1er octobre 1998 |
"La démocratie exige le respect de la vérité. Si les livres, les journaux et les autres médias ne donnent qu'une version des faits et si les intellectuels n'ont pas le courage de dénoncer les mythes et les mensonges, la démocratie va forcément en souffrir."
Selon Robin Arguin, cette phrase tirée d'un texte de l'ex-premier ministre canadien Pierre E. Trudeau dans la revue Cité Libre, en 1997, illustre à merveille la situation ayant prévalu au lendemain du rapatriement de la Constitution canadienne, en 1982, et va tout à fait dans le sens de son mémoire en science politique. Reprenant l'expression de Platon, Robin Arguin affirme ainsi que ces "gardiens de la Cité" que sont les intellectuels et - dans une plus large mesure - les journalistes, éditorialistes et chroniqueurs des médias écrits ont manqué à leur rôle dans cette affaire, en éclairant mal la lanterne de la population sur les enjeux réels du rapatriement de la constitution et de l'entrée en scène de la Charte canadienne des droits et libertés.
Avant d'en arriver à cette conclusion, l'étudiant-chercheur a lu des dizaines d'articles parus dans des revues scientifiques entre 1982 et 1997, où des universitaires francophones s'exprimaient sur la question constitutionnelle. Il a également parcouru trois journaux francophones, La Presse, Le Soleil et Le Devoir, parus entre octobre 1981 et mai 1982. "Qu'ils soient universitaires ou commentateurs-journalistes, la majorité des intellectuels qui ont écrit sur le sujet se sont éloignés des faits et ont sombré dans la démagogie, les exagérations et les procès d'intention, soutient Robin Arguin. Ils ont fait preuve de désinformation en ne donnant pas une information nuancée et équilibrée, qui aurait fait ressortir, par exemple, les aspects positifs de cette réforme pour le citoyen. Essentiellement, le mot d'ordre était "Le Québec va encore se faire avoir par Ottawa "."
Si les universitaires et les gens des médias (en majorité des nationalistes québécois selon lui) ont réagi de cette façon, la nouvelle du rapatriement de la Constitution a été plutôt bien accueillie par le reste de la population, note Robin Arguin, qui a fait cette constatation en se basant sur les résultats de certains sondages réalisés en 1982 et 1983. "Les années ont passé et les scénarios apocalyptiques construits après les événements constitutionnels de 1982 par les intellectuels et la classe journalistique se sont finalement avérés sans fondement, dit-il. Ainsi le rapatriement n'a pas affaibli les pouvoirs du Québec, comme le prédisaient ses détracteurs, sans trop savoir en quoi et comment ces pouvoirs seraient affaiblis, d'ailleurs. En fait, l'un des irritants majeurs était que le Québec devienne une province canadienne comme les autres, mettant ainsi en péril la question des deux peuples fondateurs."
Fédéraliste convaincu, Robin Arguin a pourtant déjà été un nationaliste pur et dur qui agitait fièrement le fleurdelysé lors de grandes manifestations politiques. C'est en lisant des ouvrages sur le fédéralisme canadien et en s'instruisant sur la question qu'il a lentement - mais sûrement- changé de camp. "Depuis toujours, Ottawa nous est présenté comme le méchant et Québec, comme le bon. Mes lectures m'ont aidé à faire la part des choses." Séduit par ce qu'il appelle "la philosophie du bon sens et de l'équilibre", il soutient que ses longues discussions avec son directeur de mémoire, Max Nemni, lui ont appris à penser de façon moins "ethnique" et plus "civique": "Les gens devraient être considérés en fonction de leur citoyenneté et non pas en fonction de leur "souche" ou de leur sang. Finissons-en avec la guerre de drapeaux; c'est une question d'harmonie et d'équilibre."
En juin dernier, Robin Arguin a eu le grand plaisir de recevoir une lettre de Pierre E. Trudeau, dans lequel l'ex-premier ministre le félicite pour avoir "magistralement jeté une lumière nouvelle sur le clivage qui existe entre les intellectuels nationalistes et le reste de la population québécoise". Fort de l'encouragement de l'un de ses maîtres à penser, Robin Arguin continue de rêver d'un monde où la démocratie et la modération auront toujours leur place.