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29 octobre 1998 ![]() |
Le rock serait-il bel et bien mort? On enseigne maintenant son histoire à la Faculté de musique.
À la Faculté de musique, Serge Lacasse passe pour un rebelle. Pourtant, ce monsieur dans la trentaine n'arpente pas les corridors du pavillon Casault vêtu d'une veste de cuir cloutée et n'arbore pas le fameux "A" encerclé qui est le sigle des anarchistes. Au contraire: avec ses jeans, ses lunettes et son large front, il correspond tout à fait au stéréotype du jeune intellectuel. Pourquoi le perçoit-on comme un curieux personnage? Parce que Serge Lacasse est un mordu de musique rock qui entend bien partager sa passion: ce trimestre, il donne un cours intitulé Histoire du rock.
Serge Lacasse, on s'en doute, n'est pas un musicologue comme les autres. Il se définit d'ailleurs comme un musicien rock qui a "toujours aimé réfléchir sur la musique". Son parcours témoigne parfaitement de cette double allégeance: en plus d'avoir joué de la batterie dans différents groupes et d'avoir été technicien dans un studio d'enregistrement, il est titulaire d'un baccalauréat en jazz de l'Université McGill et d'un autre en histoire et littérature musicale de l'Université Laval.
De Xenakis à Peter Gabriel
Comme bien des gens, Serge Lacasse a longtemps cru qu'on ne pouvait
pas analyser le rock comme on décortique les grandes oeuvres de
Malher et de Stravinski. Il était même décidé
à rédiger un mémoire sur Xénakis lorsqu'il a
fait une découverte qui l'a bouleversé: dans une revue intitulée
Popular Music, publiée par Cambridge University Press, il a trouvé
un article qui analysait de façon détaillée un solo
de Jimi Hendrix. "Sur le coup j'ai eu peur, se rappelle-t-il, je trouvais
dangereux "d'académiser" la musique rock". Mais l'inquiétude
a vite cédé le pas à la fascination. Il a vite oublié
son mémoire sur Xénakis, a développé sa propre
méthode d'analyse et l'a appliquée à la chanson Digging
in the Dirt de Peter Gabriel.
Les musicologues qui s'intéressent aux musiques populaires ne sont pas légion au Québec. Mais, depuis quelques années, le rock s'immisce lentement dans les facultés de musique un peu partout en Amérique et Europe. Il y a environ dix ans, un musicologue passionné de jazz des années 30 et un inconditionnel de musique de films ont même fondé un institut de la musique populaire (Institute of Popular Music) à Liverpool, en Angleterre. C'est là que Serge Lacasse a préparé son doctorat qui porte sur la mise en scène de la voix dans la musique enregistrée.
L'école des fans
Puisque le rock est entré à l'université, est-ce
à dire qu'il ne dérange plus? Le rock serait-il... mort? "Je
ne pense pas que le rock soit mort, au contraire! C'est une peur que beaucoup
de gens ont, ils pensent qu'à partir du moment où on se met
à "académiser le rock, on est en train d'en tuer la spontanéité."
Serge Lacasse est bien placé pour en parler puisqu'il a d'abord réagi
de cette façon. Depuis, il a constaté que bien des fans de
rock s'efforcent de décortiquer et d'analyser la musique de leurs
groupes favoris. "Ils savent les solos par coeur et connaissent certaines
tounes au millimètre près. Ils ont une oreille beaucoup plus
développée qu'ils ne le croient. Le problème avec les
fans "ordinaires", c'est qu'ils ne savent pas nommer ce qu'ils
entendent. Je veux les amener à exprimer ces choses-là et
à leur faire prendre conscience de l'impact que ça peut avoir
sur eux." C'est ce qu'il fera au prochain trimestre dans le cadre d'un
cours axé sur l'analyse de la musique rock.
Du Mississippi à l'Angleterre
Pour l'heure, Serge Lacasse s'attache à retracer l'histoire de
ce phénomène musical, commercial, culturel et social qui a
profondément marqué les quarante dernières années.
Plus précisément, il observe l'évolution de la musique
rock en relation avec les mouvements sociaux de l'époque. Par exemple,
il constate et démontre que l'explosion du rock dans les années
50 est intimement liée à la montée des mouvements des
droits pour les Noirs aux États-Unis. Jusqu'aux années 60,
il s'intéresse presque exclusivement à ce qui se passe en
territoire Nord Américain. Par la suite, il lui est impossible d'ignorer
les britanniques. Que serait une histoire du rock sans les Beatles, Rolling
Stones, Pink Floyd et autres super-groupes?
Même s'il donnera deux cours au prochain trimestre - Histoire du rock et Analyse du rock - et qu'il avoue ne pas avoir eu trop de mal à vendre ses idées à l'Université, Serge Lacasse est loin de croire que la partie est gagnée. "Il y a beaucoup de chemin à faire dans les facultés de musique pour justifier la présence du rock. On ne devrait même pas avoir besoin de le faire, tout le monde écoute ça! On s'intéresse à la musique népalaise et à la musique sacrée du XVIe siècle, pourquoi ne s'intéresserait-on pas à la musique des partys d'aujourd'hui? Pourquoi le rock ne serait-il pas digne d'autant d'intérêt que les autre styles de musique?"
Voilà une question à laquelle il répondra peut-être, s'il concrétise son projet d'écrire une histoire du rock en français...