17 septembre 1998 |
HOMMAGE À LOUIS FRANCOEUR
Louis Francoeur, professeur au Département des littératures et sémioticien de réputation internationale, est décédé le 2 juin à la suite d'une longue maladie. Lors de ses funérailles, célébrées en l'église Saint-Michel de Sillery, Marie Francoeur, son épouse, prononça l'éloge funèbre que nous reproduisons ci-après.
Dans nos sociétés modernes, le nom d'une personne n'est la plupart du temps qu'un signe à simple valeur indicielle. Le nom désigne alors un individu à la manière d'un index qu'on pointe vers lui. Ce signe fonctionne comme le numéro d'assurance sociale qui a le mérite, lui, d'être plus précis et d'éviter toute méprise, l'homonymie n'étant plus possible. L'homme dont nous fêtons aujourd'hui l'entrée dans la vie éternelle, mon compagnon de vie, a été identifié, comme nous tous, par un nom indice. Mais son nom, il l'a porté aussi, et là je parle autant du prénom Louis que du patronyme Francoeur, à la manière d'une image. Une image sonore où la fluidité de la lettre initale L et la douceur des voyelles du prénom Louis se mêlent au dur martèlement des consonnes du nom de famille, Francoeur. Un murmure confié à cette brise du large que Louis aimait tant, un murmure suivi du claquement d'un étendard. Ceux et celles qui ont connu Louis, et particulièrement les étudiants et les étudiantes qu'il a initié à la vie de l'esprit et à la quête du savoir au cours de ses quarante années d'enseignement, n'ont pas oublié à quel point il alliait, comme dans son prénom et son nom, force et douceur, rigueur intellectuelle et délicatesse dans les rapports humains, exigence et générosité, hardiesse dans la recherche, sagesse et mesure dans son oeuvre de formation des personnes. En nous tous, car je suis du nombre de ses anciens étudiants, il savait discerner ce qui faisait notre faiblesse et notre force, tâchant de suppléer à la première, mettant en relief la seconde afin que nous en arrivions à donner notre pleine mesure, que nous puissions développer notre vrai moi, celui que nous nous créons en créant un texte scientifique _ un mémoire de maîtrise, une thèse de doctorat _ et surtout, une oeuvre d'art. Louis voyait chaque être humain comme un projet qui demande à s'accomplir.
Mais un nom, c'est plus qu'un indice et qu'une image, si évocatrice, si parlante soit-elle. C'est aussi un symbole qui englobe les deux premiers signes, comme Louis se plaisait à le répéter dans son enseignement. Et le symbole est un signe de la mémoire, un signe de la tradition, un signe du passé reçu en héritage et accepté comme un don. Louis, un prénom de souverain, de preux. Francoeur, un nom d'artisan. Mon mari portait avec fierté le nom de métier de son ancêtre, Claude Charland, dit Francoeur, un maître charpentier-maçon dont nous nous plaisions à imaginer qu'il subsiste sur la côte de Beauport à Beaupré et sur l'île d'Orléans où il élut successivement résidence quelques belles anciennes maisons du dix-septième siècle, oeuvre de ses mains et de son savoir. Louis alliait les vertus du grand seigneur à celle de l'artisan. À la constance dans le travail, à l'humilité devant la tâche à accomplir, il joignait la générosité, le courage, la grandeur de vue et surtout, mais comment les dissocier? la grandeur d'âme.
Son nom, il l'aura compris jour après jour, il l'aura vécu, serait-il plus juste de dire, comme un signe du futur que l'on se crée. Une sorte de work in progress Comme un projet, un programme qu'il se donnait. Il a été franc de coeur, c'est-à-dire libre. Libre de toute mesquinerie, de toute bassesse. Libre de coeur et brave au combat, comme le veut l'étymologie germanique de son prénom, Louis. Il l'aura été dans sa vie professionnelle comme dans sa maladie. Il aura choisi sa mort, mourant au combat, non du cancer, mais des suites d'un choc septique. Louis avait choisi de vivre. La vie d'abord, la vie avant tout, la vie malgré tout La Vie comme valeur primordiale, comme but ultime. Son alpha et son oméga
Souffrant mais lucide, à moins de trois heures de son décès, il en était venu à voir sa vie, notre vie, comme une montée vers la vie éternelle, une montée qu'il a comparée à celle du Golgotha, mais sa prière, dans le droit fil de notre vie commune, s'adressait à son Seigneur, lui demandant de nous donner "la force de continuer notre combat ", car, Seigneur, disait-il, "c'est notre manière à nous de répondre à ton appel." À quelques instants de l'arrêt cardiaque fatal, en écoutant de la musique, un disque de Bach, apporté par son ami Maurice, il me murmura, souriant et ravi , les yeux clos: "C'est beau"
Vivre sa mort, vivre malgré la mort, vivre au-delà de la mort. Parce que Louis croit que l'Amour est plus fort que la mort, à jamais il vit "dans l'aujourd'hui amoureux de l'amour".
Jour de la rentrée à l'Université, il y avait un orchestre rock qui jouait à l'extérieur.Il n'est plus possible aujourd'hui de dire que le rock est barbare. Des penseurs l'encensent et la majorité semble contente.
Peut-on au moins faire remarquer que cette musique de liberté absolue est imposée à ceux qui, comme moi, ne l'aiment pas? Avons-nous encore le droit de dire que cette musique est agressante, qu'elle use les nerfs?
Et en dehors de toute considération stylistique, ne peut-on pas reconnaître qu'à l'école, à l'intérieur et surtout à l'extérieur des pavillons, le droit au silence devrait primer sur le goût, même majoritaire, d'une musique fortement amplifiée?
Personnellement je pense que le rock est le principal agent de détérioration de la conscience contemporaine. Il insensibilise. Je trouve infiniment triste l'attitude de l'Université Laval qui en acceptant un tel "party" extérieur, démontre qu'elle est prête à renoncer à des valeurs fondamentales pour attirer et satisfaire ses clients.
LA SÉCESSION PAR LA PEAU DES DENTS?
Majorité simple...
La Cour Suprême vient de déterminer les balises dans lesquelles pourrait s'effectuer la sécession. Tout le monde y trouve son compte, en s'attardant uniquement aux éléments qui font l'affaire. Les uns retiennent l'obligation de négocier avec les neuf autres provinces. Les autres appuient sur l'impossibilité de déclarer unilatéralement la sécession.
Mais lorsqu'il s'agit du pourcentage à obtenir pour enclencher le processus, il y a divergence irréconciliable. Les uns s'appuient sur la légalité donc 50 % plus un, d'autres sur la légitimité donc sur la nécessité d'avoir un vote clair, ce qui dépasserait le 70 % comme dans les grandes compagnies (Desjardins).
On ne peut nier la légalité du 50 % +1 mais que fera-t-on avec les 50 % qui auront dit non? Est-ce qu'on les fera taire par la force? Est-ce qu'on les empêchera de contester le libellé de la question? Est-ce qu'on limitera leurs droits à la dissidence? Est-ce qu'on les harcèlera pour qu'ils finissent par se ranger? Est-ce qu'on les étiquettera comme "traîtres, vendus, collaborateurs" ? Actuellement c'est ce qui se produit avec les fédéralistes. Est-ce que tous les patriotes restés fidèles au Canada vont accepter en silence que le Canada se brise en morceaux par une infime majorité ?
Le bon sens de plusieurs Québécois commence déjà à écarter la possibilité de faire Sécession à 50 % +1... Sachant que ce qui est légal n'est pas nécessairement légitime pour la PAIX sociale. Comment briser le Canada, quand 50 % de Québécois sont contre: des francophones, (il y en a, que ça plaise ou non...) les anglophones, les allophones et les amérindiens? Et surtout pourquoi briser le Canada? Les sentiments d'humiliation invoqués par les séparatistes ne justifient pas la brisure de notre pays...
Une majorité claire, un vote clair, voici les barèmes insurmontables pour les séparatistes. Leur projet n'est pas si bien accepté et justifié, voilà pourquoi ils s'accrochent à la majorité simple. Ils savent que ça ne "pogne" pas et voudraient l'obtenir par "la peau des dents"
Si ces conditions ne sont pas respectées, eh! bien, il n'y aura pas de négociations avec les neuf autres partenaires. C'est très sage d'agir ainsi, pour le plus grand bien de la démocratie. Quand on invoque l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération à 52 % pour justifier la majorité simple afin d'obtenir la sécession, on compare deux choses complètement différentes. Terre- Neuve voulait BÂTIR le Canada, tandis que Québec veut DÉTRUIRE le Canada. Voilà toute la différence entre les deux provinces.
À mon avis, aucun sentiment ne justifie la brisure de mon pays le Canada. Car ce sont bien des sentiments dont il s'agit, sentiments: d'humiliation, d'infériorité, de mépris... La raison n'a rien à voir dans ce projet. Serions-nous mieux après ?
Voilà la question. Personne n'y a répondu, excepté Mme Lise Bissonnette qui a déjà écrit qu'elle était prête à en assumer les coûts qui seront énormes sans doute. Elle sait qu'il y aurait un prix très élevé. De nos jours, les sentiments ne sont pas une monnaie qui peut s'échanger... Ils peuvent être utilisés à des fins partisanes et intéressées, et ça se fait régulièrement...
LES NATIONALISTES ÉTOUFENT LEUR RELÈVE
Je veux répliquer ici au texte "De la Canadian Press au Canadian Jail, de Jean-Luc Gouin, paru dans le Fil du 27 août 1998. D'abord, si le Québec demeure toujours dans la "geôle" canadienne, ce n'est pas parce que le reste du Canada veut le retenir. Le sentiment général qui règne là-bas en est plutôt un de separatism fatigue, c'est-à-dire quelque chose entre l'indifférence et la résignation. En tout cas, on n'a pas les moyens de retenir le Québec contre sa volonté. L'armée canadienne ? C'est un tigre de papier. Lors de la crise d'Oka, elle a vécu de graves problèmes de logistique et de matériel. Une intervention similaire, menée à l'échelle provinciale, serait quasi impossible.
N'oublions pas que le mouvement souverainiste ne date pas d'hier. S'il n'y avait pas eu de réticences à l'intérieur du Québec, l'indépendance aurait pu être acquise dès le début des années 80. Après tout, le moment était propice. Lors du référendum de 1980, le Oui avait remporté 40 % des votes. Puis, en 1982, Pierre Trudeau a refait la Constitution sans le consentement du Québec, et même sans le consentement du peuple canadien (il n'y a pas eu de référendum sur la nouvelle constitution, ni d'élections). C'était un vrai coup de théâtre; son geste a profondément divisé le camp fédéraliste et aurait dû fournir les 10 points de pourcentage qui manquaient ·
Pourtant, le mouvement souverainiste s'est immobilisé. Une vague de désenchantement poussait les jeunes à quitter le Parti québécois. Face à la récession de 81-82, l'État et les syndicats ont tout fait pour protéger les travailleurs déjà établis, au détriment des nouveaux arrivés sur le marché du travail. Ces derniers se heurtaient partout aux barricades de recrutement interne, d'ancienneté, de bumping et, plus tard, de clauses orphelins. Ils se sentaient délaissés, comme s'ils étaient bons pour promouvoir l'indépendance mais pas assez bons pour devenir des citoyens à part entière. Je ne cite pas ici une opinion personnelle. C'était l'opinion de tous les jeunes ex-péquistes que j'ai connus au milieu des années 80.
Les jeunes de cette époque-là ont vécu la montée des mesures discriminatoires à leur égard comme une innovation perverse, contraire aux idéaux sociaux-démocrates du mouvement souverainiste. Pour les jeunes d'aujourd'hui, il s'agit de choses qui ont toujours été (la fin de la récession n'a pas entraîné un démantélement de ces mesures). D'ailleurs, on peut affirmer, avec raison, que les Libéraux n'étaient pas mieux: ils se sont vite accommodés de ce systéme inique pendant leur mandat. Donc, pourquoi pas essayer la seule porte de sortie qui reste? À mon avis, c'est un vain espoir, mais c'est un espoir qui anime beaucoup de jeunes depuis quelques temps et qui a permis au Parti québécois de se reconstruire et de reprendre le pouvoir.
Aujourd'hui, les personnes en bas de 30 ans représentent moins de 15 % des syndiqués de la CSN et moins de 2 % des employés réguliers de la fonction publique (les occasionnels sont surtout des jeunes). On peut brosser à peu près le même tableau pour les grandes entreprises, les corps enseignants et les organismes municipaux et parapublics. Parallèlement, les jeunes sont surreprésentés dans les emplois précaires - contrats à terme, emplois occasionnels, travail autonome, à la pige ou sur appel - sans parler du chômage tout court. Voilà une perte de ressources et de talents. C'est une perte non seulement pour les jeunes mais aussi pour l'ensemble de la société, car les moins de 30 ans constituent le groupe d'âge qui peut produire le plus avec le moins de dépenses (frais médicaux, pensions, etc.). En les repoussant vers la marge, on s'appauvrit collectivement.
Tout cela n'a rien à voir avec le projet d'indépendance, vous me direz. D'accord. Mais on ne fait pas l'indépendance par plaisir. On la fait pour réaliser un certain projet de société. On la fait parce qu'on a des idéaux. À mes yeux, les idéaux ne sont pas trés évidents. Ce que je vois, dans les faits, est une certaine génération qui se sert d'un discours nationaliste et faussement progressiste pour légitimer son pouvoir et ses privilèges. En effet, c'est une étrange sorte de nationalisme qui laisse si peu de place pour sa relève.
Enfin, l'indépendance entraînera forcément des frais de transition, pas autant que certains prétendent mais il y en aura sûrement. Qui va les payer ? Pas besoin d'aller trop loin pour trouver la réponse. Qui, pensez-vous, a payé les frais des deux dernières récessions ?