12 novembre 1998 |
Carole Couture a fait l'une des rencontres marquantes de sa vie en syntonisant CKRL par un beau jour de l'automne 1990: "J'avais entendu parler de Richard Desjardins mais je ne connaissais aucune de ses chansons. Quand j'ai ouvert la radio, que j'ai entendu sa voix, j'ai tout de suite su que c'était LUI." Comme pour rajouter au caractère initiatique du moment, c'est sur l'air du Bon gars que l'auteur-compositeur de Rouyn a fait son entrée dans la vie de cette étudiante du Département des littératures. "J'ai écouté la fin de l'intégrale de Tu m'aimes-tu? à la radio et je suis partie en courant acheter l'album. Ensuite, j'ai mis la main sur Les derniers humains et j'ai subi un deuxième choc. J'ai découvert une pure passion pour son oeuvre. Ses chansons viennent me chercher dans les tripes comme quelque chose que j'attendais depuis longtemps."
Huit ans plus tard, ce coup de foudre pour le poète de l'Abitibi a donné deux enfants. Le premier, un mémoire de maîtrise intitulé Richard Desjardins: pluralité de la forme et du discours pour une réception mitigée , déposé en mai dernier. Le second, un livre inspiré du mémoire, qui a été lancé hier, à Montréal, sous un titre prêtant moins à une réaction mitigée du public: Richard Desjardins, une mine de paroles. (Triptyque)
Lucky, lucky
La musique a toujours occupé une place importante dans la vie
de Carole Couture. "Je ne sais pas ce qui me serait arrivé dans
la vie si je n'avais pas eu la musique", avoue-t-elle spontanément.
Après une adolescence vécue aux rythmes des Genesis, Supertramp,
Rolling Stones et Led Zeppelin, ses goûts musicaux se sont élargis
à tous les styles, du "québécois" au classique.
"Même les chansons à texte m'attirent, bien qu'il paraît
que ce genre n'existe pas puisque toutes les chansons ont un texte!"
Par contre, son goût pour l'écriture a mis plus de temps à éclore. Presque autant d'années que le Québec en a mis pour découvrir Richard Desjardins! "À 29 ans, j'étais mère d'une enfant, j'avais un emploi pas très payant et je me suis demandé ce que j'aimais vraiment dans la vie. Je suis allée au fond de moi pour trouver la réponse: la musique et l'écriture. J'ai quitté ma job et je me suis inscrite au bac en littératures dans l'espoir secret de devenir un jour professeure de cégep. Les gens autour de moi me croyaient cinglée."
Jamais, cependant, n'avait-elle songé qu'un jour elle poursuivrait des études à la maîtrise. "J'étais au bac et, un matin en me levant, j'ai eu un flash. Je me suis dit: pourquoi est-ce que je ne profiterais pas du fait que j'aime écrire et que j'aime les chansons de Desjardins pour faire une maîtrise sur ses textes? C'était d'abord un projet personnel, même si j'ai obtenu un diplôme grâce à ça. Le fait de le réaliser dans un cadre universitaire m'a forcée à me défoncer parce que je ne suis pas une personne très disciplinée."
"Il faut t'asseoir et écrire"
Ce projet personnel a toutefois failli ne jamais être mené
à terme. "Après ma scolarité de maîtrise
et mes recherches, j'ai commencé à écrire mon mémoire
à la maison. J'ai rédigé un premier chapitre et je
l'ai montré à mon directeur, Roger Chamberland. Il m'a dit
que ça n'allait pas et qu'il y avait plusieurs sections à
reprendre. Suite à sa critique, j'ai été six semaines
sans écrire un seul mot et j'ai pensé tout lâcher. Puis,
un jour, je me suis dit "Couture, vas-y!" À partir de ce
moment, tous les jours, elle punche à sa table de travail dès
que sa fille part pour l'école jusqu'à son retour vers 16
h 30, puis, le soir, de 20 h à minuit. "Ça a été
une période intense qui m'a procuré un état de plaisir
extraordinaire. Contrairement à bien d'autres étudiants, je
n'ai pas souffert parce que j'aimais mon sujet. Je l'ai plutôt vécu
comme un appel de l'écriture. J'ai aussi réalisé que
marcher sur le bord du fleuve ou dans la forêt à la recherche
de l'inspiration, c'est bien beau mais, un moment donné, il faut
que tu t'assoies et que tu écrives."
Après cinq mois de ce régime, Carole Couture rappelle son directeur, demeuré sans nouvelle d'elle depuis leur dernière rencontre. "Quand je lui ai annoncé que j'avais terminé mon mémoire, il est tombé en bas de sa chaise. Il croyait que j'avais abandonné mes études." Cette fois, le document enthousiasme Roger Chamberland, au point où il lui fournit quelques contacts pour qu'elle tente de le faire publier chez un éditeur. L'un d'eux, Robert Giroux de la maison d'édition Triptyque, lui-même un mordu de la chanson, accepte sans hésiter.
Le champ du bum
Le livre n'a pas nécessité beaucoup d'adaptation parce que,
dit son auteure, le mémoire était déjà très
vulgarisé. "Je ne suis pas une intellectuelle, mon style est
concis et bref. Je ne force pas pour utiliser des mots compliqués.
Ce n'est pas un ouvrage sur la vie de Richard Desjardins mais sur sa poésie.
Je cherche à expliquer la réaction mitigée à
ses chansons par l'industrie du disque et par les radios commerciales."
Boudé par l'establishment de la chanson québécoise,
Desjardins a dû recourir aux souscriptions d'amis et de sympathisants
pour financer la production de ses deux premiers albums. Même après
avoir remporté le Prix de la chanson francophone au Festival d'été
de Québec et les Félix de l'auteur-compositeur et de l'album
populaire (!) de l'année au gala de l'ADISQ en 1991, ses chansons
ne tournent toujours pas dans la plupart des stations de radio.
Selon Carole Couture, les deux éléments qui expliquent en bonne partie ce paradoxe sont ceux qui rendent l'oeuvre de Desjardins si marquante: la subversion des codes de la chanson et l'imaginaire de l'auteur. Unplugged avant la lettre, Richard Desjardins n'utilise qu'un instrument, le piano ou la guitare, pour tout accompagnement. Sa musique emprunte aussi bien au country (Boomtown Café) qu'au répertoire classique (16.03.48 interprété sur une musique de Maurice Ravel) et elle rompt avec la traditionnelle alternance refrain-couplet. Son langage et ses textes, comme sa musique, sont remplis de surprises. Alors que certaines chansons sont carrément en joual (Le bon gars, Et j'ai couché dans mon char), d'autres, écrites en alexandrins, font appel à un vocabulaire recherché (Nataq, Akinisi). Ses références à l'histoire (Le prix de l'or, Les Fros, Les Yankees), ses prises de position pour les marginaux (Le chant du bum, L'homme-canon), pour les Amérindiens (Les Yankees) et pour l'environnement (Sahara Lumber) et même sa façon de chanter l'amour, qui passe de l'érotique au mystique, le démarquent, analyse Carole Couture. "Il est très impliqué socialement, mais pas politiquement. Il chante la société. Ses chansons entretiennent des liens étroits avec la poésie, le récit, le conte, l'épopée, le texte dramatique et l'autobiographie. Je sais que les littéraires ne seront pas d'accord mais, pour moi, Richard Desjardins est le plus grand poète du Québec."
Le métronome de l'espoir
Pendant la préparation de son mémoire, Carole Couture
a senti le besoin de tirer quelques questions au clair en s'adressant directement
à celui qui la tenait éveillée si tard. "J'ai
pris la chance de le contacter et il est venu me rencontrer à Québec.
Son agente m'a dit qu'il pouvait m'accorder une heure et elle m'a prévenue
de choisir un restaurant pas trop cool pour ne pas être constamment
dérangés."
À la fois surpris qu'une étude littéraire lui soit consacré et intrigué par la méthode d'analyse ("Il craignait que j'utilise une approche psychanalytique!"), Richard Desjardins a finalement passé deux heures à répondre aux questions de l'étudiante-chercheure. "Je lui ai envoyé une copie de mon mémoire et il l'a annotée, pas pour que je fasse des corrections mais pour me donner son point de vue. Il a aussi écrit: "Merci pour les fleurs."
L'expérience d'écrire un livre a ouvert de nouvelles perspectives à l'imaginaire de Carole Couture qui désormais ne rêve plus d'enseigner. "J'ai des projets de livres dont je préfère ne pas parler et j'ai commencé à écrire des textes de chansons. Au début, c'était vraiment pourri mais maintenant ça commence à être valable. Pour moi, écrire est devenu aussi vital que la musique."