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5 novembre 1998 ![]() |
Profil
La Société royale du Canada souligne le travail de communicateur scientifique de l'entomologiste Jeremy McNeil en lui décernant la Médaille... McNeil
La Médaille McNeil à Jeremy McNeil! Il en faut parfois beaucoup moins pour que la presse flaire le népotisme ou le conflit d'intérêt. Mais non, le professeur d'entomologie ne vient pas de s'autodécerner une médaille pour son travail de communication scientifique auprès des jeunes. C'est la très vénérable Société royale du Canada qui a choisi d'honorer l'oeuvre de sensibilisation à la science que Jeremy NcNeill mène depuis treize ans en promenant son bâton de pèlerin dans les écoles du Canada, des États-Unis et d'Europe. Néanmoins, ce professeur du Département de biologie admet, sans la moindre gêne, vivre un permanent conflit d'intérêts. Chaque jour que le Bon Dieu amène, ses intérêts pour la recherche, pour l'enseignement et pour la vulgarisation scientifique s'opposent et s'entredéchirent pour s'arroger une plus grande plage de son agenda. "Je ne refuse jamais une invitation pour donner ma présentation sur les insectes dans les écoles ou pour d'autres activités de vulgarisation scientifique, dit-il. Sauf quand mes autres engagements de chercheur ou de professeur m'en empêchent."
Et vice versa. À preuve, au moment où la Société royale du Canada se réunira à Ottawa, le soir du 20 novembre prochain, pour honorer ses lauréats 1998, Jeremy McNeil sera à Berlin où il participera au Young European Environment Research Competition, le pendant européen d'une Expo-science panaméricaine. "Je me suis engagé à agir comme juge pour évaluer les projets des jeunes. Alors, ça passe avant la Médaille."
La renommée de "Bugman"
L'année dernière, Jeremy McNeil a accepté une cinquantaine
d'invitations dans des écoles du Québec, de l'Ontario et d'Australie.
Chaque année, entre 1 000 et 2 000 élèves crient leur
surprise, se tordent de rire ou grimacent de dédain en assistant
à son show sur les insectes. "Maintenant, quand je vais au centre
d'achat, il arrive à l'occasion que des jeunes se retournent et disent
à leurs parents: Regarde, c'est Bugman!"
Isabelle Clerc, professeure au Département de langues et linguistique, a suivi Jeremy McNeil dans les écoles alors qu'elle préparait son roman-portrait, pour les 9 à 12 ans, Jeremy McNeil chercheur et Anh Dao (Éditions Héritage)."Sa grande force est qu'il est d'abord un conteur, dit-elle. Il aime raconter des histoires et quand il voit que ça marche, il en rajoute. Pour être un bon communicateur, il faut aimer son domaine, il faut aimer parler et il faut aimer les gens. Jeremy a tout ça à la fois et il symbolise le mariage réussi entre le bon chercheur et le bon pédagogue." La recette de son succès auprès des jeunes réside aussi dans le recours à l'analogie entre les humains et les insectes et dans l'utilisation d'images, poursuit-elle. "En plus, il ne se prend pas au sérieux, il n'étale pas sa science et il reste toujours au niveau des pâquerettes. Certains le voient comme un grand guignol, ce qui ne rend pas justice à tout le labeur et à la préparation qu'il y a derrière ses présentations."
Jeremy McNeil aime son public et son public le lui rend bien. Lors du lancement du livre Jeremy McNeil chercheur et Anh Dao en mars 1997, les jeunes de 5e et 6e années de l'École Fernand-Seguin avaient accueilli Jeremy McNeil et Isabelle Clerc comme d'autres acclament le passage de vedettes rock. C'est en raison de cette chimie que les éditions Héritage avaient misé sur ce personnage coloré et provocateur pour compléter une collection où figuraient déjà les noms de la biathlonienne Myriam Bédard, de la danseuse de ballet Anik Bissonnette, de l'astronaute Marc Garneau, de l'animateur Normand Brathwaite et des comédiens Francis Reddy et Marina Orsini."Ça me faisait drôle d'être le héros d'un livre, dit-il. J'étais habitué à ce qu'on parle de ce que je fais mais pas de ce que je suis. Même si je ne suis pas exactement un introverti, toute cette attention me gênait un peu."
Question de priorité
Jeremy McNeil transpose sa façon de communiquer la science jusque
dans ses cours et dans ses présentations de recherche. "Même
quand le sujet est sérieux, il ajoute toujours une note d'humour,
raconte David Marchand, un étudiant de France qui poursuit un doctorat
en biologie dans le labo de McNeil. "Il est à l'aise et son
enthousiasme est communicatif. C'est un passionné ce mec-là,
c'est clair, et il essaie de te communiquer sa passion." L'étudiant-chercheur
admet que la façon de communiquer de son professeur a une certaine
influence sur lui mais il estime que chacun doit trouver son style. "Le
style de Jeremy va avec son personnage. C'est pour ça que ça
marche si bien!"
À travers ses nombreux voyages (il participe à une dizaine d'événements scientifiques internationaux chaque année), la direction de ses étudiants-chercheurs, ses propres recherches et son enseignement, comment Jeremy McNeil trouve-t-il le temps de rencontrer les groupes scolaires? "Je préfère ne pas me poser la question parce que j'aurais peur de découvrir que c'est impossible! En fait, je crois que c'est surtout une question de priorité. Quand je suis à Québec, j'arrive au labo à 7 h du matin à je quitte vers 18 h le soir. Faire de la communication scientifique avec des jeunes, c'est mon amusement. Quand je suis avec eux, je ne pense jamais que je devrais être au bureau en train de rédiger une demande de subvention. Le contraire se produit quand je participe à des activités pour des raisons politiques."
Recevoir la Médaille McNeil est quelque chose de très flatteur, reconnaît-il. "C'est bon de savoir que les efforts que tu fais sont reconnus par d'autres mais je ne l'ai jamais fait pour obtenir un prix. Je le fais parce que ça me plaît. Et je vais continuer à le faire aussi longtemps qu'on va m'inviter et que les jeunes vont réagir à ce que je raconte. C'est ma façon d'influencer leur idée de la science et de leur montrer que les scientifiques sont des gens comme les autres."
La Médaille McNeil a été créée en 1991 grâce à l'appui financier de la compagnie McNeil Consumer Products, le fabricant de Tylenol. Ce prix, doté d'une bourse de 1 500$, souligne la contribution exceptionnelle d'une personne à la promotion du rôle de la science dans la société et à la diffusion de la science auprès des jeunes et du grand public. Le prix est décerné par la Société royale du Canada, une institution créée en 1882, qui regroupe d'éminents scientifiques, chercheurs et gens de lettres. La Société est composée de 1500 membres recrutés à travers tout le pays et choisis par leurs pairs pour leurs réalisations dans le domaine des arts et des sciences. La Médaille McNeil ne fait pas de Jeremy McNeil un membre de la Société royale du Canada -"Oh God no! Ils sont plus sélectifs que ça", s'exclame l'entomologiste -, mais des démarches auraient été amorcées pour l'introniser dans la sélecte organisation.