25 juin 1998 |
Le plus important observatoire astronomique de la côte est de l'Amérique du Nord fête ses 20 ans
Au début des années 1970, l'Université Laval comptait autant d'astrophysiciens que d'extraterrestres parmi ses professeurs. La situation n'était guère différente dans les autres universités québécoises; il se trouvait bien quelques théoriciens de l'univers mais bien peu de chercheurs qui s'adonnaient à l'observation de l'espace.
Aujourd'hui, les astrophysiciens forment une communauté bien enracinée sur le campus: six chercheurs, quatre attachés de recherche, quatre étudiants à la maîtrise et sept étudiants au doctorat sont regroupés au sein d'un centre reconnu, le Groupe de recherche en astrophysique de l'Université Laval. Le Québec compte maintenant une vingtaine de professeurs-chercheurs en astronomie, soit 10 % des effectifs canadiens, qui forment près de 20 % des étudiants-chercheurs du pays dans ce domaine. Si, en deux décennies, l'astrophysique québécoise est sortie du trou noir, elle le doit, en partie, à la création de l'Observatoire du mont Mégantic.
Première lumière
Gilles Joncas, aujourd'hui directeur du Groupe de recherche en astrophysique,
était étudiant au baccalauréat lorsque les premières
rumeurs de construction d'un observatoire ont commencé à circuler
dans les couloirs du Département de physique. "L'Université
de Montréal avait adressé une demande de subventions au CRSNG
et au CNRC pour construire un télescope, dit-il. La réponse
avait été: ^^Oui mais à condition que Laval se joigne
à vous^. J'imagine que l'intention était de développer
l'astrophysique dans tout le Québec."
Laval et Montréal créaient donc, en 1975, un centre de recherche conjoint, l'Observatoire du mont Mégantic, pour superviser la construction d'un télescope de 1,6 mètre d'ouverture et en assurer l'utilisation subséquente. Pour répondre à ses nouvelles obligations, Laval engageait, coup sur coup, ses trois premiers professeurs en astrophysique: Ermanno Borra, Eduardo Hardy et Jean-René Roy.
À noter que le mont Mégantic, en raison de sa proximité, avait été préféré au mont Albert en Gaspésie comme site de construction de l'observatoire. "On s'est rendu compte après coup que les relevés météo qui ont servi lors de la sélection du site provenaient de l'autre côté de la montagne. En général, les nuages restent "accrochés" 24 heures de plus dans la vallée du mont Mégantic", dit Gilles Joncas. Le sommet de la montagne, situé à 1 100 mètres d'altitude, se trouve à la hauteur de la couche d'inversion, de sorte qu'il est fréquemment envahi par la brume et le brouillard. "On a un bon soir d'observation sur quatre", résume-t-il. Les chercheurs qui utilisent Mégantic font donc tous la même découverte: celle des vertus de la patience.
Même s'il venait au troisième rang au pays au chapitre du diamètre du miroir, Mégantic était le plus puissant observatoire canadien au moment de la première lumière le 28 avril 1978 et ce, en raison du ciel particulièrement sombre qui l'environne. "Aujourd'hui, nous commençons à avoir des problèmes de pollution lumineuse, dit Gilles Joncas. Les fermes de la région sont de plus en plus éclairées la nuit et on aperçoit le dôme de lumière de Sherbrooke qui se trouve à 60 kilomètres de là."
Malgré les inconvénients du site, Mégantic est tout de même le plus important observatoire de la côte est de l'Amérique du Nord. Financé depuis 1979 par le programme FCAR-Centre, l'Observatoire a permis à treize étudiants au doctorat et à une vingtaine d'étudiants à la maîtrise d'obtenir leur diplôme de Laval grâce aux observations qu'ils y ont réalisées. Anne Pellerin, étudiante-chercheure à la maîtrise, utilise le télescope depuis l'automne dernier. "Je trouve que c'est génial, dit-elle. C'est un petit télescope avec lequel on peut faire beaucoup de science. Ça aurait été difficile d'obtenir autant de temps dans un autre observatoire. Mégantic est un bon tremplin pour apprendre à utiliser un grand télescope."
Gilles Joncas, qui a d'ailleurs été le premier diplômé de l'Observatoire, estime que sans Mégantic, l'astrophysique se serait quand même développée au Québec mais elle aurait pris une tangente différente. "On aurait formé moins d'étudiants-chercheurs et ils auraient dû aller ailleurs pour effectuer leurs observations. Grâce à l'Observatoire, le Québec est devenu, avec l'Ontario, l'un des deux grands pôles de recherche en astrophysique au Canada."
Second début
Malgré les services qu'il rend toujours à la communauté
astrophysique du Québec, l'Observatoire du mont Mégantic commence
à accuser le poids des ans. Vingt ans d'utilisation, c'est aussi
vingt ans d'usure et le télescope souffre d'arthrite articulatoire,
caricature Gilles Joncas. "Il émet parfois des grincements sourds
et sinistres, surtout en hiver."
Les chercheurs ont donc échafaudé un plan pour faire subir une "jouvence totale" au télescope et, pour le mettre à exécution, ils ont adressé une demande d'aide financière de 5,5 millions de dollars à la Fondation canadienne pour l'innovation. "Nous voulons démonter le télescope, l'inspecter au complet et le remettre à neuf. Nous voulons aussi doter l'observatoire d'une coupole semblable à celle de l'Observatoire Gemini pour créer un environnement thermique qui limite la turbulence de l'air autour du télescope. En plus, nous voulons lui ajouter une bonnette d'optique adaptative pour compenser une partie de la turbulence atmosphérique. Après toutes ces améliorations, on pourra avoir des images de qualité équivalente à celles obtenues dans l'espace. Nous disposerons alors d'un observatoire du même calibre que les observatoires nationaux américains et nous serons prêts à affronter le XXIe siècle."