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29 octobre 1998 ![]() |
Lucien Bouchard s'engage à mettre fin à la précarité du financement des universités mais invite leurs dirigeants à rationnaliser davantage leurs opérations
Lucien Bouchard a peut-être ressenti une certaine nostalgie pour l'époque où il suivait ses études de droit à l'Université Laval en compagnie de son camarade Brian Mulroney, lorsqu'il a pris la parole devant la salle bourrée à craquer du Théâtre de la cité universitaire, jeudi dernier. L'ancien rédacteur en chef du Carabin, le journal étudiant des années 60, a en effet volontairement orienté son discours sur la vision social-démocrate du Parti Québécois, comme s'il voulait renouer avec la fièvre qui animait ce campus quand on y rêvait, au moment de la Révolution tranquille, de construire au Québec une société plus tolérante et dominée par le partage. Le premier ministre a également pris quelques engagements électoraux, promettant de geler les frais de scolarité pour un prochain mandat et d'accroître le financement des universités grâce aux prochains surplus budgétaires.
Selon Lucien Bouchard, le combat électoral qui s'amorce oppose deux visions du Québec, deux façons de concevoir la société. Autant le modèle proposé par son adversaire Jean Charest lui semble celui du "laisser-faire" d'une économie de marché à tout crin, autant son propre programme lui paraît allier productivité des entreprises et compassion pour les plus démunis. Lucien Bouchard a ainsi mis en relief, dans son discours, les différentes mesures sociales prises par son gouvernement. Il a rappelé notamment que ce dernier a légiféré pour mettre en vigueur des places de garderies à cinq dollars, la loi sur l'équité salariale et celle sur la perception automatique des pensions alimentaires.
Des leviers étatiques à préserver
Menant une charge à fond de train contre les politiques de droite
en vigueur en Ontario, qui selon lui inspirent son adversaire libéral,
le chef du Parti Québécois n'a pas hésité à
prendre un engagement solennel devant un auditoire étudiant très
attentif: "Chez nous, on a les frais de scolarité les moins
élevés en Amérique du Nord. Depuis quatre ans, on ne
les a pas augmentés. Et je peux vous le dire aujourd'hui, si mon
gouvernement est réélu, on ne va pas les augmenter non plus
pendant notre prochain mandat." Chaudement applaudi par l'assistance,
le premier ministre a souligné également les performances
économiques de son gouvernement qui a réussi à créer
cette année 56 000 nouveaux emplois, dont la moitié sont allés
à des jeunes.
Citant les exemples de réussites comme le Cirque du Soleil ou Bombardier, des entreprises qui ont bénéficié à leurs débuts d'un coup de pouce du gouvernement du Québec, Lucien Bouchard a rappelé l'importance à accorder à des instruments économiques d'État, comme la Société générale de financement, un organisme qui recrute des investisseurs partout dans le monde. "Nous, du Parti Québécois, on est d'accord pour dire que la fameuse main invisible du marché est la plus grande productrice de richesse qui existe. Mais () il faut aussi une main fraternelle qui vienne non seulement arrondir les angles et se préoccuper de la qualité de vie, mais qui vienne aussi aider l'économie."
Pas de chèque en blanc pour les universités
Devant les étudiants de l'Université Laval, le premier
ministre s'est également engagé à investir très
prochainement une partie des surplus budgétaires à venir dans
l'éducation, et en particulier dans l'enseignement supérieur
afin, selon lui, "de mettre fin à la précarité
du financement des universités." Mais cette promesse n'a rien
d'un chèque en blanc, puisque dans le même temps le chef du
Parti Québécois invite le monde universitaire à mieux
utiliser les budgets actuels. S'exprimant un peu plus tard devant les médias
du campus, il a précisé sa pensée en indiquant qu'il
fallait éviter la duplication des programmes et des services. Selon
Lucien Bouchard, il faut s'interroger également sur la pertinence
de certaines formations mises sur pied dans les années 60 ou 70 qui
ne correspondent peut-être plus forcément aux besoins des secteurs
de pointe aujourd'hui.
Mais à en croire le premier ministre du Québec, l'impulsion de ce mouvement de changement doit venir des universités elles-mêmes, et il invite les différents acteurs du monde universitaire à réfléchir ensemble à l'avenir du réseau universitaire dans le cadre d'une vaste consultation qui se tiendrait probablement au printemps prochain. Une consultation qui devrait conduire à l'élaboration d'une Politique des universités. Réagissant un peu plus tard aux déclarations de Lucien Bouchard, le recteur de l'Université Laval, François Tavenas, a fait remarquer que le réseau des universités du Québec, qui a déjà absorbé des coupures budgétaires de près de 500 millions de dollars depuis quatre ans, avait déjà entrepris des efforts de rationalisation très importants. Selon François Tavenas, il existe très peu d'exemples de duplication entre les programmes dispensés dans différentes universités québécoises.
Le recteur de l'Université Laval a souligné d'autre part la qualité et la performance de l'enseignement supérieur au Québec et rappelé, notamment, lesretombées économiques que génèrent certaines formations universitaires comme la médecine. Interrogé le jour même dans le cadre de l'émission Midi-quinze (Radio Canada) sur l'hypothétique fermeture d'une des quatre facultés de médecine québécoises, François Tavenas a évoqué les retombées très négatives - en matière de transfert technologique, entre autres - de la disparition d'un maillon de ce réseau de recherche. Il a ainsi indiqué que, depuis cinq ans seulement, une quarantaine d'entreprises de biotechnologie ont vu le jour dans la région de Québec grâce à la présence et aux recherches performantes de la Faculté de médecine de l'Université Laval. Les véritables économies ne sont donc pas toujours là où on le pense.