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27 août 1998 ![]() |
Profil
Thomas A. Reisner entame son mandat à la tête de l'organisme Voice Of English Québec avec le style qu'on lui connaît déjà comme professeur de littérature anglaise...
En conversant avec Thomas A. Reisner, on en vient à se demander si la matière que certains professeurs enseignent ne déteint pas peu à peu sur leur personnalité. Ses remarques un brin caustiques et son attitude un rien "pince-sans-rire" en font presque un personnage ressemblant aux dandys britanniques dont ce professeur de littérature anglaise étudie les murs dans un de ses cours sur l'histoire sociale et culturelle de la Grande-Bretagne.
Depuis juin dernier, Thomas Reisner préside aux destinées de Voice Of English Québec (VEQ), un organisme de défense des anglophones de la grande région de Québec. À des années lumière des assemblées de citoyens vociférant et réclamant à corps et à cri la partition de leur municipalité si le Québec se sépare, Voice of English Québec tente de protéger sans tambours ni trompettes les droits d'une minorité de 15 000 personnes vivant dans la région de la capitale. Armé d'une tranquille assurance, son président nouvellement élu entend bien user de persuasion pour faire comprendre aux politiciens les besoins de sa communauté.
"Nous nous intéressons beaucoup aux questions sociales afin, notamment, que les personnes âgées, parfois unilingues anglaises, puissent bénéficier de services dans leur langue", souligne Thomas Reisner. Bien sûr, la transformation de l'Hôpital Jeffery Hale, fondé par des anglophones, en centre de séjour de longue durée le déçoit, mais il souligne aussi les bons coups de Voice Of English Québec, comme la restauration du Morrin College dans le Vieux-Québec qui abrite l'une des plus anciennes bibliothèques anglophones du continent. "Nous parlons d'une voix rationnelle au gouvernement", précise Thomas Reisner qui avoue se sentir peu de sympathie pour le radical dirigeant d'Alliance Québec, qu'il juge agressif. En s'appuyant sur des données démographiques, le président de VEQ entend par ailleurs souligner le manque de représentativité de la communauté anglophone au sein de la fonction publique québécoise. À un noyau de familles présentes dans la région depuis 200 ans, s'ajoutent aussi, souligne-t-il, de plus en plus des professionnels, souvent bilingues, venus d'autres provinces.
Les rince-doigts dans la littérature
Posé, contenu dans ses propos, Thomas Reisner sait aussi user de
volubilité en abordant un de ses thèmes de recherche favori:
la vie quotidienne du temps passé. Écouter ce conteur brosser
un tableau des manières de table en vogue au XVIIIe siècle
donne presque des hauts-le-coeur, tant sa description de l'usage des pots
de chambre dans la salle à manger ou des rince-doigts utilisés
pour se désaltérer s'avère réaliste. Amant inconditionnel
de ces petits riens qui tissent le quotidien, il plaide pour une histoire
d'avantage intimiste qui adopterait un point de vue résolument terre
à terre. "La plupart des travaux d'historiens manquent de texture
car ils négligent les détails, confieThomas Reisner. Dans
mes cours, je tente de montrer aux étudiants que les textes littéraires
constituent une source de documentation importante sur la vie de l'époque."
À partir d'un cours qu'il a donné sur l'histoire sociale et culturelle de la Grande-Bretagne, le chercheur met d'ailleurs la dernière main à un ouvrage en trois tomes sur la vie quotidienne, réalisé grâce à des extraits de journaux intimes, de quotidiens, de caricatures, de petites annonces ou même de passages de romans. "Les écrivains reflètent le monde dans lequel ils vivent, précise-t-il. Par exemple, Lord Byron se met à une certaine date à mentionner l'utilisation d'eau de seltz pour mentionner les lendemains de soirées trop arrosées, tandis que d'autres font des remarques sarcastiques sur les chapeaux extravagants que portent les femmes en les comparant à des nids d'oiseaux."
Donner de l'air à la littérature
À l'encontre de certains enseignants, Thomas A. Reisner prône
une définition de la littérature bien plus large que celle
se limitant aux belles-lettres. Les lettres ou les dessins souvent satiriques
publiés dans les journaux l'intéressent ainsi particulièrement,
car ils fournissent, par leurs commentaires, un reflet des valeurs d'une
société donnée. De la même façon, le chercheur
tisse des liens avec d'autres disciplines à travers l'examen, par
exemple, de mythes circulant autour de l'utilisation du thé ou du
café. Plusieurs gens de lettres soulignent ainsi dans leur correspondance
que ce dernier provoquerait une baisse de la virilité masculine.
Une accusation qui pourrait s'expliquer, selon Thomas A. Reisner, par le
fait que le jeune État français cherchait à garder
ses devises après la Révolution, et incitait ses concitoyens
à consommer des boissons locales...
Professeur depuis 35 ans au sein du Département des littératures de la Faculté des lettres, Thomas A. Reisner compare sa prestation face aux étudiants durant un cours à une performance. "Je dois parler de chaque poème comme si je ne l'avais jamais étudié avant, afin de conserver un enthousiasme qui permet de mieux communiquer la matière", explique-t-il. Paul-André Bourque, l'actuel directeur du Département, confirme les talents d'orateur de celui qui fut son professeur de poésie victorienne, mais souligne du même souffle le haut niveau d'exigence de l'enseignant: "Je crois qu'avec lui, les étudiants donnent d'avantage. Lorsque je suivais son cours, il nous demandait de lire des milliers de pages, bien plus que tous les autres professeurs." De son côté, Thomas Reisner avoue sans coquetterie le plaisir qu'il éprouve à discourir devant un auditoire critique, qui le pousse à découvrir parfois ses propres lacunes, lui permettant de creuser plus loin ses connaissances. Passionné par l'enseignement, il se félicite d'ailleurs de la qualité croissante des étudiants qui suivent les cours de littérature anglaise. Il faut dire qu'avec son bagout et sa truculence, ce professeur arriverait certainement à intéresser un poulet aux techniques de cuisson du Colonel Sanders.