1er octobre 1998 |
Les producteurs québécois ont gagné une bataille mais il leur reste une crise mondiale à affronter
Même si les producteurs de porcs ont obtenu la compensation qu'ils réclamaient du gouvernement pour essuyer une partie des pertes encourues cette année, la crise actuelle dans l'industrie porcine risque de perdurer encore plusieurs mois. En effet, les soubresauts du prix du porc, qui acculent présentement à la faillite bon nombre de producteurs québécois, sont le reflet d'une vague de fond qui déstabilise l'ensemble des pays producteurs. "Les experts avaient prévu une hausse de la consommation du porc cette année mais nous allons plutôt assister à une baisse. À l'échelle mondiale, compte tenu de l'augmentation de la production qui s'annonce un peu partout dans les pays exportateurs, l'offre devrait dépasser de 3 % la demande. Cette différence peut sembler faible mais, ramenée à l'ensemble des pays producteurs, ça représente environ 30 millions de porcs en trop. C'est plus que la production totale du Québec (5,8 millions) et de l'ensemble du Canada (16,5 millions) en 1997", explique Serge Lebeau, chercheur au Groupe de recherche en économie et politique agricole (GREPA). Tous les porcs trouvent éventuellement preneur, poursuit-il, mais cette surproduction mondiale provoque une baisse des prix telle que les éleveurs doivent vendre à perte.
Directeur général du Centre de développement du porc du Québec pendant plusieurs années et aujourd'hui directeur-adjoint du GREPA, Serge Lebeau a réalisé de nombreuses études sur l'industrie du porc. La dernière en liste, sous embargo pour une période de six mois, porte sur les niveaux d'intervention des gouvernements de différents pays dans l'industrie porcine. Elle a été réalisée pour le compte de la Fédération des producteurs de porcs du Québec qui préparait sans doute des munitions pour d'éventuelles négociations avec le gouvernement.
Le creux de la vague
Rappelons qu'à la suite de la chute des prix du porc, les producteurs
québécois réclamaient l'abolition de la dernière
coupure imposée au programme d'assurance-stabilisation des revenus
agricoles. En vertu de ce programme, dont ils défraient le tiers
des cotisations, les éleveurs de porc ont droit à des compensations
pour combler l'écart entre le prix du marché et le coût
de production. Ce dernier montant est établi à partir de données
provenant d'une enquête réalisée auprès de 35
fermes performantes, ce qui n'équivaut pas nécessairement
au coût moyen des quelque 3 000 éleveurs de porc, précise
Serge Lebeau. "Le coût de production est fixé en fonction
de données réelles mais ces données sont-elles représentatives?",
questionne-t-il.
L'année dernière, alors que le porc valait 203 $ le 100 kilos, le coût de production suscitait peu de passions. Mais, maintenant que le prix a chuté aussi bas que 105 $ et que les producteurs vendent à perte, ce montant est devenu crucial puisqu'il sert à établir les compensations auxquelles les éleveurs ont droit. "Entre 25 % et 30 % des entreprises porcines québécoises sont en sérieuses difficultés financières, estime Serge Lebeau. Les entreprises peu efficaces vont avoir beaucoup de difficulté à passer à travers la crise. Les 900 naisseurs (ceux qui produisent des porcelets destinés aux éleveurs) sont dans une situation précaire parce qu'il y a peu de demande présentement pour leur production. Dans les dernières semaines, le porcelet s'est vendu aussi bas que 5 $ alors qu'il coûte de 55 $ à 60 $ à produire."
Même des producteurs qui possèdent des porcheries performantes à la fine pointe de la technologie pourraient être acculés à la faillite à cause d'un endettement trop élevé. "Ce sont des producteurs sur lesquels il faudrait pouvoir compter dans quelques années pour saisir les nouvelles opportunités sur les marchés mondiaux", analyse le chercheur.
Préparer l'avenir
La crise économique asiatique a durement frappé le porc
puisque 53 % des importations mondiales allaient vers cette région
du monde. Les exportations québécoises vers le Japon ont baissé
de 23 % cette année. Même scénario du côté
de la Russie où la chute du rouble a mis un terme aux exportations
québécoises de porc en août dernier.
Le porc demeure tout de même une production intéressante pour le Québec, estime le chercheur. "Nous disposons d'une bonne expertise et d'une bonne structure de production et de transformation. L'économie asiatique va se relever, de nouveaux pays importateurs pourraient s'ajouter après les prochaines négociations du GATT et, à cause des problèmes de pollution, les Européens ne peuvent plus augmenter leur production. Il y aura donc des possibilités de développement à saisir."