1er octobre 1998 |
Le premier débat organisé par la Chaire Publique portait sur la culture dans une société en mouvance
Peut-on définir ce que sont l'art et la culture? Ces définitions sont-elles immuables? Quels types de rapports notre société entretient-elle avec les artistes et leurs oeuvres? Voilà, en gros, les questions soulevées par les participants au premier débat organisé cette année par la Chaire Publique de l'Université Laval, qui s'est tenu le 25 septembre dernier dans le cadre des Journées de la culture et du Salon des études de l'Université Laval.
Autour de la table, trois invités aux curriculum forts différents: Luc Archambault, artiste-peintre, Marie Lavigne, présidente du Conseil des arts et des lettres du Québec, Andrée Fortin, professeure au Département de sociologie de l'Université Laval. Le thème autour duquel ils devaient discourir et débattre: "L'art et la culture dans une société en mouvance: de nouveaux points d'ancrage?"
La sociologue Andrée Fortin, première à prendre le micro, s'est intéressée à la façon dont notre société traite les artistes et les oeuvres. Dans une société industrielle dite "de consommation", tout est mis en marché, a-t-elle souligné. On vend des livres, des disques et des pièces de théâtre comme on vendrait un téléphone. Même l'opéra, art élitiste par excellence, est maintenant mis en marché comme le premier disque pop. Elle a cité en exemple l'album des "trois ténors" (Pavarotti, Domingo et Carreras), qui a d'ailleurs été enregistré dans un stade de base-ball...
Poursuivant son analyse de la logique marchande, Andrée Fortin a constaté une sorte de "dérive de l'oeuvre à l'artiste". "On ne vend plus les livres, observe-t-elle, on vend l'écrivain. L'artiste devient une vedette. On fait des entrevues avec les artistes plutôt que de développer un discours critique sur leurs oeuvres."
Le poids de l'État
Marie Lavigne, quant à elle, a insisté sur l'influence
de l'appareil étatique dans la définition de l'art et de la
culture. "On a beaucoup réfléchi à la culture",
a-t-elle ironisé, en faisant référence au sept politiques
culturelles différentes adoptées par le Québec depuis
la création du ministère des Affaires culturells en 1961.
Il faut être attentif à ces politiques, a prévenu Marie
Lavigne, car elles ont des incidences concrètes: elles orientent
l'octroi des crédits gouvernementaux qui font - littéralement
- notre culture.
Par exemple, en 1978, la politique culturelle de Camille Laurin établit que la culture passe par une meilleure connaissance de ses racines. En conséquence, on insiste sur la collectivité et on choisit de mettre en valeur le patrimoine. "Dans un tel contexte, l'art ne peut pas exercer sa fonction critique", a noté Marie Lavigne. Mais tout cela est mouvant: quinze ans plus tard, sous Lise Bacon, on insistera au contraire sur "l'autonomisation" de l'artiste.
Se disant un peu "mêlé" après ces "beaux discours", Luc Archambault a préféré se faire l'animateur de la période de questions. Celle-ci fut d'ailleurs dominée par sa forte personnalité et ses déclarations à l'emporte-pièce. Il a déploré le fait que l'art soit "à la merci de choses insignifiantes comme les politiques culturelles". "L'État ne veut pas aider l'art, a-t-il déclaré plus tard, l'État veut qu'on pense qu'il aide l'art." La formule a été applaudie par une partie du public, mais la présidente du Conseil des arts et des lettres du Québec n'a pas manqué de lui dire qu'il charriait.
Pour le reste, le débat fut assez peu animé. Le thème de la discussion étant très vaste, chaque participant s'est retranché derrière son expérience professionnelle. Ce qui se dégage de cette discussion, c'est que, dans une société comme la nôtre, l'art et la culture sont définis soit par le marché, soit par les rapports gouvernementaux. "Tout cela se passe un peu au-dessus de la tête de l'artiste", a résumé Marie Lavigne, qui a dit regretter que celui-ci ne soit pas toujours perçu comme un maillon essentiel de la chaîne dont il fait partie.