10 septembre 1998 |
L'étudiant-chercheur Réal Brisson a analysé la crise d'Oka à partir de 800 caricatures publiées dans les quotidiens anglophones et francophones du pays. Il a découvert deux visions opposées d'une troisième solitude.
Au delà de ses prétentions humoristiques et légères, la caricature recèle-t-elle des vérités politiques, culturelles ou sociales qui échappent au texte, à la photo ou à la caméra? Réal Brisson, étudiant-chercheur au Département d'histoire, le croit fermement après avoir complété l'analyse de l'imposante production de dessins de presse engendrée par la crise d'Oka de l'été 1990.
"Le dessin de presse renferme presque toujours un message politique, dit-il. Sous le couvert de l'humour, le caricaturiste utilise la métaphore pour passer des messages exagérés qui risqueraient d'être mal acceptés autrement. Alors que la photo représente quelque chose de réel, la caricature apporte quelque chose de plus qui s'inscrit dans une autre réalité. Le caricaturiste lui-même est souvent perçu comme le délinquant de l'équipe éditoriale."
Selon l'étudiant-chercheur, la caricature reflète bien davantage que la simple opinion de son auteur. "Bien qu'il travaille de façon autonome, le caricaturiste a une affiliation avec l'équipe éditoriale. Je verrais mal Chapleau travailler au Toronto Sun, dit-il. En plus, il y a une affiliation entre le caricaturiste et ses lecteurs. La caricature reflète les préjugés et les stéréotypes du lectorat."
L'idée d'effectuer une analyse des dessins de presse sur la crise d'Oka a suivi un étrange parcours avant de s'imposer à Réal Brisson. "Au départ, je voulais faire une thèse sur une situation de crise, dit-il. J'ai d'abord pensé à l'épidémie de choléra du siècle dernier puis à la crise d'octobre 1970. Finalement, j'ai choisi la crise d'Oka parce que je l'avais vécue et que je m'intéressais à l'identité et à la représentation sociale de l'Amérindien. En plus, à cette époque, je ne voulais plus rien savoir de la question nationale québécoise et je ne voulais pas travailler là-dessus (son analyse devait montrer par la suite qu'il s'était joyeusement trompé!). En feuilletant les pages éditoriales des journaux, j'ai réalisé que la caricature offrait du matériel intéressant pour une analyse de la crise d'Oka."
Oka zoo
On se souviendra que la crise d'Oka a commencé le 11 juillet 1990
alors que 200 agents de la Sûreté du Québec montaient
à l'assaut de barricades érigées par des Mohawks de
Kanesatake opposés au projet d'agrandissement du terrain de golf
d'Oka. Au cours de l'opération, un policier perd la vie. Les Mohawks
érigent alors d'autres barricades pour tenir tête à
la SQ. Par solidarité, les Amérindiens de la réserve
de Kahnawake sur la rive sud entrent dans la danse en bloquant des routes
d'accès à leur réserve et, plus tard, le pont Mercier.
Suit l'interminable siège de la Sûreté du Québec
et de l'armée canadienne qui fait de cet événement
le point de mire médiatique du pays pendant deux mois.
La crise d'Oka, survenue pendant une période creuse de l'année côté actualités, a fait les choux gras des caricaturistes. Pendant les 78 jours de confrontation, plus de 800 dessins de presse, produits par 60 caricaturistes, ont été publiés dans les 31 quotidiens anglophones et les 10 quotidiens francophones du pays. "En moyenne, pendant plus de deux mois, chaque quotidien a consacré une caricature sur deux à la crise amérindienne, relate l'étudiant-chercheur. C'est quelque chose qui se produit très rarement."
Au terme de ses travaux de recherche, dirigés par Denys Delâge du Département de sociologie et codirigés par Richard Jones du Département d'histoire, Réal Brisson a constaté que les médias francophones et anglophones véhiculaient deux visions bien distinctes et fort significatives du même événement. "Il ne s'agit pas de visions nuancées des mêmes faits mais bien de visions opposées." La crise d'Oka est survenue quelque mois à peine après l'échec de l'Accord du lac Meech, rappelle l'étudiant-chercheur. Il semble que la presse anglophone a profité de la situation pour régler des comptes en soulignant comment la société distincte québécoise traitait ses propres minorités. "C'était aussi un retour d'ascenseur des médias anglophones aux autochtones, grâce à qui l'accord du lac Meech avait échoué", avance-t-il.
Dessins à dessein
Plus des trois quarts des caricatures publiées dans les médias
anglophones étaient sympathiques à la cause autochtone, révèle
l'analyse de Réal Brisson. Leurs dessins traduisaient une complaisance
envers les Amérindiens et ils justifiaient le recours à la
violence. "L'Amérindien était représenté
comme un résistant, un guerrier fort et fier, dépouillé
de ses droits fondamentaux. De leur côté, les médias
francophones dénonçaient la violence utilisée par les
Mohawks et ils représentaient l'Amérindien comme un délinquant
qui prenait toute une population en otage, un favorisé, un privilégié,
un suralimenté et un ingrat entretenu. "Je crois qu'aujourd'hui,
avec le recul, les messages des dessins de presse francophone et anglophone
seraient plus nuancés."
L'autre grand constat qui se dégage de son analyse est la banalisation de l'autochtone. "Le caricaturiste ne s'attarde pas à la complexité des sociétés autochtones et il ne s'embarrasse pas des nuances culturelles. La représentation de l'Amérindien dans les caricature (mocassins, panache de plumes, arcs, flèches, carquois, haches, peintures de guerre) ne correspondait en rien à l'image des Amérindiens que l'on voyait à la télévision pendant la crise."
Aucune autre étude canadienne n'avait précédemment utilisé la caricature comme matériel d'analyse. "Le dessin de presse est une source encore peu exploitée dans la recherche historique, souligne Réal Brisson. En France par contre, il est considéré et utilisé comme source historique de première main au même titre que la documentation écrite."