8 octobre 1998 |
Quatre étudiants de génie ont escaladé le mont McKinley. Dans le milieu le plus inhospitalier du continent, ils ont découvert le simple bonheur d'être vivants et libres.
Le site web du Parc national Denali renferme des communiqués de presse dont les titres laissent perplexes: "L'opération de sauvetage des alpinistes britanniques se poursuit", "Un alpiniste secouru au fond d'une crevasse", "Une excursionniste attaquée par un ours", "Un alpiniste américain transporté par avion à l'hôpital d'Anchorage", "Le corps de l'alpiniste manquant est retrouvé". Nicolas Bussières, Sébastien Fortin, Magalie Levasseur et Nicolas Paradis, tous étudiants en génie à l'Université Laval, connaissaient bien la réputation de mont Denali - la nouvelle appellation "autochtone" du mont McKinley - lorsqu'ils ont mis le cap sur le plus haut sommet d'Amérique du Nord le printemps dernier. "C'est un aspect qu'on considère toujours au moment de choisir une destination mais ça ne nous a pas arrêtés pas pour autant", constate Sébastien Fortin.
Denali, le faucheur de vie
Depuis la première ascension réussie de cette montagne
en 1913, le mont Denali a pris la vie de plus de 90 alpinistes, dont deux
Québécois lors d'une expédition en 1992. Chaque année,
les autorités du parc dépensent plus de 400 000 $ US en opérations
de sauvetage. "Il y a des gens qui meurent sur la route chaque semaine
mais je continue d'aller en voiture, explique pour sa part Magalie Levasseur.
Je connais des personnes qui sont mortes en expédition mais ça
ne change pas la signification de la montagne pour moi. Ça ne m'empêche
pas de faire ce que j'aime le plus au monde."
Si Sir Edmund Hillary a gravi l'Everest "parce qu'il était là", les quatre étudiants ont choisi le mont Denali parce qu'ils voulaient faire "quelque chose ensemble, quelque chose de gros et long, quelque part où il ne fait pas toujours beau et chaud", selon les termes de Sébastien Fortin. Novembre 1997, les quatre étudiants jonglent donc avec deux destinations possibles: Logan au Yukon ou Denali en Alaska. "Par chauvinisme sans doute, on disait vouloir aller au mont Logan, raconte Sébastien Fortin. Mais, à force d'en parler, on a réalisé qu'on désirait tous s'attaquer au Denali." Avec ce mont, dont le nom signifie "celui qui est haut" dans la langue des Amérindiens athabascan, les quatre étudiants devaient trouver botte d'escalade à leur pied.
Le mur
Le mont Denali a pratiquement les pieds dans la mer et la tête
dans les nuages à 6 194 mètres. Les différentes routes
d'accès vers le sommet partent à 2 000 mètres de sorte
qu'une ascension de plus de 4 000 mètres attend l'alpiniste qui souhaite
le gravir. "C'est l'une des destinations qui présente le plus
haut dénivelé au monde, souligne Sébastien Fortin.
En comparaison, l'Everest a un dénivelé de 3 400 mètres.
Techniquement, par contre, ce n'est pas une montagne très difficile."
L'intérêt d'une expédition au Denali, poursuit-il, c'est
la longueur du trajet et les conditions très difficiles qu'on y trouve:
les crevasses, la neige, le froid atteignant 30 degrés sous zéro
même au printemps, l'altitude, les risques d'avalanches et le vent.
"Il faut installer des blocs de neige durcie tout autour des tentes
pour éviter qu'elles soient emportées par le vent, même
si on les fixe du mieux qu'on peut", raconte l'étudiant. Tous
ces facteurs réunis font que moins de 50 % des alpinistes qui entreprennent
l'ascension du Denali parviennent à contempler cette région
grandiose à partir du sommet.
Avant de s'attaquer au toit du continent, les quatre alpinistes présentaient une feuille de route totalisant 24 années d'expérience en montagne: les Rocheuses pour l'un, la Cordillère des Andes et le Népal pour un second, les Pyrénées, la Patagonie et du trek dans l'Himalaya pour l'autre... bref, des kilomètres et des kilomètres à la verticale. Malgré tout, une expédition au Denali exige une préparation physique particulière. Porter sur son dos un sac de 30 kilos en tirant derrière soi un traîneau qui en pèse presque autant, dans un milieu où l'oxygène va en se raréfiant, peut s'avérer dangereux pour un corps mal préparé. "Nicolas Paradis s'y connaît bien en entraînement et il nous a préparé un programme spécial, dit Sébastien Fortin. On sortait cinq fois par semaine. Au début, on faisait de la course et du ski et, à la fin, on faisait presque uniquement de l'escalier."
Curieusement, tous, à l'exception de Nicolas Bussières inscrit en génie mécanique, étudient dans un domaine où règne le minéral: le bac en génie géologique pour Magalie Levasseur et Nicolas Paradis et la maîtrise en mines et métallurgie pour Sébastien Fortin. Mais, pour les quatre, l'appel de la montagne a précédé celui de la science. "En expédition, on finit toujours par avoir une petite discussion de géologues mais on n'est pas là pour ça", résume Magalie Levasseur.
Au sommet de soi
L'équipe Laval-Denali disposait d'environ trois semaines en mai
pour effectuer l'expédition, emplois d'été obligent.
"Il a neigé tous les jours, raconte Sébastien Fortin.
Des systèmes météo ont apporté du vent et de
la neige continuellement. Par moments, on ne voyait pas trois mètres
à l'avant." Pendant les vingt premiers jours d'expédition,
les quatre équipiers sont demeurés en attente dans la tente
pendant sept jours entiers. Après avoir atteint le dernier camp à
5 300 mètres, le mauvais temps persistant et le manque de temps ont
forcé trois des quatre alpinistes à rebrousser chemin. Seul
Nicolas Bussières, qu'aucun emploi ne rappelait à la maison,
a effectué les cinq dernières heures d'escalade qui les séparaient
du sommet, après s'être joint à une autre équipe
d'alpinistes.
"On aurait pu essayer d'atteindre le sommet malgré les conditions pour flasher, dit Sébastien Fortin. Mais, finalement, le sommet, ce n'était qu'une journée d'ascension de plus. L'escalade, c'est une philosophie, un mode de vie. Le but est d'être en montagne. Atteindre le sommet, c'est comme la cerise sur le gâteau. Même si tu ne l'atteins pas, le gâteau est bon quand même."
De son côté, Magalie Levasseur avoue que sa première réaction en a été une de déception. "Je trouvais que ça enlevait un peu d'adrénaline à l'expérience. En discutant avec les autres, j'ai compris que j'étais là pour vivre une expérience et que l'expérience était la même peu importe si j'atteignais le sommet. J'ai vécu sur le Denali pendant presque un mois et j'aimerais y retourner parce que c'est une montagne exceptionnelle. Pas pour me rendre au sommet"
Sébastien Fortin dit avoir retiré un grand esprit de liberté de cette expédition. "Il n'y a pas d'odeur, pas de couleur à part le blanc de la neige et le bleu du ciel, pas de bruit, pas de végétation. Tout autour de toi est source de danger, la glace, les crevasses, le froid, le vent et tu trouves le moyen d'être bien, d'être heureux et de vouloir rester là." Cette expérience, dit-il, lui a donné un motif et un moteur vers un autre défi: la Cordillère blanche au Pérou et, le but ultime, l'Himalaya, "quand je vais avoir les moyens".
Et pour Magalie Levasseur? "Quand tu grimpes, tu ne penses plus à rien. Tu oublies les travaux à remettre, les comptes de téléphone, il n'y a plus d'horaire, tu décroches. Tout ce qui compte, c'est le prochain geste que tu vas poser. Parfois, quand je suis sur la montagne, je me demande qu'est-ce que je fais là tellement c'est dur. Mais dès que je redescends, je veux remonter. C'est une sensation difficile à décrire. C'est le défi de survivre sans doute", confie-t-elle au Fil, avant de retourner en classe pour assister à la suite du cours "Géodynamique". "Aujourd'hui, la matière est vraiment très intéressante, dit-elle en se sauvant. On parle des montagnes." Même si ses pieds sont redescendus à l'altitude de la butte Myrand, la tête de Magalie Levasseur plane encore quelque part dans les nuages...
Les quatre étudiants présenteront une conférence-diaporama sur l'expédition Laval-Denali, le jeudi 8 octobre à 20 h à la salle multimédia (local 2530) du pavillon Alphonse-Desjardins. Admission 3$.