15 octobre 1998 |
Chaque image présentant une ville en dit beaucoup sur son auteur et son époque
Une ville, c'est un peu comme un livre. C'est un objet et un espace qu'on peut lire et interpréter de différentes façons. Inévitablement, chaque image ou chaque texte qui présente une ville dit beaucoup sur la façon dont elle est perçue et pensée. Les participants au colloque Ville imaginaire/ville identitaire, qui s'est tenu à la salle Multi du complexe Méduse, les 8, 9 et 10 octobre derniers, se sont proposé de décortiquer les différents discours des représentations de la ville, afin de dégager ce qui marque son imaginaire et son identité.
Au cours de ce colloque de trois jours, auxquel ont participé plusieurs professeurs et étudiants de l'Université Laval, les villes - Québec en particulier- ont donc été examinées sous tous les angles. Par exemple, on a interrogé les représentations des villes dans le cinéma, fouillé les romans ou étudié le point de vue des immigrants. On a analysé la ville comme sujet et comme objet, comme lieu et concept, en gardant toujours à l'esprit cette question essentielle: qu'est-ce que ce regard posé sur la ville dévoile de l'observateur et de son époque?
Québec dans l'oeil
Lors du premier atelier, deux participants ont retracé l'évolution
du regard posé sur la ville de Québec. Marc Grignon, professeur
au Département d'histoire de l'Université Laval et chercheur
au CÉLAT (Centre d'études interdisciplinaire sur les lettres,
les arts et les traditions francophones en Amérique du Nord), a comparé
les représentations de la ville de Québec sous les régimes
Français et Anglais.
D'emblée, l'historien a spécifié que les vues de Québec datant des XVIIe et XVIIIe siècles constituent moins des documents historiques fiables que des "représentations de façons de voir la ville". Sous le Régime Français, par exemple, la ville de Québec a presque toujours été représentée selon les mêmes conventions: on la regardait depuis l'Est et on l'enfermait entre Cap aux diamants et l'embouchure de la rivière Saint-Charles. Les illustrateurs étaient plus soucieux de mettre en valeur les institutions (château, tours et clochers) que de montrer véritablement la ville, comme si on cherchait d'abord et avant tout à imposer l'image d'une cité forte et fière dominant une Amérique sauvage.
Dès l'arrivée des Anglais, le point de vue a changé. Une vue datant de 1761 nous montre Québec depuis la rivière Saint-Charles, ce qui est tout nouveau. Les auteurs des plans et des cartes s'appliquent à reproduire avec exactitude la géographie du terrain, a souligné Marc Grignon. C'est l'oeil militaire qui scrute et détaille le paysage. À partir de ce moment, tous les points de vue deviennent valables. On peut voir Québec depuis Lévis et, autre changement radical, Lévis depuis Québec. La ville de Québec n'est plus du tout le noyau isolé qu'elle a été sous le Régime Français.
Étudiante au doctorat au Département de géographie, Martine Geronimi s'est intéressée, pour sa part, à la façon dont les différents guides touristiques du XIXe siècle dépeignent la ville de Québec. Au fil de ses recherches, elle a entre autres constaté que l'image de marque du Vieux-Québec s'est fixée au siècle dernier. Dès les premiers guides, publiés au milieu du siècle, le regard posé sur Québec est positif sinon élogieux. On loue cette "ville romantique au passé historique que l'étranger peut contempler en toute sécurité". Il est d'ailleurs intéressant de noter que, cent ans plus tard, tout cela n'a que peu changé: Québec se donne toujours à voir comme une ville différente "dont le charme rappelle cette Europe idéalisée", pour reprendre les mots de Martine Geronimi.
Même si les communications de Marc Grignon et Martine Geronimi furent plus descriptives qu'analytiques, elles ont le mérite d'avoir montré qu'il est primordial de tenir compte du contexte dans lequel un document écrit ou visuel a été produit lorsqu'on veut en faire l'examen.