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25 juin 1998 ![]() |
L'École des arts visuels commémore le célèbre manifeste de 1948 et salue la relève des pionniers de l'abstraction au Québec
L'art abstrait est à l'honneur à l'École des arts visuels où deux expositions sont présentées tout le mois de juin dans le cadre de l'événement Peinture-Peinture, une importante manifestation d'art contemporain qui se tient simultanément dans plusieurs villes du Québec. Dans Oeuvres abstraites 1962-1992, les professeurs et anciens de l'Université Laval dressent une rétrospective de l'histoire de l'art abstrait à Québec; dans Quiproquo, les étudiants à la maîtrise en arts visuels explorent et élargissent le thème de l'abstraction.
Pour mieux savourer Quiproquo, une exposition jeune, éclatée et étonnante qui secoue la notion d'abstraction, il faut d'abord renouer avec les premières heures de l'aventure de l'art abstrait, à l'époque de l'École des beaux-arts de Québec. C'est ce que nous proposent les toiles des Omer Parent, Richard Mill, Marcel Jean et Claude Jirar, tirées des collections de l'Université et réunies dans l'exposition Oeuvres abstraites 1962-1992. Ces artistes, aujourd'hui des professeurs à l'École des arts visuels, étaient des étudiants dans les années 60, explique Nicole Malenfant, directrice de la maîtrise en arts visuels et responsable de l'événement. "Ils ont participé, avec originalité, au très fort courant non-figuratif qui s'est développé dans la capitale; ce sont leurs oeuvres de jeunesse que nous présentons ici."
À Québec aussi
La quinzaine de tableaux exposés pour l'occasion rappellent au visiteur
que le mouvement de contestation, cristallisé autour du manifeste
Refus Global et exprimé par l'art abstrait, n'a pas seulement fleuri
à Montréal. "Il y a eu, ici à Québec, une
prise de position pour l'art abstrait, branchée sur Montréal,
mais aussi branchée sur ce qui se faisait à l'époque
en France et aux États-Unis, qui a repris de façon originale
les courants les plus actuels", rappelle Nicole Malenfant. Selon elle,
on pense souvent, à tort, que Québec est "une province
qui ne fait que de l'art traditionnel, des paysages et du folklore".
Un tableau comme celui de Richard Mill, un alignement de traits noirs sur
un fond blanc qui évoque une mélodie, nous convainc du contraire.
D'ailleurs, Richard Mill est aujourd'hui un artiste reconnu pour avoir consacré
sa vie à l'abstraction et cinq de ses oeuvres ont été
sélectionnées pour l'événement Peinture-Peinture.
À côté des figures de proue du mouvement abstrait de Québec, les oeuvres des étudiants à la maîtrise en arts visuels, présentées dans Quiproquo, annoncent une nouvelle révolution. Les six salles de l'exposition (des ateliers transformés pour l'occasion) abritent 43 oeuvres hétérogènes, de la peinture, de la sculpture, de la photographie, du design graphique et de la vidéo, dans un montage intelligent. Seul trait commun: la recherche de l'abstraction. Nicole Malenfant a laissé beaucoup de latitude aux étudiants qui ont conçu et réalisé Quiproquo: "Je voulais que ce soit leur exposition, leur événement". Les étudiants devaient toutefois partager la salle d'exposition avec des invités, anciens de la maîtrise et professeurs. Ainsi les oeuvres des étudiants côtoient celles de quelques vétérans: Jocelyne Allourchie, René Taillefer, Marcel Jean, David Naylor, Richard Mill.
Des libertés avec la liberté
La relève artistique accepte l'héritage de l'abstraction,
mais elle prend ses libertés avec le passé. D'abord, pour
ces étudiants, l'art abstrait n'est plus la chasse gardée
de la peinture, ainsi qu'en témoigne la multitude des supports utilisés.
Le montage typographique sur fond de barbelés de Carole Charette,
ou encore la Petite fabrique de mots, un cube de Rubik sur lequel Catherine
Poirier a collé des lettres noires, deux oeuvres d'étudiantes
en design graphique exposées à l'Édifice de la Fabrique,
illustrent bien cette nouvelle liberté. Mais surtout, comme le souligne
Nicole Malenfant, "les concepteurs de Quiproquo ont décidé
d'éclater la définition de l'abstraction". Aujourd'hui,
explique-t-elle, on ne définit plus l'art abstrait en négatif,
non-figuratif, non représentatif, non-réaliste. L'abstraction
est plutôt à rechercher dans les concepts que dégage
une oeuvre. Ainsi, une création peut être à la fois
figurative et abstraite! Ambigu, paradoxal? Voilà qui explique le
titre de l'exposition.
Quiproquo présente plusieurs oeuvres à la limite de la figuration qui dérouteront peut-être le néophyte. Comme le Frère Tock et petit jean de Lucie Archambault, deux personnages difformes et grimaçants qui n'ont, en apparence, rien d'abstrait... Et pourtant, la sculpture de Lucie Archambault dégage des concepts abstraits et se détache ainsi de la réalité. "Ce ne sont plus deux personnages qui racontent une histoire, ce ne sont plus deux personnages qui représentent des personnes. Au contraire, cette oeuvre nous parle de concepts très abstraits comme l'identité, l'étrangeté, l'altérité", précise Nicole Malenfant.
Des sens cachés et parfois troublants
Les très beaux tableaux de Hugues Dugas, un ancien étudiant
à la maîtrise, témoignent, d'une autre manière,
de cette recherche de l'abstraction. Dans le vif de l'objet est fait de
toiles blanches parsemées de fleurs séchées et de cadres
transparents remplis de plumes, le tout est posé en vrac sur un mur.
Les quelques objets tirés de la vie quotidienne (plumes, fleurs,
cadres) sont les seuls éléments figuratifs qui subsistent
dans la création de Dugas.
Abstraction ne signifie pas absence de sens. Plusieurs des oeuvres de Quiproquo interpellent le spectateur et envoient parfois des messages troublants. Impossible de ne pas se questionner devant l'immense bombonne dorée qui semble cracher du sang, une fascinante installation de Denis Simard. L'oeuvre intitulée De la jouissance dans les fausses morts raconte-t-elle une histoire? De la même façon, que signifie l'espace laissé en blanc dans l'un des deux magnifiques panneaux de bois peints de Chang Trung Truong? Une mutation, comme le suggère le titre de son oeuvre?
Quiproquo aura été, pour les étudiants de la maîtrise en arts visuels, une belle occasion de pratiquer toutes les facettes de leur métier. Ils ont dû définir la thématique de l'abstraction, sélectionner des artistes, concevoir une exposition et organiser un catalogue, en plus de créer une oeuvre artistique. Nicole Malenfant tenait à faire une place à ses étudiants dans la programmation de Peinture-Peinture, afin qu'ils enrichissent leur formation. Car, selon elle, si être artiste c'est d'abord créer, il faut aussi participer à des événements culturels, voire les organiser.
Les deux expositions sont présentées à l'École des arts visuels située au 255, boulevard Charest est jusqu'au 28 juin. Oeuvres abstraites 1962-1992, occupe la galerie des Arts visuels et Quiproquo est installé au 3e étage de l'Édifice de la Fabrique.