17 septembre 1998 |
Le Dictionnaire historique du français québécois sera un ouvrage majeur de référence pour la francophonie
Un peu plus de vingt ans après sa mise en chantier, la première édition du Dictionnaire historique du français québécois (DHFQ) a finalement été lancée le 14 septembre par les Presses de l'Université Laval. Cet ouvrage unique en son genre est le fruit du travail de l'équipe du Trésor de la langue française au Québec (TLFQ) - l'une des composantes du CIRAL (Centre international de recherche en aménagement linguistique) - placée sous la direction du linguiste Claude Poirier. Le DHFQ regroupe plus de 600 québécismes étudiés dans une perspective historique et plus de trois mille mots caractéristiques du français écrit et parlé ici.
Vingt ans pour produire un dictionnaire de moins de 700 pages, cela peut paraître long; mais c'est le temps qui est nécessaire pour bâtir de toutes pièces un ouvrage de référence comme le DHFQ. "Les gens ne s'imaginent pas ce que ça représentait de faire un dictionnaire historique du français du Québec, affirme Claude Poirier. Le Robert peut faire un dictionnaire en trois ou cinq ans, parfois moins, mais il repose sur d'autres dictionnaires, il y a quatre siècles d'expérience dans le domaine en France."
Les mots pour le dire
L'entreprise a vite pris des dimensions colossales. D'abord, l'équipe
du TLFQ a dû recueillir une énorme quantité de documents
variés, publiés depuis le régime français jusqu'à
aujourd'hui. Études sur les expressions québécoises,
journaux, oeuvres littéraires, textes radiophoniques ou télévisuels,
des milliers de pages d'archives ont été amassées puis
soigneusement épluchées. Après avoir relevé
tous les mots caractéristiques du français d'ici - quelques
milliers -, les chercheurs du TLFQ les ont suivis à la trace et étudiés
dans leur contexte afin d'en dégager le ou les sens. Le coeur du
DHFQ, c'est pas moins d'un million de fiches pour la plupart manuscrites
alignées dans une vingtaine de classeurs.
Dans cette première édition, le DHFQ décrit et raconte 660 mots caractéristiques du français québécois. Parmi eux, champlure, bardasser, zipper, plaster et patate. Le DHFQ établit les divers emplois, les différentes orthographes et les niveaux de langue auxquels ces mots appartiennent. Par exemple, dans la langue courante, le mot patate désigne la pomme de terre; mais il se retrouve également au sein de plusieurs expressions familières comme "être dans les patates" ou encore "mâche-patate".
Finis les complexes
"Le DHFQ vise à légitimer une partie de la langue,
explique Claude Poirier, à prouver que ces termes-là existent
et qu'ils sont bel et bien en usage. Nous disons: "voilà ce
que vous dites, auteurs, journalistes, gens ordinaires, gens des régions,
voilà ce que la documentation nous révèle"."
Le linguiste décrit également le DHFQ comme une sorte de miroir
linguistique dans lequel se reflète toute la société
québécoise. "Même les gens qui dénoncent
fortement ces termes-là les utilisent, insiste-t-il. Je m'amuse d'ailleurs
souvent à repérer des termes qu'on n'a pas encore eu l'audace
de traiter, sous la plume d'un auteur ou d'un journaliste qui se montre
très puriste."
L'autre but avoué de cette entreprise, c'est d'en finir avec ce complexe d'infériorité qu'ont beaucoup de Québécois lorsqu'ils comparent leur langue au français parlé ailleurs. Celui de France notamment. "Avoir une connaissance plus approfondie et, surtout, une conscience historique de notre langue nous permettra de réajuster l'image que les Québécois ont d'eux-mêmes", pense Claude Poirier
D'autres volumes?
À l'heure actuelle, le DHFQ tient en un seul volume. Claude Poirier
prévoit que la version "complète" de l'ouvrage pourrait
demander trois tomes du même gabarit. Mais, comme beaucoup d'autres
équipes de recherche, le TLFQ manque de ressources financières.
"Nous avions deux choix: ne rien publier en attendant de tout avoir
- et nous n'aurions jamais pu continuer parce que personne ne veut le croire
-, ou publier ce que nous avions de mieux et faire la preuve que nous pouvions
faire un dictionnaire d'un genre tout à fait nouveau à l'intérieur
de la francophonie." Le linguiste espère que la publication
de cette première édition convaincra les organismes bailleurs
de fonds d'investir dans le projet.
La parution du DHFQ a été soulignée par toute l'équipe du CIRAL, à l'occasion d'une petite réception donnée. Le CIRAL en a également profité pour dévoiler son nouveau site web (www.ciral.ulaval.ca), qui donne accès à une partie des travaux de ses différentes équipes de recherche, dont celle du TLFQ.