8 octobre 1998 |
Les églises sont vides mais l'homme post-moderne n'a jamais eu aussi soif de transcendance.
Il est faux de prétendre que la société "post-moderne" est marquée par l'absence de rituels. En fait, des rituels de toutes sortes ponctuent nos vies, telle une nécessité profonde dont l'être humain ne peut se passer. Ainsi, décorer sa maison, aller cueillir des pommes à l'automne, manger au restaurant avec des amis constituent autant des gestes "religieux" permettant de se remettre en contact avec soi-même et avec l'environnement. En même temps que les églises se sont vidées, que les vocations sacertodales se sont raréfiées et que l'enfer et le péché n'ont plus fait contrepoids à la délibération morale, se seraient donc installées des pratiques religieuses d'un autre type.
Tels sont quelques-uns des propos tenus par Denis Jeffrey, professeur à la Faculté des sciences de l'éducation, lors du débat-conférence organisé par l'INRS-culture et société et le Centre de recherche sur l'enseignement et la profession enseignante, le 28 septembre, au pavillon Charles-De Koninck. Portant sur le thème "Post-modernité et transcendance", la rencontre réunissait en outre Michel Maffesoli (Sorbonne), Lawrence Olivier (UQUAM), Gérard Boulet (UQAM) et Olivier Clain (Université Laval).
"La religion ne semble réellement pas faire bon ménage avec la modernité, a soutenu Denis Jeffery. Le témoignage religieux est lui-même objet de suspicion. On qualifie de rétrogrades les individus qui discutent de leur foi en Dieu, on taxe les disciples du Nouvel Age d'excentricité, on se défie des musulmans qui, croit-on, en sont restés au stade archaïque de la pensée, on raconte dans les médias que les nouvelles sectes n'attirent que des individus en mal de vivre. En fait, la religion serait un stade dépassé de l'histoire de l'humanité: celui de la superstition, de la barbarie, de l'Inquisition, des guerres saintes et de l'obéissance aveugle. L'humanité, en s'ouvrant au monde des sciences, aurait atteint l'âge de raison."
Selon Denis Jeffrey, la religion post-moderne, elle, prend ses distances à l'égard du christianisme et s'inspire des religions du monde entier. Cette distanciation ne constitue pas un rejet du christianisme, mais le questionnement de ses limites en tant que religion au service de l'homme. "Malgré la défection massive de l'Église catholique, la religion est demeurée le lieu privilégié de la quête de sens et de l'apaisement des troubles existentiels."
La conscience morale
De son côté, Lawrence Olivier constate que nous nous trouvons
actuellement dans une époque de transcendance et de densité,
et ce, "même si on a l'impression que les valeurs foutent le
camp": "Contrairement à hier, le sens de l'existence n'est
plus donné. La raison se retourne sur elle-même pour définir
ses propres fins. Les transcendances ne viennent plus d'en haut mais de
l'horizontal." Dans un monde où la transcendance n'est plus
verticale, c'est-à-dire qu'elle ne vient plus de Dieu mais de l'homme,
qu'est-ce qui empêche l'être humain de voler ou de tuer, sinon
sa conscience morale? Pour sa part, Gérard Boulet croit que l'homme
cherche constamment, à travers diverses expériences, à
renouer avec le sacré. En quête de sens, il tente tant bien
que mal à retrouver cet état béni, cette énergie
spirituelle propre à une force dont il est investi depuis la nuit
des temps.