Selon les données de l'Association des universités
et des collèges du Canada (AUCC), le réseau universitaire
québécois a connu une baisse de 21 % de sa subvention gouvernementale
entre 1993 et 1998 (30 % en incluant les coûts du système)
alors que la baisse moyenne de cette subvention dans le reste du Canada
était de 11 %. Par ailleurs, dans les autres provinces, les frais
de scolarité, qui étaient déjà plus élevés
qu'au Québec, se sont accrus durant la même période
de 35 % (44 % en excluant la Colombie-Britannique). Si au Québec
la hausse des droits de scolarité a contribué à n'amenuiser
la réduction de la subvention gouvernementale que de deux ou trois
points de pourcentage, au Canada comme aux États-Unis elle a, règle
générale, compensé entièrement la perte de revenus
gouvernementaux et a même, dans certains cas, généré
des surplus budgétaires (tableau 3). Le financement par étudiant
était déjà plus faible au Québec qu'ailleurs
en Amérique du Nord. On peut imaginer dans quelle situation relative
nos universités se retrouvent maintenant.
L'essor fulgurant de la technologie accélérant le processus de mondialisation dans tous les secteurs, les universités québécoises ne seront plus concurrentielles, à moins d'un changement radical et immédiat dans la politique de financement des universités par le gouvernement du Québec. Nous soumettons que le gouvernement québécois doit donc, de toute urgence, revoir sa politique de financement des universités en mettant l'accent sur les trois éléments suivants qui découlent de la nécessité absolue de faire de nos universités, des universités concurrentielles, dans une économie du savoir de plus en plus globalisée.
Pour éviter que les universités québécoises ne soient systématiquement déclassées dans le continent nord-américain, le gouvernement du Québec doit, dès que possible, rétablir leur base de financement et leur donner accès, dans les trois années qui viennent, à des revenus supplémentaires minimum de quatre cents millions de dollars. La méthode retenue pour accroître ces ressources est la responsabilité du gouvernement. Mais nous voulons souligner que toute décision relative aux frais de scolarité: ne devrait pas mettre en cause la qualité de nos institutions universitaires en réduisant leurs sources de financement, et devrait être accompagnée de mesure de protection de l'accessibilité pour les étudiants les plus démunis.
Nous souhaitons que le gouvernement, dès maintenant, donne suite à la recommandation du Comité sur le financement des universités (qui a remis son rapport au printemps 1997) et qui demandait de revoir les paramètres de la formule de financement des universités pour donner des poids plus réalistes aux études de 2e et 3e cycles, aux secteurs professionnels plus exigeants et aux activités de recherche.
Par ailleurs, en matière de création du savoir, de sa transmission et de ses applications, le Québec pour demeurer concurrentiel n'a d'autre choix que de s'arrimer aux moyens adoptés par les meilleurs concurrents, eu égard à la formation et à la recherche universitaire. La formule de financement des universités doit comprendre un paramètre de comparaison externe. Ce financement des universités n'est pas à fonds perdus. Ne serait-ce qu'en ce qui a trait à l'impact de la recherche universitaire sur le PIB, une étude récente démontre qu'elle s'élevait, en 1993, à quinze milliards et demi de dollars et qu'elle était génératrice de cent cinquante à deux cent mille emplois directs et indirects. Dans la mesure où le gouvernement du Québec donnera à ses universités les moyens de leur excellence, il pourra et devra évaluer régulièrement et rigoureusement la performance de ces institutions en comparaison avec celle des universités-homologues des réseaux canadien et américain.
Conclusion
Le Québec a déjà raté le pari de l'éducation
dans la première moitié du vingtième siècle,
et il souffre encore de cette erreur historique. Une opération majeure
de rattrapage s'est effectuée à partir du début des
années 1960 sous l'impulsion de politiciens et d'intellectuels d'envergure
et clairvoyants. Ces efforts et ces investissements considérables
ont permis à la société québécoise de
ne pas être complètement écartée de l'économie
du savoir qui façonne notre présent et dominera notre avenir.
Le travail était, cependant, loin d'être terminé et
c'est pourquoi la situation actuelle des universités, suite à
des compressions budgétaires sans précédent, est aussi
dramatique, non seulement quant à l'avenir propre de ces institutions,
mais aussi à celui de la société québécoise
dans son ensemble (tableaux 4 et 5) Il ne faut pas répéter
l'erreur que nous avons collectivement commise dans la première moitié
du vingtième siècle.
Les coûts d'un nouveau sous-investissement en éducation seraient, dans la présente économie du savoir, sans commune mesure avec ceux que nous avons déjà supportés pour un sous-investissement antérieur.