![]() |
27 août 1998 ![]() |
Les débats très spécialisés sur le thème principal du Congrès de l'Association des Sociétés de Philosophie de Langue Française n'excluaient pas des échanges sur des questions d'une chaude actualité
Après la vague des "logues" de tout poil capables de mettre un nom sur le moindre des maux de l'âme, celle des gourous inspirés par les constellations ou les ondes telluriques, voilà que les philosophes se réapproprient la place publique. Les cafés où on discute philosophiquement des grands problèmes humains fleurissent au coin des rues et les ventes de livres écrits par des philosophes grimpent en flèche. Même des colloques savants comme celui de l'Association des Sociétés de Philosophie de Langue Française, qui se tenait du 18 au 22 août dernier à l'Université Laval, attirent des curieux désireux de s'initier à cette voie royale de la pensée.
Organisé par la Société de Philosophie du Québec et la Faculté de philosophie de l'Université Laval, ce congrès international a donné l'occasion à quelque 300 philosophes venus d'une vingtaine de pays d'échanger leurs connaissances et de confronter leurs opinions à propos de la métaphysique. Si bon nombre de communications s'adressaient à un public très spécialisé, certaines permettaient au non-initié de prendre le pouls des derniers développements dans cette discipline profondément humaine. Ainsi, une table ronde a réuni des professeurs du Québec, de Tunisie et des Etats-Unis autour d'un thème d'actualité, les perspectives éthiques et politiques sur la différence.
Luc Bégin, professeur à la Faculté de philosophie de l'Université Laval, aborde les mesures dites de discrimination positive, visant, par exemple, à favoriser des catégories bien précises de travailleurs pour l'obtention d'un emploi, sous une nouvelle perspective. Tout en remarquant que ce genre de revendication déclenche souvent l'agacement des citoyens au nom de l'égalitarisme, le chercheur soutient que ce traitement particulier participe à la construction des individus. Loin uniquement de corriger les erreurs d'un passé marqué par la discrimination, ces revendications aident la personne à se forger une idée positive d'elle-même, à se valoriser.
De la même façon, il fait remarquer que les demandes de traitement différentiel n'ont pas toujours bonne presse. Ainsi, lorsque les autochtones revendiquent une certaine forme d'autonomie gouvernementale, au nom du respect et de la protection des traits culturels de leur communauté, ils se heurtent souvent à l'incompréhension des citoyens considérant que les institutions politiques doivent être identiques pour tous. Pourtant, encore une fois, le philosophe souligne qu'il s'agit pour cette minorité de retrouver une estime de soi, au delà des arguments justificateurs sur les inégalités à corriger.
Luc Bégin remarque d'ailleurs que les membres d'une culture dominante n'ont peut-être pas assez conscience de l'humiliation ou de la dévalorisation systématique que subissent certaines minorités. Ces expériences psychologiques de mépris les amènent en effet parfois à agir avec une colère dont l'ampleur étonne et surprend. Selon lui, une société multiculturelle doit donc absolument tenir compte des revendications à la différence de certains citoyens. Cette nouvelle sensibilité pourra peut-être s'exprimer d'avantage grâce à une plus grande réflexion éthique sur les grands problèmes de notre temps, comme le faisait remarquer Ali Chenoufi. Ce professeur à l'Université de Tunis, voit en effet l'éthique comme un instrument indispensable apte à résoudre les questions controversées, où droit universel et droit à la différence culturelle se heurtent de plein fouet.