29 octobre 1998 |
Le retard dans le développement physique et mental des grands prématurés a des conséquences à long terme sur le comportement des enfants
Les problèmes de comportement que manifestent les grands prématurés une fois rendus en milieu scolaire proviendraient d'un retard dans leur développement physique et mental plutôt que de facteurs liés à l'environnement dans lequel ils ont grandi ou du simple fait d'être prématuré. Ces conclusions, tirées de la thèse de doctorat que Line Nadeau vient de compléter, sous la supervision de Michel Boivin, de l'École de psychologie, chamboulent la plate unanimité qui régnait autour de la question. En effet, jusqu'à présent, les spécialistes s'entendaient pour jeter la première pierre à l'environnement pour expliquer les problèmes d'inattention et d'hyperactivité qu'éprouvent un fort pourcentage des grands prématurés. "Nos résultats ont été présentés à Berne et à Atlanta, signale Line Nadeau, et les spécialistes ont été agréablement surpris de constater qu'il existe maintenant un deuxième modèle moins linéaire de la prématurité. Grâce à notre modèle, on peut maintenant tenter de nouvelles approches pour prévenir les problèmes de comportement liés à la prématurité."
Au Québec, 700 par année
Chaque année, au Québec, environ 6 % des enfants naissent
prématurément (avant la 37e semaine de grossesse). Les grands
prématurés - les enfants qui naissent entre la 24e et la 30e
semaine de grossesse - comptent pour 1 % de l'ensemble des naissances. En
1960, seulement 10 % des grands prématurés survivaient. Aujourd'hui,
plus de 70 % d'entre eux parviennent à s'en tirer de sorte que, grosso
modo, 700 grands prématurés voient le jour chaque année.
Les conditions exceptionnelles dans lesquelles ces enfants naissent et grandissent pendant les premières semaines de leur vie ont attiré l'attention de nombreux spécialistes du développement de l'enfant. Jusqu'à maintenant, les études réalisées auprès des grands prématurés ont révélé une incidence inquiétante de problèmes d'inattention et d'hyperactivité en milieu scolaire. Environ 25 % des prématurés auraient des problèmes de comportement dépassant le seuil clinique de normalité.
"Beaucoup de chercheurs estimaient qu'une fois l'âge scolaire atteint, la prématurité n'avait plus d'effet et qu'il fallait se tourner vers l'environnement de l'enfant si on souhaitait comprendre les causes de ces problèmes de comportement", rappelle Line Nadeau. Pour vérifier si c'était bien le cas, l'étudiante-chercheure a étudié 61 enfants de 6 et 7 ans qui étaient nés entre la 24e et la 29e semaine de grossesse (moyenne 27,4 semaines) et dont le poids à la naissance était inférieur à 1,5 kilo. À l'aide de différents tests, ces enfants ont été évalués par leurs professeurs, leurs parents et, indirectement, par leurs confrères et consoeurs de classe. Les enfants de chaque classe dans laquelle se trouvait un de ces grands prématurés ont été photographiés individuellement pour les besoins de l'étude. À l'aide de ces photos, chaque enfant devait identifier deux élèves du groupe en réponse à une série de questions du type: qui préfère jouer seul, qui pleure facilement, qui est timide, qui est souvent mis de côté par les autres, qui se bataillent souvent, qui dit des choses méchantes, etc. Afin d'établir des comparaisons, la chercheure a répété le même exercice pour un groupe de 45 enfants nés à terme.
Au terme de cet exercice qui a nécessité 1 600 entrevues dans 106 écoles, il ressort que les grands prématurés sont évalués par leur pairs comme étant plus sensibles, plus isolés socialement et moins agressifs que les enfants nés à terme. Ils ont moins d'amis, ils pleurent plus souvent et sont plus timides en classe. Par ailleurs, les tests standards auxquels ont été soumis les professeurs révèlent que l'inattention est la caractéristique la plus marquante des prématurés. Les parents, de leur côté, ont identifié l'hyperactivité comme principal problème. "Le statut à la naissance (le fait d'être un grand prématuré) contribue à expliquer les problèmes de comportement alors que le niveau socio-économique de la mère à la naissance et à sept ans n'a aucune incidence. Ceci porte à penser que les conditions biologiques jouent un rôle plus important que le caractéristiques de l'environnement à l'explication de ces problèmes", avance Line Nadeau.
Combler les retards
Même à l'âge de 6 ou 7 ans, les enfants nés
très prématurément accusent toujours un retard sur
le plan de la croissance physique et du développement cognitif et
neuromoteur par rapport aux enfants nés à terme. Les analyses
de la chercheure révèlent que ce sont ces retards, plutôt
que le fait d'être prématuré, qui expliquent les problèmes
de comportement. Ceci signifie que si un enfant parvient à combler
le retard de développement physique, cognitif ou neuromoteur causé
par une naissance prématurée, ses risques d'avoir des problèmes
de comportement plus tard à l'école ne sont pas plus élevés
que ceux des enfants nés à terme. "En pratique, on constate
d'ailleurs que 75 % des prématurés n'ont pas ce type de problèmes
de comportement", précise Line Nadeau.
Selon la chercheure, les conclusions de son étude montrent qu'il faut intervenir non seulement sur les variables environnementales mais aussi sur les variables qui influencent le développement physique, cognitif et neuromoteur de l'enfant afin de réduire les différences observées entre les enfants prématurés et les enfants nés à terme. L'une des méthodes d'intervention prometteuse est le recours à la méthode Kangourou, développée par l'équipe de Réjean Tessier de l'École de psychologie. Cette méthode consiste à porter l'enfant sur le ventre 24 heures sur 24, peau contre peau, plutôt que de le laisser à l'hôpital dans une couveuse. Testée auprès d'enfants nés à la 35e semaine de grossesse, cette méthode semble influencer positivement la croissance du nouveau-né puisqu'en six semaines, les prématurés comblent leur retard de développement physique.
Par ailleurs, signale Line Nadeau, il existe maintenant des approches qui aident les parents à stimuler correctement leur enfant. "La grande peur des parents prématurés est que leur enfant souffre de retard intellectuel. Ils ont souvent tendance à surstimuler l'enfant, ce qui lui apprendrait la passivité dans ses relations avec les autres. Les parents doivent être informés des risques et nous devons les outiller pour y faire face."
Cet automne, les chercheurs vont retourner voir comment les choses se passent pour ces grands prématurés maintenant âgés de 11 ans. "On pense que ce qu'on a observé à 7 ans va se maintenir, croit Line Nadeau. Le schème se reproduit parce que ces enfants sont de moins bons initiateurs de comportements sociaux ce qui les rend de plus en plus isolés socialement."