25 juin 1998 |
UN CHÊNE FOUDROYÉ
L'image qui m'est venue en apprenant le départ de M. Jean Hamelin est celle d'un grand chêne foudroyé. Toujours actif, on aurait voulu le voir continuer à prendre de l'âge, mais la vie en a décidé autrement. Son départ crée un grand vide pour sa famille, ses amis et tous les amis de l'histoire. Il a consacré toute sa vie à faire connaître et aimer notre histoire non seulement à des centaines et des milliers d'étudiants de l'Université Laval, mais aussi aux lecteurs de ses très nombreux ouvrages, et ceux du Dictionnaire biographique du Canada, dont il était l'âme à Québec comme directeur-général adjoint depuis vingt-cinq ans.
Ce professeur exemplaire a exploré tous les rivages du "territoire de l'historien": du politique au socio-économique, en passant par le culturel et le religieux. Il laisse en legs une oeuvre historique majeure qui peut se résumer assez bien en trois mots: "érudition, humanisme et savoir" - titre d'un colloque tenu en son honneur à l'Université Laval en 1994. En plus d'une carrière vouée à la recherche et à l'administration, il a aussi oeuvré dans l'enseignement où il a professé de façon remarquable durant de longues années et où il a formé plusieurs générations d'enseignants et de chercheurs en histoire du Québec et du Canada, à qui il a transmis le flambeau. Ces derniers oeuvrent aujourd'hui dans plusieurs universités, collèges et écoles secondaires du Québec et du Canada. D'ailleurs Jean Hamelin ne se définissait-il pas lui-même comme "un universitaire qui, au moyen de l'histoire, s'efforce de former des têtes bien faites, des esprits cultivés et critiques capables tout autant d'enseigner, d'effectuer des recherches savantes que d'assumer dans la société l'une ou l'autre de ces centaines de fonctions sociales qui exigent critique, créativité, innovation" (allocution de clôture du colloque de 1994, Érudition, humanisme et savoir, P.U.L., 1996). Et ce ne sont là que quelques aspects de la carrière bien remplie que cet historien engagé poursuivait toujours avec passion, et cela même à la retraite.
Au delà de cet héritage scientifique majeur qu'il laisse au Québec et aux Québécois, restent les souvenirs que conservent tous ceux qui l'ont connu ou qui ont eu la chance de le côtoyer pendant quelques temps, et ils sont nombreux car M. Jean Hamelin était un homme d'équipe qui a laissé son empreinte dans toutes les entreprises où il s'est impliqué. Nous avons en mémoire l'image d'un homme accueillant et ouvert, d'un pédagogue attentif aux personnes, d'un universitaire disponible pour faire rayonner sa discipline et son institution. De plus, même rendu au sommet d'une carrière prestigieuse jalonnée de prix et de récompenses, il a toujours su se préoccuper de la relève en prenant le temps de s'informer des recherches et des projets professionnels des plus jeunes, en n'oubliant pas de leur prodiguer de judicieux conseils.
Homme généreux, disponible, communicateur hors pair, il avait eu la gentillesse l'an dernier de répondre à mon invitation pour venir à une émission de radio où il nous avait éblouis par son immense savoir et son talent de vulgarisateur car il possédait à un degré rare cet art de faire des liens entre passé et présent. Il nous avait impressionnés aussi par sa simplicité, son enthousiasme et ce "je ne sais quoi" qui fait les grands hommes. L'historien Lucien Febvre disait que le métier d'historien requérait "de la sensibilité et de la méthode, de l'imagination et de la patience, de la culture et de l'expérience, le don de sympathie et le don de finesse". Jean Hamelin possédait plusieurs de ces talents. Mais au-delà de toutes ces qualités d'historien, c'est surtout un grand humaniste qui va nous manquer! M. Hamelin fait maintenant partie de notre Histoire. C'est à regret que nous l'avons vu passer cette porte qu'il nous a ouverte si généreusement tant de fois... Merci pour tout, M. Hamelin!