29 octobre 1998 |
Idées
par Claude Bariteau,professeur au Département d'anthropologie
L'audace et la transparence seront des atouts pour les souverainistes lors de la campagne électorale qui commence
Les sondeurs prévoient une lutte de titans sur fond post-référendaire. Du jamais vu depuis plus de 30 ans. C'est fort possible tellement les enjeux, surtout économiques, sont clairs. Ça deviendra surtout le cas lorsque les enjeux politiques deviendront tout aussi clairs. Probablement vers la fin de la campagne.
Sur le plan économique, le Parti libéral du Québec, fort de l'appui de tout ce qui est fédéraliste au Canada, proposera d'émasculer à tout jamais Québec Inc. et d'inséminer des spores ontariennes ici et là dans les appareils de la Révolution tranquille. Son but ultime: ramener le Québec à l'essentiel, soit la santé et l'éducation de la population, au profit d'une bourgeoisie petite, grande et moyenne qui fait des clins d'oeil au multiculturalisme canadien.
Cet essentiel, c'est le carré de sable légué au Québec lors de la création du Canada en 1867. Celui-là même qui fut rapetissé en peau de chagrin en 1982. Y trouveront principalement leur compte ceux et celles qui chantonnent l'"Ô Canada" en voyant le mot QUÉBEC en lettres majuscules, se prosternent à droite dès qu'il est question de sous et se veulent les seuls héritiers des efforts collectifs des dernières années après avoir tout fait, sous Johnson et Bourassa, pour hausser la dette.
De son côté, le Parti québécois misera sur la relance du modèle québécois de développement et la consolidation de l'État pour faire contrepoids au processus de mondialisation en cours. Fier des correctifs financiers déjà déployés, il fera valoir que la santé, l'éducation et l'emploi se porteraient mieux si le Québec en contrôlait tous les leviers. Il avancera alors que les Québécois et les Québécoises sont porteurs d'une force irrésistible lorsqu'ils coordonnent leurs efforts dans tous les secteurs afin d'assurer leur prospérité.
Ce parti dira qu'il faut être maître chez soi pour gérer à sa façon son développement. C'est ainsi qu'il cherchera à rallier des nationalistes québécois, du moins ceux et celles qui pensent que le Québec est beaucoup plus qu'une simple province, assuré qu'il est de l'appui des souverainistes convaincus depuis longtemps que la création du pays du Québec est le seul outil permettant un véritable développement.
La stratégie du trompe-l'oeil
L'électeur moyen, que nous sommes tous, s'attend à cela.
Il s'attend aussi à ce que Jean Charest insiste, comme seul un fou
du roi peut le faire, sur la nécessité d'empêcher la
tenue d'un troisième référendum. Pourquoi? Parce que
telle est la principale mission qu'il doit remplir pour le compte des fédéralistes
canadiens. Et pour la faire oublier, il se fera le chantre d'une relance
du dossier constitutionnel et feindra de ne pas savoir qu'il réveille
un vieux fantôme que les Canadiens aiment bien voir apparaître
car ils savent qu'il y a plusieurs lacs ou villes pour le remiser le moment
venu.
Il agitera ce trompe-l'oeil avec l'impétuosité d'un jeune premier. Il aura même l'appui du chef de l'Alliance démocratique du Québec. Ce dernier vient tout juste de sortir des boules à mites le rapport Allaire de 1992 pour se donner une prestance politique, question sûrement de ramener au bercail ses troupiers crypto-fédéralistes qui retournent en silence au Parti libéral du Québec.
Pour Jean Charest, cette relance serait sa carte cachée. Son Eldorado. Les souverainistes y verront plutôt un gros ballon soufflé à l'hélium des promesses sans lendemain, ce que savent pertinemment les fédéralistes. Aussi, ces derniers feront-ils des efforts pour glisser un deux de pique frimé dans la poche de leur allié. Le motif est simple. Ils craindront qu'il prenne une raclée avec un programme identique à celui qui a mis en touche les libéraux de Bourassa et de Johnson.
Après que les fédéralistes canadiens aient dit en choeur que Jean Charest est l'homme de l'avenir au Québec, celui, et le seul, grâce à qui se concrétisera le nouveau pacte social canadien, le grand frère fédéral sortira son sac de bonbons à l'érable. Du haut de sa galerie, il promettra alors aux Québécois et Québécoises qu'ils pourront un jour les sucer s'ils-se-débarassent-une-fois-pour-toute-des-maudits-péquistes.
Devant cet étalage, plusieurs électeurs moyens clignoteront des yeux, d'autres les auront ronds comme des trente sous. Ce coup fourré est en gestation depuis trois ans. Et le grand frère ne s'empêchera sûrement pas de le déployer avec tambours et trompettes. Il le fera d'ailleurs sans gêne maintenant que les adéquistes, Mario Dumont en tête, sont vêtus d'habits fédéralistes et rêvent, comme d'éternels enfants, de refaire le Canada.
Tout cela se déroulera peu après que les libéraux aient fait de Jean Charest l'incarnation-fin-de-siècle de Jean Lesage et dit haut et fort que Lucien Bouchard, grand "louvoyeur", est tout-sauf-un-souverainiste, sa seule ambition étant le pouvoir. En d'autres termes, après que les stratèges libéraux aient asséné des coups pour geler des souverainistes engagés et conté fleurette aux nationalistes tièdes. Soit une semaine ou deux avant la fin de cette campagne.
Le temps des bonbons
C'est alors que l'élection du 30 novembre deviendra proto-référendaire.
L'émotion s'intensifiera. Les cordes sensibles des Québécois
et Québécoises, surtout ceux et celles d'origine française,
vibreront devant tant de bonbons à croquer. Au même moment,
les péquistes seront dépeints comme des trouble-fêtes
entêtés et "statut-quoïfiés".
Personne n'aime les trouble-fêtes quand un "party" s'annonce. Voilà pourquoi les péquistes doivent convier les Québécois et les Québécoises à un rendez-vous historique en se dotant d'une plate-forme électorale qui leur permettra d'évoquer ce que sera le Québec devenu pays. En clair, opposer un modèle québécois refondu au modèle canadien de Jean Charest et cie.
Déjà, on connaît les volets économiques et sociaux du modèle québécois des péquistes. Il faudra faire ressortir sa pertinence comme ses exigences dans la conjoncture actuelle et insister sur l'importance des leviers que possède tout État souverain pour le concrétiser. Mais il faudra plus car tout cela est connu. Il faudra tracer les contours d'un nouveau pacte entre les Québécois et les Québécoises toutes origines confondues, un pacte d'ordre socioculturel qui viendrait compléter les volets en place du modèle québécois.
Ces contours pourraient être la mise au point d'une culture politique commune et la consolidation du lien social par le déploiement, entre autres, de politiques axées sur la lutte à l'exclusion. Dans un univers multiculturel, une culture au sens large n'a pas besoin d'être partagée par tous les citoyens d'un État souverain. Cependant, dans un tel univers, tout social-démocrate fera la promotion des solidarités entre les citoyens et les citoyennes, ce qui passe par une intensification de la démocratie.
Ces contours définiraient en quelque sorte un modèle québécois de démocratie. Ce dernier point est important. Le modèle canadien de démocratie, modèle ancré dans la Constitution de 1982, promeut une citoyenneté formelle couplée à une reconnaissance de la diversité culturelle. Son déploiement au Québec a eu pour effet de figer les clivages culturels et d'alimenter la création de ghettos. Avec les coupes dans les programmes sociaux, ces ghettos se sont vite transformés en lieux d'exclusion.
Or, le programme Charest veut précisément accélérer l'irradiation du modèle canadien au Québec. Lui opposer un modèle qui vise, entre autres, à atténuer les fissures dans le tissu social québécois indiquerait clairement que les péquistes entendent lutter contre tout ce qui favorise les replis ethniques et les exclusions, ce vers quoi le Canada de 1982 conduit le Québec, promesses et bonbons en prime. À mon avis, la majorité des Québécois et des Québécoises se retrouveront dans ce modèle québécois refondu et voudront rapidement des mesures concrètes.
Chose certaine, en prônant ce modèle, le Parti québécois paraîtra audacieux. Mieux. À l'occasion de cette campagne, ce parti devrait rendre transparente son audace. Demander aux électeurs et électrices du Québec un mandat lui permettant d'oeuvrer à la mise en place des conditions gagnantes du prochain référendum, la concrétisation de ce pacte en étant une.
S'il ose de la sorte, le Parti québécois sera pointé du doigt et Lucien Bouchard deviendra l'homme à abattre pour les Canadiens. C'est toujours ainsi que ça se passe lorsqu'on propose des changements importants. Du coup, Jean Charest et ses troupes sentiront qu'ils sont devenus la carte frimée, des deux de pique qui se permettent des entourloupettes en vue de prendre le pouvoir pour le bien des fédéralistes canadiens. Lucien Bouchard deviendra par contre le vrai défenseur des intérêts du Québec et de son avenir.