1er octobre 1998 |
Ça joue dur en eau douce: rapidement et sûrement, la moule zébrée pousse les moules indigènes vers la falaise de l'extinction.
L'arrivée de la moule zébrée dans un lac ou une rivière a de quoi faire frémir la faune indigène. En effet, la nouvelle terreur des eaux douces d'Amérique du Nord augmente dramatiquement le risque d'extinction des populations indigènes de moules, révèle une étude que le chercheur Anthony Ricciardi, du Département de biologie, vient de publier, avec ses collègues Neves et Rasmussen, dans le Journal of Animal Ecology.
À partir de données historiques et actuelles sur les population de moules indigènes, ce chercheur du Groupe interuniversitaire de recherches océanographiques du Québec a comparé le taux de disparition avant et après l'arrivée de la moule zébrée dans différents cours d'eau d'Amérique du Nord. Originaire de la mer Caspienne, la moule zébrée aurait été introduite dans les Grands Lacs au cours des années 1980 par les eaux de ballast des navires.
Entre les années 1900 et 1980, le taux de disparition des espèces nord-américaines de moules se situait à 1,4 % par décennie. Depuis l'arrivée de la moule zébrée, ce taux a augmenté par un facteur dix. Dans les lacs et les rivières où la densité de moules zébrées atteint des densités élevées, les moules indigènes sont éliminées en 4 à 8 ans. Dans le Mississippi, qui abrite les plus grandes populations de moules d'eau douce au monde, le taux d'élimination a grimpé à 12 % par décennie, un estimé que les auteurs de l'étude qualifient de conservateur. Dans certains secteurs du Saint-Laurent, des espèces qui avaient résisté à des décennies de destruction d'habitats et de pollution ont été rapidement éliminées par la moule zébrée.
Environ 60 % des 297 espèces connues de moules d'eau douce d'Amérique du Nord sont menacées ou en danger d'extinction et 12 % sont déjà disparues. "Il faut s'attendre à une vague d'extinction massive à cause de l'introduction de la moule zébrée", prédit Anthony Ricciardi.
Le village écologique global
La moule zébrée fait à peine 30 mm de longueur
mais elle constitue une menace sérieuse pour la diversité
biologique de la faune d'eau douce. Elle se reproduit rapidement et, contrairement
aux moules indigènes, elle peut se développer sur des substrats
solides auxquels elle se fixe grâce à des filaments adhésifs.
Elle s'installe, entre autres, sur les coquilles des autres moules, les
empêchant du coup de s'alimenter et de respirer normalement. "Parce
qu'il n'existe aucune espèce qui agit ainsi dans nos eaux, les moules
indigènes n'ont aucun moyen de défense contre la moule zébrée,
explique le chercheur. Elles meurent de faim, recouvertes par une couche
de moules zébrées."
La seule arme disponible pour limiter les dégâts est la prévention, estime Anthony Ricciardi. "Il faut réglementer le déplacement des bateaux entre régions et, plus important encore, éduquer les propriétaires de bateaux afin qu'ils comprennent leur rôle dans la propagation de la moule zébrée." Selon Anthony Ricciardi, il ne faut pas aborder la question par plan d'eau mais plutôt par grandes régions géographiques. Par exemple, le lac Memphrémagog est entouré de lacs et de rivières infestés par la moule zébrée. "Malgré les efforts des organismes locaux, ce n'est qu'une question d'années avant que ce lac ne soit lui aussi envahi. Par contre, il y a plus de la moitié de l'Amérique du Nord qui est encore épargnée. C'est de ce côté qu'il faut faire de la prévention."
La prolifération des moules zébrées annonce des modifications profondes de l'écologie des rivières et des lacs en Amérique du Nord. "Les espèces cosmopolites comme la moule zébrée, la salicaire pourpre ou la truite brune causent un appauvrissement de la diversité biologique et une homogénéisation des habitats. Nous assistons présentement à une macdonaldlisation des écosystèmes qui fait que les lacs et les rivières se ressemblent de plus en plus à travers le monde. Cette tendance, accélérée par le commerce international, nous conduit vers le village écologique global." Et la moule zébrée, conclut-il, n'est qu'une des espèces annonciatrices de ce nouvel ordre mondial.